DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE ? QUE PENSERAIENT TOCQUEVILLE ET LES PÈRES FONDATEURS DE LA SITUATION PRÉSENTE ?

Thèmes: Civilisation, Economie, Géopolitique, Histoire, Société
Conférence du mardi 14 octobre 2025

 

Par Madame Anne DEYSINE, professeur émérite des Universités, spécialiste des Etats-Unis, autrice de Les juges contre l’Amérique. La capture de la Cour suprême par la droite radicale, Presses universitaires de Nanterre, oct. 2024.

INTRODUCTION

Les craintes de ceux qui ont tenté de mettre en garde les électeurs américains se sont révélées justifiées. Donald Trump depuis le 20 novembre 2025 règne en monarque par la voie de décrets outrepassant ses pouvoirs et détruisant les contre-pouvoirs mis en place par les Pères fondateurs.

La primauté du droit (rule of law), socle du système constitutionnel a été remplacée par le règne de la force et de la corruption généralisée. Nous sommes très loin de l’esprit des Pères fondateurs et du système de l’équilibre des pouvoirs (checks and balances) qui devrait en principe permettre de lutter contre l’émergence d’un régime autoritaire.

I LA FIN DES CONTRE-POUVOIRS.

Les Etats-Unis ont un régime républicain basé sur un système de contre-pouvoirs. Ainsi, par exemple, le président peut mettre son veto à une loi votée par le Congrès ; la Cour Suprême a la possibilité de déclarer illégale une loi votée par le Congrès, ou un décret présidentiel.

L’article II de la Constitution mentionne les pouvoirs du président à la tête de l’Exécutif et « commandant en chef » mais depuis 35 ans certains présidents, notamment républicains essaient d’interpréter cet article de façon à obtenir le plus de pouvoir possible pour l’exécutif.

Ce qu’on appelle le « gouvernement fédéral américain » comprend la présidence avec le Bureau exécutif du Président, les ministères dont la justice (DOJ) et des agences indépendantes fédérales créées par le Congrès en charge d’un secteur : antitrust, sécurité des produits etc. Du fait de la multiplicité de ces agences, le nombre de fonctionnaires travaillant pour le gouvernement fédéral est important (3 millions) mais les Présidents républicains s’opposent souvent à ces agences indépendantes qui pour la plupart protègent le citoyen comme l’agence pour l’environnement, l’agence de protection des consommateurs etc.  Donald Trump et son cabinet constitué de milliardaires veulent les détruire et ne reculent devant rien : gel des crédits, limogeage de nombreux responsables d’agences, le tout en violation de la Constitution (séparation des pouvoirs) et de la loi.

Donald Trump a aussi placé Elon Musk à la tête d’une entité qui n’a aucune existence juridique, le DOGE ou Department Of Government Efficiency, officiellement dans le souci d’économies budgétaires mais en réalité pour démanteler les structures de l’Etat et les mécanismes d’Etat providence qui datent de Franklin Delano Roosevelt. Musk est reparti gérer ses entreprises mais il faudra des dizaines d’années pour reconstruire ce qui a été détruit en trois mois.

La justice : depuis janvier 2025 plus de deux cents décrets ont été signés par Donald Trump, 85% d’entre eux ont été suspendus en première instance car non conformes à la Constitution ou à la loi. Donald Trump a vivement critiqué la justice pour ces suspensions et a saisi la Cour Suprême en procédure d’urgence. Trump compte sur le fait qu’il existe une super majorité de six juges « républicains » à la Cour Suprême (dont 3 nommés par lui) qui ont effectivement invalidé ou suspendu les décisions de première instance.

Le Congrès : le Président est déterminé à contourner le Congrès, d’où le recours aux décrets. Le Congrès étant majoritairement républicain, le président pourrait faire passer les lois par le pouvoir législatif mais il invoque une série d’urgences peu justifiées pour agir par décrets, en matière d’immigration ou de droits de douane tous azimuts et par la même usurpe le pouvoir du Congrès. Quant aux Représentants républicains, ils s’alignent sur le clan des MAGA (Make America Great Again) afin de ne pas mettre en danger leur réélection en 2026.

Les médias : les médias sont aussi des contre-pouvoirs puissants comme la révélation de l’affaire du Watergate par le Washington Post l’a prouvé. C’est pourquoi Donald Trump, dès son premier mandat, s’en est pris violemment aux médias traditionnels et aux journalistes d’investigation. Depuis janvier 2025, il a supprimé les subventions destinées aux médias publics qu’il considère hostiles. Par ailleurs, il attaque en diffamation certaines chaînes qui majoritairement préfèrent transiger pour 15 ou 25 millions de dollars afin de se gagner les bonnes grâces du président. Seuls le New York Times et le Wall Street Journal sont allés en justice et ont gagné en première instance. Globalement, Donald Trump sait monopoliser l’attention des médias et de ce fait occuper l’espace public, ce qui est sa grande force.

Les universités : les intellectuels et les universitaires peuvent aussi être un contre-pouvoir face à Donald Trump c’est pourquoi le Président américain prétextant l’insuffisance de la lutte contre l’antisémitisme au sein des grandes universités américaines, a supprimé bon nombre de leurs subventions pourtant votées par le Congrès. La grande majorité de l’électorat de Trump n’est pas universitaire et voit d’un bon œil que le Président s’en prenne aux élites de Harvard, Yale ou Princeton. Donald Trump ne s’arrête pas à la coupe des subventions fédérales ; il veut imposer aux universités un droit de regard sur leurs programmes et le recrutement des étudiants étrangers, ce qui remet en cause le modèle économique de ces universités où les étrangers paient des frais de scolarité très élevés et grossissent les rangs des thésards en science en particulier.

Les avocats : Donald Trump s’en prend aux cabinets d’avocats conscient que pour une démocratie saine il faut que les justiciables soient correctement défendus. Trump s’en prend à toute personne ayant travaillé avec les démocrates ou qui ont défendu les personnes l’ayant attaqué.

II LA CORRUPTION GÉNÉRALISÉE.

Aux Etats-Unis un délinquant de droit commun est puni plus sévèrement qu’un délinquant en col blanc ou un MAGA. Ainsi Trump a gracié 1600 personnes ayant participé à l’attaque du Capitole de janvier 2021, certaines ayant attaqué physiquement des policiers, garants de l’Etat de droit.

Voté en 1977, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) est une loi américaine qui interdit aux entreprises d’offrir des dessous-de-table à des fonctionnaires étrangers pour obtenir des contrats. Il a annoncé que le DOJ ne poursuivrait plus les violations de cette loi pour les entreprises américaines. Mais ce feu vert ne vaut pas pour les entreprises européennes. La loi FCPA est d’application extraterritoriale et a vocation à s’appliquer à des actes commis hors des Etats-Unis. Le simple fait d’utiliser le dollar ou même d’envoyer un mail ou établir une communication téléphonique via le territoire américain permet l’application de la FCPA. C’est cette loi qui a permis la condamnation de certaines banques françaises à de fortes amendes. Cela devrait continuer. En revanche, Donald Trump lors de ses voyages à l’étranger négocie des contrats pour les Etats-Unis mais aussi des contrats personnels qui en principe relèvent de la corruption et de la loi FCPA.  Mais peu de chances que le DOJ s’attaque à Trump ..….

Suite au Watergate, une loi (FECA) est votée en 1974 limitant les dépenses autorisées pour financer une élection ou une campagne publicitaire. Cette loi a été invalidée en 2010 par la Cour Suprême dans la décision Citizens United en s’appuyant sur le premier amendement de la Constitution qui garantit la liberté d’expression. Donald Trump a ainsi pu bénéficier des largesses de ses amis milliardaires comme Elon Musk qui ont financé sa campagne à coup de dizaines de millions de dollars.

CONCLUSION

La justice ne peut pas tout pour sauver la démocratie américaine et il faut des mobilisations massives de soutien à un système fragile pour lequel il faut se battre en permanence. Ce qui se passe aux Etats-Unis, pays modèle de démocratie, est mauvais pour le monde en raison de la contagion du mauvais exemple et parce que La politique de l’administration Trump pousse la Chine et la Russie à s’allier, ce qui affaiblit les valeurs occidentales dans l’équilibre du monde ;

Par ailleurs, la radicalisation des citoyens à cause des réseaux sociaux, seule source d’information pour des millions de personnes, entraîne l’absence de dialogues et de débats constructifs, base de la démocratie. L’attitude de Trump faisant fi de la démocratie devient un modèle pour certains dirigeants internationaux comme Jair Bolsonaro au Brésil ou Javier Milei en Argentine. Et Trump a des admirateurs parmi les membres de l’Union Européenne.

En Europe des règlements tels que la DMA (Digital Market Act) ou DSA (Digital Services Act) qui contrôlent les fusions entre plateformes et obligent les réseaux a « modérer » leurs contenus doivent absolument être appliqués. Mais Elon Musk et Donald Trump font pression et menacent l’UE. Certes, il y a des risques (de représailles, de droits de douane entre autres) mais c’est une nécessité si nous voulons éviter que le règne de la désinformation et du complotisme ne gagne les pays européens comme ils dominent aujourd’hui le paysage « médiatique » aux USA. @

Lecture de presse :

https://www.la-croix.com/a-vif/va-t-on-vers-la-fin-des-espoirs-d-une-democratie-multiraciale-aux-etats-unis-20251027

 

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