LE CIRQUE, HIER, DEMAIN ET AUJOURD’HUI

Thème : SOCIÉTÉ                                                                                                                                                                       Mardi 30 novembre 2004

Le cirque, hier, demain et aujourd’hui

Par M. Alexis Grüss – Directeur du Cirque National

Ce que j’aime, c’est l’authenticité, la magie, pas l’illusion. Hemingway disait : « Le cirque est le seul endroit au monde où j’ai rêvé les yeux ouverts ». Chaque adulte retrouve ses émotions d’enfant quand il va au cirque.

Le cirque, pour moi, c’est un lieu. L’espace scénique a été inventé il y a plus de deux siècles par un militaire qui avait dans les mains un accessoire pour habituer les chevaux au son du canon. Cet accessoire était un fouet en cuir de buffle auquel était attachée une ficelle de chanvre, appelé chambrière ou chanvrière. En faisant claquer cette ficelle, le fouet dépassait les 1 000 km/h, soit la vitesse du son. Le major anglais Philip Astley, qu’on peut considérer comme l’inventeur du cirque, a eu l’idée de retirer la longe et de faire évoluer les chevaux en toute liberté sur une piste de treize mètres de diamètre. Cette dimension est toujours appliquée aujourd’hui dans les cirques. Douze chevaux peuvent se suivre les uns derrière les autres, sans être montés. Avec un treizième cheval on fermerait la boucle mais ce n’est pas possible car il faut un cheval leader.

« Un oiseau qui se pose sur les racines »

Le cirque est un espace scénique infini, de par sa forme ronde et la matière du sol, en terre végétale. Vous remarquerez qu’au cirque, pour avoir une conversation avec le public, il faut se déplacer, regarder autour de soi, saluer trois fois le public. Là aussi on retrouve le caractère infini de l’espace scénique. Pour moi, il n’y a qu’un Créateur, l’homme n’est qu’un compositeur. Le fait d’évoluer dans cet espace infini facilite la composition. Tout y est possible. Claude Nougaro avait cette très jolie phrase à propos du cirque à l’ancienne : « C’est un oiseau qui ne se pose pas sur une branche mais sur les racines. »

La famille Grüss fête cette année ses 150 ans de tradition. Mes ancêtres ont commencé en 1854. A cette époque, il n’y avait pas de voitures, pas de camions comme maintenant, les « cirquaciens » (c’est le terme que nous donnons à ceux qui font le cirque) circulaient en  « verdine » (plus connu sous le nom de roulotte). Ces saltimbanques se produisaient de village en village, de place en place. L’hiver, ils devaient chercher refuge chez l’habitant. C’est ainsi que la famille Martinetti frappa à la porte d’un tailleur de pierre alsacien. Et ce qui devait arriver arriva : le fils du tailleur de pierre tomba amoureux de la belle Maria qu’il hébergeait. André-Charles Grüss et son écuyère repartirent ensemble sur les routes. Ce mélange de chaud et de froid, d’Italie et d’Alsace, coule dans mes veines.

Depuis toutes ces générations de Grüss (je fais partie de la quatrième génération et mes petits-enfants qui m’accompagnent sont la sixième), la passion du cheval est restée au centre de tout. Le cheval n’est pas un animal comme les autres. Il a toujours été domestiqué par l’homme, qui a fait le cheval à son image. Regardez un cheval arabe, anglais, percheron… ils ressemblent aux hommes qui les ont domestiqués. Dans notre cirque, nous avons une palette de chevaux extraordinaire. Ce sont tous des étalons car, comme j’aime le dire, pour gagner une course il vaut mieux avoir une Formule 1 qu’une 2 CV. Mes chevaux sont ce qui se fait de mieux.

Dix ans de travail aux côtés de Silvia Monfort

Le cirque est la forme artistique la plus méconnue. La télévision a bêtifié le cirque alors que c’est l’art des arts, toutes les formes d’arts y sont présentes. Mais nos œuvres d’arts sont éphémères, c’est ce qui en fait la magie. Quand on arrive à un endroit, je fais le tour des lieux et je définis où se trouvera le centre du chapiteau. Le lendemain soir, là où il n’y avait rien, se dresse une salle pouvant accueillir 3 000 personnes. Au cirque, chaque personne est irremplaçable, chacun fait ce pour quoi il est destiné et y travaille. Pour moi, la définition de l’art est la suivante : « C’est le travail effacé par le travail ».

En 1974, ma rencontre avec Silvia Monfort a changé ma vie. A l’époque, beaucoup de monde pensait que le cirque était mort. Silvia a décidé de faire quelque chose pour sauver le cirque. Elle a d’abord fait une exposition qui a très bien marché. Puis, par l’entremise de mon beau-père Bouglione, elle a pris contact avec moi. Lors de notre première rencontre, elle m’a demandé si je pouvais installer mon chapiteau – qui faisait trente mètre sur trente – dans la cour de l’Hôtel Salé (où se trouve aujourd’hui le musée Picasso) qui n’en faisait que vingt-quatre sur vingt-quatre. J’ai répondu que c’était possible et c’est ainsi que, le 25 mai 1974, nous avons fait notre premier spectacle avec Silvia Monfort. Nous sommes restés dix ans ensemble. Quand elle m’a demandé ce qu’on pouvait faire pour sauver le cirque, je lui ai répondu qu’il fallait créer une école où les pères d’élèves puissent transmettre leur art. Les enfants qui n’ont pas eu la chance de naître dans le cirque pourraient aussi en faire leur métier. Et en octobre 1974 s’ouvrait l’école de cirque « Le cirque à l’ancienne » au carré Torrigny, avant d’être transférée plus tard à la Gaîté Lyrique. Cinq grandes écoles de cirque existent aujourd’hui mais on en recense plus de 900  partout en France.

Faire le plein des sens

Le problème, c’est qu’on forme, on forme, sans se préoccuper des débouchés. Les Amar, Pinder, Bouglione, Jean Richard, Zavatta ont tous disparu. Leurs lointains cousins louent maintenant une franchise. Sauf que contrairement à McDonald où on sait ce qu’on va manger, ces cirques franchisés n’ont pas de cahier des charges. On se retrouve parfois avec des cirques qui ont une scène de théâtre. Depuis quelques décennies on cherche à dénaturer les choses, c’est un constat.

Ce cirque là, je ne m’y reconnais pas. Je le répète, pour moi, le cirque c’est un lieu. C’est un endroit où on vient faire le plein des sens. Jean Genet a écrit : « La réalité du cirque tient de la métamorphose de la poussière en poudre d’or ». Le cirque est un lieu magique, où on ne triche pas. Votre imagination vous apportera des émotions qu’aucune image ne vous procurera. Et ça c’est le propre du cirque. La télévision a dénaturé le cirque. La vraie Piste aux Etoiles, c’est au cirque que ça se passe, pas à la télévision. Le reste n’est que de la poudre de perlimpinpin.

Mon nouveau spectacle « Tels maîtres, tel cirque » est un hommage à mes parents, morts l’année dernière.  Le seul héritage que mon père m’a transmis c’est son savoir-faire, et c’est le plus bel héritage qu’un homme puisse transmettre à son fils. Ma mère était foraine. Les cirquaciens et les forains ne sont pas du monde mais ils se croisent sur les mêmes places. C’est ainsi que mes parents se sont rencontrés. Ma grand-mère présentait sa ménagerie à Lisieux quand un clerc de notaire, fils du maire de Lisieux, est tombé amoureux d’elle et l’a suivie sur les routes. Ce sont toutes ces rencontres qui ont fait la famille Grüss.

Sans respect, pas de cirque

Je préfère parler de rencontres que de mélanges. Dans le cirque, tous les univers, toutes les races, toutes les religions cohabitent. S’il n’y a pas de respect, il n’y a pas de cirque. C’est pareil avec les animaux. Nous avons des animaux de toutes sortes, des reptiles, des oiseaux, des chevaux, des mammifères du plus petit au plus gros. Le problème aujourd’hui est d’arriver à se frayer un espace dans ce monde moderne, avec tous nos animaux, notre personnel, nos camions. Et pourtant, à l’époque de mon père 300 personnes travaillaient au cirque Grüss alors qu’il n’y en a plus que 75 avec moi.

Mon père était un formidable Auguste.  J’en profite pour dire quelques mots sur les clowns (nous prononçons « clone »). On ne peut pas dissocier le cirque des clowns. Avant le Radio Circus, lancé en 1949 par Zappi Max avec mon père et mon oncle, le cirque n’était pas sonorisé. Grâce aux micros de Radio Luxembourg, la parole a été amenée au public et le personnage de M. Loyal a été créé pour annoncer les numéros. Avec le clown et l’Auguste, il formait le trépied sur lequel repose toute société et toute famille. Les bons numéros comiques fonctionnent avec un instigateur (le clown), un exécutant (l’Auguste) et celui qui fait respecter le règlement (M. Loyal) mais qui est souvent complice de l’instigateur. C’est du comique basé sur des choses saines, sans vulgarité, avec une certaine morale. Quand cette base à trois n’est pas présente, on retrouve ce que j’appelle « les clowns accessoires », ces clowns qui se servent d’accessoires pour faire rire et auxquels il manque une dimension essentielle.

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Côté livres :

Rêver les yeux ouverts

Alexis Grüss (Auteur),

Joëlle Chabert (Auteur),

Stéphane Bern (Préface)

Editeur : Desclée de Brouwer

ISBN-10: 2220051811

http://www.amazon.fr/R%C3%AAver-yeux-ouverts-Alexis-Gr%C3%BCss/dp/2220051811

Coté Web :

http://www.alexis-gruss.com/

http://www.artmag.com/photogr/cirque/gruss4.html

http://www.alexis-gruss.com/paris/dossierdepresse.pdf

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