LE BIO-TERRORISME

Thème : MEDECINE ET SCIENCES NATURELLES                                                                                                                            Mardi 21 Mars 2006

Le bio-terrorisme

Par  Pierre Reculard –  Pasteurien – Membre secrétaire du bureau du CDI

Le terrorisme concerne l’ensemble des actes commis par un groupe afin de créer un climat d’insécurité générale. Ces attaques se divisent en trois catégories, selon les armes utilisées : les armes conventionnelles (explosifs, tirs…), les armes chimiques (ex : l’attaque au gaz sarin dans le métro à Tokyo), l’attaque biologique (l’utilisation de toxines bactériennes ou de virus).

L’emploi des matières biologiques est ancien. Au XIIIe siècle, lors du siège de Kaffa, les Tatars lancèrent des corps de pestiférés sur les marins génois qui les assiégeaient. Au retour de ces derniers en Europe, la peste noire se répandit sur le continent, et provoqua la mort de 25 millions de personnes. A l’heure microbienne, le choléra et le botulisme ont été utilisés dès 1930 par les Japonais contre les Chinois en Mandchourie. En 1915, le charbon était déjà utilisé par les Allemands et les Français pour tuer les chevaux ennemis. En 2001, l’envoi de spores charbonneuses dans du courrier aux Etats-Unis a provoqué la panique.

On constate que les attentats dont on entend parler quasi-quotidiennement sont  pratiqués par le biais d’explosifs car ces matériaux sont faciles à obtenir, aisés à transporter et leur effet est prévisible. Au contraire, une attaque biologique est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre.

Des germes pouvant être utilisés par les terroristes

Les germes les plus dangereux en terme de terrorisme sont inscrits au tableau 1. Ils ont déjà été travaillés, utilisés et militarisés : le bacille du charbon (anthrax), le botulisme, la peste, la tularémie et la variole. L’arme idéale est celle qui provoque une assez forte mortalité mais surtout qui crée une incapacité chez les sujets, qui restent au lit pendant longtemps. La contagion n’est pas essentielle si l’on contamine de nombreuses personnes en même. Au niveau de l’infection, les voies les plus courantes sont l’ingestion, le contact et, surtout, la voie respiratoire.

Le bacille du charbon est un germe très stable, qui peut résister longtemps et à quantité d’agents, et qui infecte le malade par voie respiratoire. Les terroristes, déterminent un charbon pulmonaire qui indispose les individus pendant six semaines, qui n’est pas contagieux mais qui crée une mortalité importante. Plus de 1 500 laboratoires dans le monde possèdent du charbon classique et du charbon modifié génétiquement, certains ayant constitué des stocks (essentiellement en ex-URSS). Contre ce charbon, on a deux vaccins et des antibiotiques, si toutefois la souche y est sensible.

Le botulisme est un germe redoutable car il secrète une toxine facile à produire. Réalisé par ingestion, le botulisme peut être répandu sur des aliments ou dans des liquides (eau, lait…) Il provoque une paralysie des organes internes puis des muscles ; l’immobilisation complète s’achève par la mort de l’individu. Le seul traitement connu contre cette toxine est le sérum anti-botulinique. Là encore, les Russes  ont constitué des stocks dans les années 70.

La peste est un germe sensible mais il infecte facilement par voie respiratoire. Il y aurait danger si l’on arrivait à faire des aérosols pour le diffuser. Il n’y a pas de vaccin contre cette peste pulmonaire. Les antibiotiques fonctionnent, à condition que la souche n’ait pas été manipulée, or les Soviétiques en ont modifié la souche.

La tularémie est moins connue que les germes précédents. L’homme y est sensible par l’inhalation. La contagion n’est pas très grande, la mortalité est limitée – le malade reste immobilisé quatre semaines – mais ce bacille résiste bien et il est possible d’en constituer des stocks, ce que l’URSS avait fait.

La variole n’est pas une bactérie mais un virus. Ayant été éradiquée en 1980, on a décidé de ne plus vacciner les populations contre la variole car le vaccin pouvait provoquer des réactions dangereuses. Mais ce virus peut être redoutable car il se contracte par la voie respiratoire. On considère qu’il n’est pas très contagieux mais, « aérosolisé », il pourrait infecter un grand nombre de personnes, la contagion devenant exponentielle.  La variole est considérée comme une arme biologique probable pouvant être utilisée par des terroristes. Le 30 septembre 2002, le Capitole a été bouclé suite à une attaque à la variole. Il s’agissait d’une fausse alerte mais cela a conduit le Président Bush à lancer une campagne de vaccination sur les forces armées et sur tout le personnel médical.

Certaines études portent sur des staphylocoques ou des germes qui peuvent provoquer des fièvres ayant des formes cosmopolites (typhus) ou régionales (fièvre Q) et dont une seule bactérie suffit à infecter un homme. Une troisième catégorie d’armes biologiques potentielles concerne les agents qui sont probablement stockés par des Etats mais qui n’ont pas été militarisés. Les virus des fièvres hémorragiques (fièvre jaune, dingue, Marbourg, ébola…) sont particulièrement surveillés. Ces virus émergents ou réémergents sont transmis par des piqûres de moustiques ou, plus dangereux encore, par voie respiratoire (Marbourg, ébola). Un certain nombre de ces souches ont été détournées et stockées par des réseaux terroristes. Elles peuvent être également adaptées à nos climats.

Une étude américaine a montré qu’il était possible d’infecter une personne par le biais d’un aérosol avec très peu de germes ou très peu de virus. Dans le cas des fièvres hémorragiques, un seul germe suffit. On contrôle aussi des bactéries et virus qui sont dangereux pour les animaux ou les plantes. Le bio-terrorisme, cela peut être aussi de tuer le cheptel ou de détruire les récoltes.

Comment se préparer à une attaque ?

En premier lieu, il convient d’obtenir les informations sur les souches, sur leur transformation, sur les stocks… Après la convention de l’OMS en 1972 et l’interdiction qui s’ensuivit de se servir de ces armes, les différents gouvernements ont mis en place des contrôles sévères sur des laboratoires pouvant manipuler ces germes. Seulement, les scientifiques doivent l’évolution de leur carrière et leur notoriété à leurs publications dans des revues prestigieuses. Où mettre la limite entre une information dangereuse et une autre qui ne le serait pas ?

A l’issue d’une conférence à Denver (USA), en 2003, il avait été décidé de censurer les informations relatives à la militarisation de germes dangereux mais que les travaux concernant notamment la biologie moléculaire de ces germes pouvaient être publiés. Reste qu’en 2005, une publication américaine a révélé dans le détail comment une attaque terroriste pouvait introduire la toxine botulique dans une grande chaîne de produits laitiers.

Par ailleurs, certains renseignements peuvent être obtenus par internet. On sait aussi que ces laboratoires sont ouverts et entendent le rester : ils accueillent des stagiaires, des doctorants, et il est toujours possible qu’une de ces personnes appartienne à un groupe terroriste.

Dans cette situation confuse, il est difficile d’évaluer la menace ou la possibilité d’une attaque. Celle-ci dépend directement des moyens dont disposent les terroristes. A ce jour, ces groupes en sont incapables. Dans les années 90, la secte Om avait voulu lancer une attaque à la toxine botulinique sur Tokyo mais, ayant échoué, s’est retournée vers l’arme chimique et a répandu du gaz sarin dans le métro.

Pour qu’une attaque biologique soit efficace, il faut disposer des souches et pouvoir les stocker en conservant leur caractère pathogène, ce qui nécessite un matériel important. Ensuite, il faut les préparer pour les « aérosoliser ». Puis il faut les transporter et les répandre. Il semblerait que les avions de type épandage permettent la meilleure diffusion des germes, mais cela dépend aussi de variables météorologiques (pluie, vent…) et de la hauteur de largage.

Cela représente donc, du biologiste moléculaire en passant par le bactériologiste ou le pilote d’avion, une somme de compétences individuelles qui ne se trouvent que dans des infrastructures d’Etats. Un bio-terrorisme massif ne pourrait être lancé que par un Etat gouverné par des extrémistes ou intégristes, ou par un Etat voyou qui mettrait tout son potentiel au service de terroristes.

On considère que ce risque était assez évident dans les années 70 lorsque l’URSS menait des expériences dans un grand institut bien connu. Ces stocks existent toujours. N’oublions pas que l’Irak a été en capacité d’utiliser des armes biologiques. Les inspecteurs de l’ONU avaient découvert que les Irakiens disposaient de stocks de charbon sporulé, de toxine botulique, qu’ils avaient des missiles et des avions d’épandage modifiés.

Des scénarios catastrophes ont commencé à être élaborés et les systèmes de défense ont été accrus : observation par avions ou satellites, espionnage, organisme de veille sanitaire en relation avec l’OMS, laboratoires protégés (P4 et P3), bactériologistes entraînés à ces manipulations, des hôpitaux ayant des salles de dépression pour isoler les malades, des médecins et infirmières entraînés, des vaccins, des médicaments…

Les Américains consacrent trois milliards de dollars par an à ce terrorisme. Le degré de protection est inférieur en France, faute de moyens. Mais, à l’Institut Pasteur, une cellule d’urgence contre le bio-terrorisme, constituée de techniciens, bactériologistes ou virologistes pouvant intervenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a été mise en place depuis deux ans.

Selon moi, le bio-terrorisme par des commandos ne peut avoir qu’un effet de panique, par le biais d’attaques larvées ou de fausses alertes. Quant aux attaques massives, je ne pense pas qu’elles aient lieu dans l’immédiat parce qu’il existe bien d’autres moyens de destruction massive, à commencer par le nucléaire.

L’homme cherche à développer le bio-terrorisme mais n’oublions pas que le principal acteur de ce type de terrorisme est la nature elle-même, qui crée des virus naturellement émergents ou réémergents (grippe aviaire, chikungunya, variole…).

En savoir plus …

Coté Livres :

Bioterrorisme : Une réalité  au-delà d’un mythe

Ky Tran, Marc Daumal, Jean-Michel Guilbert, Audrey Baudeau

Editeur : Ellebore

ISBN : 2868980899

http://www.amazon.fr/Bioterrorisme-Une-r%C3%BF%C2%A9alit%C3%BF%C2%A9-au-del%C3%BF-mythe/dp/2868980899

Coté Web :

http://www.chu-rouen.fr/ssf/anthrop/terrorismebiologique.html

http://ifr48.timone.univ-mrs.fr/Fiches/Bioterrorisme.html

http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Bioterrorisme

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