INTELLIGENCES ANIMALES : CERVELLE D’OISEAUX ET MÉMOIRE D’ÉLÉPHANTS

Thèmes: Sciences, Société                                                                                                               Conférence du mardi 27 septembre 2022

INTELLIGENCES ANIMALES : CERVELLE D’OISEAUX ET MÉMOIRE D’ÉLÉPHANTS

par Madame Emmanuelle POUYDEBAT, directrice de recherche au CNRS et au Muséum d’Histoire Naturelle, médaillée d’argent du CNRS.

INTRODUCTION

L’intelligence permet l’adaptation à un milieu et l’évolution, aussi bien pour les humains que pour les autres animaux. On peut trouver une multitude de comportements et d’intelligences : outils, constructions, coordination, navigation, mémorisation, tricherie, automédication, culture, langages, émotions…

Au fur et à mesure de l’avancée dans les connaissances sur l’évolution et le comportement animal, la classification des espèces et la place des humains sont remis régulièrement en question. Ainsi a-t-on longtemps considéré le maniement des outils comme l’élément permettant de différencier les humains des autres animaux et de les considérer comme supérieur, mais on sait aujourd’hui que certains animaux dont les ancêtres sont bien antérieurs aux humains utilisaient probablement des outils.

Depuis une trentaine d’années, les recherches mettent en évidence le fait que les intelligences animales sont multiples et que l’intelligence humaine ne peut être prise comme référent. Tous les animaux sont dotés d’intelligence avec plus ou moins de variabilité, plus ou moins de diversité, plus ou moins de succès par rapport à leurs objectifs et à la résolution de problèmes aussi bien pour se nourrir que pour leur hygiène ou se reproduire.

I – Le comportement animal lié à la nourriture.

Le comportement des animaux dans leur quête de nourriture varie selon les espèces et les milieux, ce qui est déjà en soit une preuve d’intelligence.

Le singe capucin a un comportement très complexe pour casser les noix. En effet, il la pose sur une pierre creuse pour la caler et la casse en frappant avec une pierre qui peut être plus lourde que lui. Certains macaques mangeurs d’huîtres sélectionnent la pierre qui servira à casser le coquillage en fonction de la dureté de la coquille. L’animal sait donc adapter son outil à sa tâche. Certains oiseaux pourtant dépourvus de mains, au contraire des primates, utilisent des pierres pour accéder à la nourriture en utilisant leur bec.

Le cliché liant la taille du cerveau avec l’intelligence est erroné car cette dernière est liée au nombre de liaisons et à la plasticité de l’organe. Les expressions « tête de linotte » ou « cervelle d’oiseau » ne sont donc pas fondées.

Le maniement d’outils ou d’un autre élément n’est pas le seul moyen employé par les animaux pour se nourrir. Ainsi lors d’une expérience en laboratoire, on place trois rondelles et on met du sucre au milieu de l’une d’elle. Un premier bourdon est mis face à la construction. Il cherche et finit par récupérer la bonne rondelle en la ramenant vers lui en tirant la corde la reliant. Ses congénères ayant appris du premier bourdon vont directement à la rondelle qui cache le sucre. Ici, la coopération du premier bourdon bénéficie à toute la communauté qui ne perd pas de temps à chercher la nourriture.

La supercherie peut aussi être observée dans la quête de nourriture. C’est le cas de nombreux crocodiles, alors que les amphibiens et les reptiles souffrent d’une mauvaise image en matière d’intelligence. Certains crocodiles et alligators du Sud-est des Etats-Unis cohabitent avec des aigrettes qui construisent leur nid avec un bois bien spécifique. Les crocodiles placent sur leur corps ces mêmes branches et restent immobiles dans l’eau afin que les branches donnent l’impression de flotter. Lorsque l’aigrette s’approche pour saisir la branche, le crocodile attaque l’oiseau. Ici l’outil sert d’appât et est placé de manière raisonnée.

Certains animaux n’ont ni bec ni mains mais utilisent des outils pour attraper leur proie. C’est le cas d’une araignée de Namibie qui creuse des terriers d’environ 13 centimètres et qui empile des pierres, de préférence du quartz, tout autour de l’entrée. Ces pierres sont de taille similaire et sont disposées d’une manière bien précise. Certains scientifiques ont d’ailleurs surnommé cette araignée, araignée mathématicienne. Ce dispositif de pierres en cercle est attractif pour les proies potentielles mais permet surtout à l’araignée de passer un fil de soie autour des pierres en laissant le bout pendre dans le terrier. Lorsqu’une proie approche et touche le fils, l’araignée est immédiatement alertée et peut la capturer. Les pierres jouent un rôle d’attache pour le fil mais aussi d’amplificateur de bruit, le dispositif servant à détecter, par vibration, l’arrivée d’une proie.

Ce ne sont que quelques exemples de l’intelligence animale pour obtenir de la nourriture.

II – L’hygiène et la santé.

Certains animaux utilisent des outils non pas pour accéder à de la nourriture mais pour se soigner. Ainsi certains singes se servent de brindilles pour se curer les dents. Les ours utilisent des pierres pour nettoyer leur fourrure et la débarrasser d’échardes et autres impuretés. Les éléphants, qui ont une masse musculaire extrêmement puissante, peuvent cependant effectuer des gestes très précis comme lorsqu’ils utilisent une brindille pour se nettoyer les orteils.

Certains primates se construisent un nid dans les arbres pour y passer la nuit. Ils dorment parfois à plus de 5 mètres au-dessus du sol et doivent donc avoir une couche solide. La construction est donc essentielle mais on a aussi remarqué que ces « lits » sont construits dans certains arbres qui sont des répulsifs pour les moustiques. Les primates se protègent ainsi des piqûres d’insectes.

Les animaux savent aussi se protéger des intempéries. Les orangs-outans se protègent de la pluie avec de grandes feuilles.

Autre exemple de protection, les dauphins qui se protègent le nez, le rostre, avec des éponges. Finalement certains en ont fait un élément pour séduire leurs partenaires.

Toujours dans le monde aquatique, on peut citer des poulpes des eaux indonésiennes qui utilise des demi-noix de coco qu’ils trouvent au fond de l’eau et qu’ils empilent et transportent avec leurs tentacules. Quand ils se sentent en danger ils se cachent à l’intérieur d’une demie noix et replacent l’autre moitié dessus. Ce subterfuge vaut à cette espèce de poulpe le surnom de « pieuvre noix de coco ». D’autres études ont montré que des céphalopodes s’emmitouflent de coquillages pour se protéger des prédateurs.

Dans certaines situations, un animal doit utiliser plusieurs stratégies successives afin de se protéger. Ainsi un babouin poursuivi par une lionne commence par se réfugier dans les hauteurs d’un arbre mais la lionne attend en bas. Le babouin lance alors des branches sur le félin mais sans effet. Finalement il urine sur la lionne ce qui la fait fuir. C’est l’action la plus anodine qui fait mouche.

Chaque individu quel que soit son espèce a ses aptitudes pour survivre et la solution la plus intelligente n’est pas toujours la plus complexe

III – Comportements en matière de séduction.

Certaines espèces très colorées comme certains colibris ou paradisiers se tournent différemment selon la position du soleil afin de donner des reflets particuliers à leur plumage et paraître donc plus séduisants. Le cacatoès noir dépourvu de couleurs ne peut utiliser ce phénomène d’iridescence et s’est adapté en matière de séduction ; il émet une grande variété de rythmes en tapant sur une branche pour attirer une partenaire. Certains émettent des sons plus ou moins aigus et à des rythmes différents ce qui influe dans le nombre de partenaires et donc sur la possibilité de transmettre ses gènes. D’autres espèces, comme les oiseaux jardiniers, qui ne sont ni particulièrement colorés ni pourvu d’un chant remarquable, utilisent une autre technique. Ils décorent un parterre dans une couleur déterminée : rose, violet, gris, bleu … L’harmonie de la couleur des objets et leur placement est remarquable. L’oiseau ajoute une tonnelle et cherche à y faire passer la partenaire, synonyme d’accouplement espéré.

En matière de construction, le poisson globe mérite une attention particulière. On a longtemps ignoré d’où venait les rosaces que l’on pouvait voir sur le sable des fonds marins car l’observation des espèces marines est bien plus difficile que la plupart des terrestres.  Le poisson globe sculpte avec son corps et ses nageoires de grandes rosaces et ce durant 7 à 9 jours, 24h/24. Certains travaillent jusqu’à l’épuisement complet. Les femelles pondent au milieu de cette construction et c’est le mâle qui protègera les œufs.

IV – La mémoire.

S’il y a un domaine où les humains sont peu performants c’est la mémoire. Au contraire, la mémoire de certains animaux est très développée. Depuis des millions d’années, les animaux vivent et se développent par processus d’apprentissage et de traitement d’information permettant de résoudre un problème posé par l’environnement.

De nombreux animaux ont une mémoire visuelle remarquable. Un test réalisé par un grand chercheur japonais, Tetsuro Matsuzawa, avec des chimpanzés et des étudiants en ingénierie a mis en évidence cette caractéristique. Le test consistait à reproduire une séquence de chiffres après ne les avoir vus qu’une fraction de seconde. Les étudiants sont soumis au même test. Il est apparu qu’avec six mois d’entraînement, ceux-ci étaient moins rapides que les primates. Les chimpanzés réussissent à reproduire la séquence dans 80% des cas tandis que les étudiants n’y parviennent que dans 40% des cas. Cette mémoire visuelle de l’animal pourrait être due au fait que dans le milieu naturel les animaux doivent se rappeler des points d’eau ou de la localisation de leurs prédateurs ou encore des meilleurs lieux pour trouver de la nourriture.

On peut citer également les oiseaux stockeurs, comme le geai buissonnier, qui est capable de retrouver la nourriture qu’il a caché plusieurs semaines auparavant et ce avec peu de repères topographiques, tout comme le casse noix de Clarck qui retrouve 3000 graines sur les 10000 cachées dans les hautes montagnes américaines après 6 mois d’hiver.

V – La coopération.

Parfois, pour survivre les animaux doivent coopérer. La baleine d’Alaska doit manger une tonne de poisson par jour, il faut donc que la pêche soit très abondante. Afin de capturer un maximum de poissons, les baleines s’organisent en deux groupes. Certaines baleines sont des rabatteuses pendant que d’autres vont tourner en faisant des bulles et créer ainsi un cylindre de bulles pour faire remonter les poissons. Toutes les baleines quel qu’ait été leur tâche, participent au festin.

On a constaté que le rat est un des animaux les plus altruistes. En laboratoire, on place un rat dans un petit espace fermé et on place à l’extérieur un morceau de chocolat, denrée extrêmement prisée par les rats. On fait entrer un autre rat qui au lieu de manger le chocolat essaiera de libérer son congénère et ce plusieurs jours de suite. Et les rats partageront le chocolat !

Les éléphants sont aussi des animaux très altruistes notamment en sauvant les éléphanteaux lorsqu’ils s’enfoncent dans les marécages boueux ou en enlevant des lances plantées dans leurs congénères.

VI – Des sentiments et des attitudes pas seulement humaines.

On a longtemps pensé que seuls les humains étaient capables d’éprouver des sentiments ou d’utiliser la tricherie pour arriver à leurs fins. Or, les animaux ont eux aussi des émotions et utilisent des tricheries pour obtenir ce qu’ils souhaitent.  Ainsi, le drongo est capable d’imiter 45 cris d’alarme différents pour faire fuir les animaux et ainsi pouvoir récupérer la nourriture abandonnée par les animaux en fuite.

En ce qui concerne les sentiments, on a toujours du mal à détecter les émotions animales tout comme la souffrance. Un bel exemple des sentiments que peuvent éprouver les animaux est la scène d’adieu d’un chimpanzé à sa sauveuse, Jane Goodall lors de sa remise en liberté, ou encore la détresse, lors l’annonce de la mort de son chaton, de la femelle gorille Koko à laquelle on l’avait confié, elle qui ne pouvait « enfanter ».

CONCLUSION

Pour conclure on peut dire que si utiliser ou fabriquer des outils est remarquable, de nombreuses espèces qui n’utilisent pas d’outils ont des comportements extraordinaires. De manière générale, les animaux sont bien souvent plus malins que nous et nous avons bien des choses à apprendre d’eux. Par ailleurs, il est bon de rappeler que les humains ne tiennent qu’une toute petite place dans l’histoire de l’évolution de la vie sur Terre.

Il est aussi important de remettre l’intelligence à sa place ; elle est partout et plurielle et la vie en est dotée depuis 4 milliards d’années. Il est essentiel de ne pas hiérarchiser ou de comparer les animaux avec les autres animaux ou les espèces entre elles. Ça n’a pas de sens hors contexte.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages écrits par Emmanuelle POUYDEBAT :

-« L’intelligence animale ; cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants », préface d’Yves Coppens, chez Odile Jacob.

-« Quand les animaux et les végétaux nous inspirent », chez Odile Jacob.

-« Coppens, Lucy, moi et les autres », avec Gilles Macagno, (Bande dessinée).

– « Sexus Animalus ; tous les goûts sont dans la nature », avec Julie Terrazzoni, chez Arthaud

– « Atlas de zoologie poétique », avec Julie Terrazzoni, chez Arthaud

 

400 comptes-rendus des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches  et via le QRCode   

Un commentaire

  • Jean Michel BUCHOUD

    Oct 07, 2022

    Reply

    Pas si bêtes! Merci à Madame POUYDEBAT d'avoir essayé de nous montrer/démontrer que les animaux ne sont pas si bêtes. Avec sa force de conviction, Madame POUYDEBAT aura certainement réussi à convaincre les sceptiques. En exergue à cette conférence, je voudrais reprendre de la conclusion de la présentation cette sentence que prononçait en 1820 le naturaliste français Lamarck, et qui s'applique bien à l'Homme d'aujourd'hui : "On dirait que l'homme est destiné à s'exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable". C'était en 1820!

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