L’ARC EN CIEL – Une énigme.

Thème: SCIENCES                                                                                                                                   Conférence du mardi 7 Janvier 2014

L’ARC EN CIEL, une énigme.

Par Claude DARRAS –  Co fondateur et vice-président du CDI

L’arc-en-ciel fut dès l’antiquité un phénomène mystérieux chargé de symboles. Jahve dit à Noé que son arc servira d’alliance entre lui et les hommes. Dans la mythologie, c’est Iris, la messagère des Dieux, qui est représentée par l’arc. Nous retrouvons cette même signification aussi bien en Afrique chez les chamans, qu’en Asie chez les bouddhistes tibétains ou en Amérique chez les Mayas.

Les savants grecs en firent des observations judicieuses et proposèrent diverses explications sur l’origine du phénomène, mais leur insuffisance de connaissances de l’optique et de la vision  ne leur permettait pas de trouver la solution. A tel point que certains en niaient l’existence réelle, comme Sénèque, pour qui l’arc-en-ciel était un fantasme, ce en quoi il n’avait pas tellement tort. Il avait évidemment observé qu’un arc de même apparence apparaissait dans les gerbes d’eau des jardins romains.

Il ne faisait pas de doute que celui-ci était provoqué par des gouttelettes d’eau car on avait remarqué que l’arc apparaissait toujours dans les mêmes conditions météorologiques. Mais on se posait beaucoup de questions : pourquoi il n’était visible que sous un certain angle par rapport au soleil, pourquoi il était une portion de cercle parfait, pourquoi il était souvent accompagné d’un arc secondaire parallèle au premier mais avec des couleurs inversées et surtout  pourquoi des gouttes d’eau si petites et si limpides pouvaient produire de si belles couleurs. On ne pouvait répondre à cette dernière question qu’en connaissant la nature de la lumière. Quant au nombre de couleurs visibles dans l’arc, il était variable selon les observateurs et il fallut attendre le XVIII° siècle pour que l’on prenne l’habitude d’en citer sept, nombre symbolique. L’énumération faisait un bel alexandrin, en français, langue des sciences à cette époque : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orange et rouge.

Jean Baptiste Della Porta, mort en 1615, fut le premier à affirmer que l’arc était le résultat d’une réfraction. Antonio de Dominis, archevêque en Dalmatie, fit de nombreuses expériences et, en 1590, écrivit un petit traité sur l’arc-en-ciel. A la même époque, Francesco Grimaldi affirmait que, contrairement à ce qu’on croyait,  la nature de la couleur était liée à la lumière car il avait remarqué que les teintes de l’arc étaient les mêmes que celles obtenues après le passage de la lumière dans un prisme. Cette idée était toute nouvelle mais, critiqué par ses collègues, il n’alla pas plus loin dans ses conclusions.

Cinquante ans plus tard, Descartes, qui venait d’établir les lois de la réfraction et leurs formules mathématiques, donna une explication claire de la formation de l’arc-en-ciel. Il calcula que l’angle formé par le rayon solaire et celui arrivant dans l’œil de l’observateur avait une valeur de 42° pour le rouge et de 40° pour le violet dans le cas de l’arc primaire et 50° et 53° pour l’arc secondaire. Valeurs qui se sont révélées exactes. Descartes, comme Newton, considérait que la lumière était faites de corpuscules et que les radiations lumineuses se comportaient comme des boules minuscules. Ils s’opposaient à d’autres savants, comme Robert Hooke, pour qui la lumière était une onde. Les partisans de ces deux théories se disputeront jusqu’à la fin de XIX° siècle.

Newton, quelques années après, démontra définitivement que les couleurs étaient dans la lumière. Il retrouva les valeurs angulaires de Descartes et calcula la largeur de l’arc, soit 2°14’40’. Voltaire contribua grandement à faire connaître Newton en France en traduisant ses œuvres. Il publia un important ouvrage qui fut édité vingt six fois, entre 1738 en 1785. Le chapitre XI traite entièrement de l’arc-en-ciel, reprenant la théorie de Descartes.

Les explications de Descartes se retrouvent encore, sans restriction, dans presque tous les ouvrages, anciens et récents, consacrés à l’arc. Elles sont pourtant discutables et ne font pas l’unanimité. Leur avantage, c’est qu’elles sont faciles comprendre

 Fig 1

Fig 2

L’arc primaire est produit par un rayon solaire qui, en pénétrant dans une goutte d’eau, subit une première réfraction, se dirige vers le fond de cette goutte, s’y réfléchit et puis revient sur le bord opposé, se réfracte à nouveau en sortant pour se diriger vers l’œil de l’observateur. Le soleil doit se trouver derrière celui-ci. L’arc secondaire se forme quand  le rayon subit une double réflexion à l’intérieur de la goutte. Pour cette raison les couleurs sont inversées. Cet arc est plus petit que le premier et moins lumineux.

Il existe des arcs « surnuméraires »  souvent très pâles et fugitifs plus ou moins accolés à l’arc primaire. Parfois entre les deux arcs une bande sombre apparaît, dite bande d’Alexandre, en l’honneur d’Alexandre d’Aphrodise  qui la découvrit au III° S. La durée des arcs principaux est très variable. Le record est étonnant : il est de 6 heures, vu dans le Yorkshire le 14 mars 1994. Quand le soleil est élevé dans de le ciel à plus de 52° il ne produit plus d’arc. Le record ne risque donc pas d’être battu. Si sur terre on ne peut observer que des portions de cercles, en avion on peut voir des arcs entièrement circulaires.

Revenons à un autre aspect de l’arc-en-ciel, les fantasmes de Sénèque. Il faut bien comprendre que cet arc n’a pas de consistance matérielle. Ce n’est pas « quelque chose », ni un objet, ni même une image, ce n’est qu’un reflet. Si nous voyons un avion le traverser, il ne faut pas croire que les passagers s’en rendent compte, car on ne peut pas « rentrer » dans un arc-en-ciel. Cette magnifique apparition n’est pas là où on la situe mais dans notre œil et dans notre cerveau. Comme Kepler l’avait déjà affirmé, Voltaire écrivait  que l’arc était une illusion, ce qui à l’époque était mal compris de ses lecteurs…et le reste encore aujourd’hui. « Le monde apparent est tout entier fait de représentations psychiques» dit Vasco Ronchi, directeur du célèbre Institut d’Optique de Florence.

Au XIX° siècle, des savants illustres, Young, Airy, Pulfrich, Lorenz, Chwolson et autres, partisans de la nature ondulatoire de la lumière, affirmèrent que la théorie de Descartes était fausse et proposèrent des solutions basées sur la diffraction. Cependant il y avait toujours des physiciens, comme Brewster et Poter, à Cambridge, qui défendaient avec acharnement la théorie corpusculaire. Chwolson, dans son énorme Traité d’Optique ( 1200 pages dont 15 sont consacrées à l’arc)  reconnaît que « La théorie complète d’Airy présente de grandes difficultés mathématiques et c’est là certainement la raison pour laquelle elle n’a pas encore pu être substituée à celle de Descartes ».  Il disait cela en 1906 et, encore aujourd’hui, on peut voir les schémas de Descartes dans presque tous les livres qui traitent de l’arc-en- ciel.

Même si on ne tient pas compte de l’avis des défenseurs de  la diffraction, il y a cependant dans l’explication de Descartes une erreur que je considère comme fondamentale et dont personne ne parle. Le comble c’est que les schémas proposés sont en contradiction avec les lois que Descartes, lui-même, a définies. Pour qu’une surface, un dioptre, séparant deux milieux transparents, en l’occurrence l’air et l’eau, puisse se comporter comme un miroir, ce qu’on appelle une réflexion totale, il faut que le rayon incident arrive sous un angle supérieur à 49° par rapport à la perpendiculaire à la surface. Ainsi l’angle formé par le rayon incident et le rayon réfléchi doit faire au moins une centaine de degrés. Il doit donc être  nettement obtus.

Regardez les dessins proposés (fig 1 et2) : l’angle au fond de la goutte est toujours aigu ! Le rayon ne peut se réfléchir que très partiellement, ce sont les reflets que l’on voit sur les verres de lunettes qui ne sont pas traités antireflets. L’essentiel de la radiation traversera la goutte et ne fera pas voir d’arc-en-ciel. Si, conscient du problème, on respecte la loi et dessine une réflexion correcte, c’est alors l’angle incident qui vient du soleil en frappant la surface sous un angle supérieur à 49° et qui ne rentrera pas dans la goutte (fig 3). Manifestement avec une goutte sphérique on ne peut expliquer l’arc.

  Fig 3

C’est alors qu’en 2012 une étude faite par des informaticiens de San Diego, aux USA, montre que les gouttes d’eau  qui tombent du ciel sont peut être sphériques, moins d’un dixième de millimètre de diamètre, dans les parties supérieures des nuages. Mais dès qu’elles prennent un peu de grosseur, elles se déforment, leur base s’aplatissant sous l’action de la pression atmosphérique. Effectivement avec des gouttes de cette forme on peut obtenir un dessin dont les rayons respectent les lois de Descartes. Mais alors, on ne parle plus de diffraction.

Il reste encore des problèmes à résoudre.

Par exemple,  si  les   gouttes  d’eau changent progressivement de forme  au cours de leur chute, comment se fait-il que l’arc soit toujours identique sur toute sa longueur ? On peut aussi se demander comment Descartes pu obtenir des valeurs d’angles exactes, alors que ses dessins sont incorrects ? Il faudra bien, un jour, que le monde scientifique tranche entre la réfraction et la diffraction et nous donne une explication de l’arc-en-ciel qui ne soit pas une théorie.

 

Fig 4 

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