LES POUVOIRS ETONNANTS DE L’ODORAT

Thème : MEDECINE ET SCIENCES NATURELLES                                                                                                                             Mardi 16 mars 2004

Les pouvoirs étonnants de l’odorat

Par M. Pierre-Marie Lledo, Directeur adjoint du département des neurosciences à l’Institut Pasteur

L’odorat est le sens qui fut le plus longtemps négligé par les scientifiques et, plus globalement, par la société occidentale à travers les siècles. Pour vivre en communauté, l’homme devait refouler l’odorat estimait ainsi Sigmund Freud. Pour le père de la psychanalyse, de nombreuses pathologies provenaient de troubles liés à un odorat trop développé. Les théories démontrant l’« inutilité » de ce sens trouvaient leur justification dans l’anatomie comparée,  très en vogue à la fin du XIXe siècle.

La complexité et toutes les vertus de l’olfaction ne sont apparues aux scientifiques que depuis quelques années. Les découvertes liées aux recherches sur le sens olfactif devraient, à l’avenir, déboucher sur des traitements thérapeutiques pour la maladie de Parkinson ou encore pour le syndrome Gilles de la Tourette.

L’olfaction, un sens pas si archaïque

L’olfaction est un sens chimique hérité de notre lointain passé. Les actions des premières cellules qui peuplaient la planète étaient dirigées en fonction des gradients de molécules.

Le sens olfactif permet à un organisme d’être en contact direct avec les substances  environnantes et de reconnaître son environnement. L’olfaction a la particularité de permettre à ces substances d’accéder directement au cerveau, et d’agir notamment sur la sphère de l’inconscient et de conduire les actions et les choix.  L’olfaction est le premier sens à être fonctionnel, et ceci dès la vie intra-utérine. La survie du bébé dans les premières heures de sa vie est directement liée à cette reconnaissance par l’odeur. Plus tard, l’odorat continue à guider nos choix dans tous les actes de la vie quotidienne. Les industriels ne l’ignorent pas. Ils peuvent guider les consommateurs dans leurs achats sans qu’ils le sachent, par le biais d’odeurs diffusées dans les magasins.

D’un point de vue sémantique, il faut rappeler qu’une odeur n’existe pas. Ce n’est qu’une représentation mentale de l’activation d’un organe sensoriel. Les différentes odeurs seront perçues différemment selon les cultures. La lavande est associée, en France, à la propreté et les produits ménagers reproduisant cette odeur attireront les consommateurs. Si l’on fait sentir ce produit à un Indien, il ne ressentirait pas les mêmes choses. Les odeurs ont, en effet, une relation privilégiée avec la mémoire. Si on associe une odeur à un contexte agréable, cela se traduira par des activations au niveau cérébral, comme l’illustre la célèbre madeleine de Proust. L’olfaction peut faire ressurgir des souvenirs très anciens car l’intensité d’une odeur est gérée dans une zone au centre du cerveau qui gère les émotions.

Les odeurs sont traitées sur le plan hédonique. On aime ou on n’aime pas. Il n’y a pas de consensus. Deux dimensions apparaissent au niveau cérébral : la dissociation du contexte positif et négatif des odeurs, et l’intensité qui est associée aux émotions. Grâce à des arômes, on peut faire pleurer des gens ou les rendre très heureux. Sur le plan social, à l’inverse, certaines odeurs déplaisantes peuvent provoquer des rejets, ce qui se traduit dans le langage courant par des expressions telles que « Je ne peux pas le sentir ».

Du  tournant scientifique de 1991 à la découverte de cellules souches dans le cerveau

La longue désaffection des scientifiques vis-à-vis de l’olfaction provenait de la complexité de son codage. Contrairement aux autres sens qui ont un codage très simple – le codage spatial – l’olfaction ne base pas le traitement de l’information sur l’espace mais comme un détecteur de formes.

En 1991, les scientifiques ont compris la nature de ce codage. On sait aujourd’hui que les molécules odorantes reconnaissent des récepteurs, qui sont des protéines qui s’expriment sur des cellules appelées « neurones récepteurs », situées dans la cavité nasale. On en compte 5 millions. Cette information physique est ensuite convertie en information électrique. Notre cerveau reconnaît une odeur par la nature de ces ondes qui sont générées. Contrairement à ce que pensaient Freud et les tenants de l’anatomie comparée, notre patrimoine génétique est tourné vers la production de ces récepteurs. Ces protéines dédiées à la reconnaissance de substances extérieures représentent 3% de notre patrimoine. C’est de loin la plus grande famille de protéines. Le répertoire de gênes dédiés aux molécules odorantes et l’apparition de phénomènes électriques induits par les odeurs prouvent que l’olfaction n’est pas un sens en régression mais bien un sens en pleine évolution.

Grâce aux recherches dans le domaine olfactif, un vieux dogme est tombé : cette théorie selon laquelle les êtres humains naissent avec un certain nombre de neurones et qu’ils n’en font qu’en perdre après l’adolescence. On vient de découvrir que le cerveau olfactif, et lui seul, a la possibilité de produire de nouveaux neurones.

« Utilisez votre nez et vous vous porterez mieux ! »  En trois mois, il est possible de renouveler sa structure neuronale : chez l’adulte, un cerveau olfactif produit 1% de cellules par jour. Des recherches sur des souris et des singes ont montré que des neurones juvéniles peuvent s’intégrer dans l’organisme d’un animal âgé. Sur le plan thérapeutique, les scientifiques s’intéressent particulièrement aux molécules qui peuvent créer de nouveaux neurones. Cela permettrait de traiter des syndromes telles que la maladie de Parkinson.

La production de ces nouvelles cellules est directement liée à la stimulation sensorielle. L’exposition à des odeurs nouvelles permet de doubler la production neuronale. De plus, les expériences sur des animaux enrichis (dont le nombre de neurones a été doublé) montre que leur mémoire a été augmenté par 8. Elle est passée de 30 minutes  à 4 heures.

Les recherches futures portent sur trois axes :

Quels sont  les facteurs qui peuvent permettre à ces nouveaux neurones de s’intégrer dans un cerveau qui fonctionne déjà ?

Quels sont les facteurs qui vont faciliter la neurogénèse (production de neurones) ?

Quelles sont  les conséquences sur les pensées et sur le comportement ?

En savoir plus …

Coté Web :

http://www.pasteur.fr/externe

http://www.pasteur.fr/recherche/unites/Percmem/PML.html

http://www.silapedagogie.com/odorat.htm

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