Thèmes: Médecine, Sciences, Société Conférence du mardi 1er avril 2025.
Par Monsieur Guy LEWIN, docteur ès sciences pharmaceutiques, professeur retraité de l’Université Paris-Saclay.
INTRODUCTION
Un médicament est essentiellement composé de principes actifs et d’excipients qui n’ont pas d’activité thérapeutique.
Il existe deux types de principes actifs d’origine naturelle. D’une part un principe actif qui est une molécule naturelle extractible et isolable à partir d’une source naturelle ; d’autre part un principe actif qui n’existe pas à l’état naturel mais qui en est dérivé très étroitement. Dans ce cas, ce principe actif est obtenu par hémisynthèse. Cette dernière est un procédé en deux étapes : on extrait la molécule naturelle puis on la modifie pour obtenir la formation d’analogues hémisynthétiques.
Les sources peuvent être d’origine minérale, mais c’est rare, la très grande partie étant issues d’un être vivant d’origine végétale, animale (y compris l’Homme) ou d’un micro-organisme (bactérie ou champignon microscopique).
Quelques exemples de principes actifs d’origine naturelle
Comme exemples de principes actifs d’origine végétale, on peut citer ceux provenant du pavot somnifère qui produit des alcaloïdes à squelette morphinane. De l’extraction du pavot on peut obtenir de la morphine qui est un antalgique très puissant de niveau 3 selon le classement de l’OMS. On obtient également de la codéine par extraction mais en grande majorité on l’obtient par hémisynthèse à partir de la morphine, procédé plus économique. La codéine est un antalgique moins puissant que la morphine (niveau 2) et un antitussif.
Les principes actifs d’origine animale se sont raréfiés à cause des problèmes de sécurité sanitaire (crise de la vache folle, scandale du sang contaminé etc.) mais aussi à cause de l’avènement du génie génétique (technique de l’ADN recombinant) qui permet la production industrielle de principes actifs protidiques (protéines, peptides etc.) à l’aide d’organismes génétiquement modifiés (par exemple, le colibacille ou la levure de bière). On peut cependant citer le lysozyme obtenu par extraction à partir de blanc d’œuf de poule. Ce principe actif a été découvert par hasard par Flemming. Il a une action antibactérienne très modeste et sert à traiter les affections de la bouche et du pharynx.
Les micro-organismes producteurs de principes actifs sont des bactéries ou des champignons microscopiques. La production de ces principes actifs se fait par fermentation c’est-à-dire la culture du micro-organisme en milieu nutritif liquide. Un exemple est le Penicillium notatum qui est un champignon producteur d’AB antibactériens, les pénicillines G et V naturelles. Cependant, 95% des pénicillines utilisées sont hémisynthétiques et fabriquées à partir de pénicilline G. De nos jours, la plus prescrite est l’amoxicilline.
Les 3 histoires de découverte de médicaments d’origine naturelle retenues pour cette conférence parmi une trentaine racontée dans les deux ouvrages l’ont été pour leur aspect pédagogique (rôle de la médecine traditionnelle qui peut dire vrai et qui peut aussi se tromper ; rôle du hasard bien exploité [= sérendipité] par les découvreurs). Ce sont ces raisons et aussi la forme de présentation parfois humoristique qui justifient le terme de drôles d’histoires.
Trois drôles d’histoires
1) L’artémisinine, obtenue de l’armoise annuelle, est un puissant antipaludique. Le paludisme ou la malaria en anglais, est une maladie infectieuse due à un parasite du genre Plasmodium. En 2023, selon les chiffres de l’OMS, il y avait eu 263 millions de cas à travers le monde et 597 000 morts dont 95% sur le continent africain.
La recherche pour un antipaludique s’intensifie pendant la guerre du Viêt-Nam car aux morts au combat il faut ajouter ceux dûs au paludisme et cela dans les deux camps.
L’armoise annuelle est connue comme traitement des fièvres périodiques dans la médecine traditionnelle chinoise depuis 340 après J.-C. comme le constate la chercheuse chinoise Youyou Tu à la fin des années 1960. Youyou Tu bien que formée à la médecine moderne est passionnée de médecine traditionnelle et lit les écrits anciens dont Le manuel de prescriptions pour les situations d’urgence rédigé au début du IVe siècle. Youyou Tu et son équipe sélectionnent 640 remèdes utilisés contre la fièvre parmi lesquels l’armoise annuelle qui porte le nom de qinghao en Chine. En effet, l’injection d’extraits de cette plante à des rongeurs donne une réponse très positive, confirmée sur le singe puis l’homme. En 1972 sous la direction du professeur Tu l’isolement de l’artémisinine est réussi et sa structure est publiée en 1977. Plusieurs dérivés sont préparés : la dihydro artémisinine, l’artéméther et surtout l’artésunate. Il faudra attendre 2001 pour que l’OMS déclare l’artémisinine comme « un grand espoir apporté au monde entier par ce nouveau traitement venu de Chine ». Ces molécules sont toutefois réservées au traitement curatif et non préventif et sont utilisées en combinaison avec des antipaludiques d’autres familles (sous le sigle CTA = Combinaisons Thérapeutiques à base d’Artémisinine) pour éviter l’émergence de souches résistantes. Pourtant, l’arrivée de l’artémisinine bien qu’elle ait réduit le paludisme, ne l’a pas éradiqué. Youyou Tu obtient le prix Nobel de médecine en 2015 pour ses travaux sur l’artémisinine.
2) Les vinca alcaloides sont des alcaloïdes anticancéreux qui proviennent de la pervenche rose de Madagascar (Catharanthus roseus = Vinca rosea). Tout commence en 1952 lorsque le physiologiste Robert Noble qui travaille sur le diabète reçoit des feuilles de Vinca rosea de Jamaïque où les gens boivent la tisane de cette plante comme médicament antidiabétique. L’extrait n’abaisse pas le taux de sucre dans le sang mais plusieurs souris meurent par effondrement du nombre de globules blancs (leucopénie) ce qui donne à penser à Noble que les feuilles de pervenche pourraient être intéressantes dans le traitement anticancéreux, en particulier des leucémies. Cette découverte est un bon exemple de sérendipité, c’est-à-dire la découverte de quelque chose que l’on ne cherchait pas grâce à une exploitation intelligente du hasard.
En 1954 le chimiste Charles Beer se joint à Noble et en 1958, ils réussissent à isoler et à purifier un alcaloïde puissamment cytotoxique à partir des feuilles : la vinblastine. Aux Etats-Unis, Gordon Svoboda découvre une autre molécule très active : la vincristine. Ces molécules anticancéreuses par action antimitotique, sont utilisées en association dans de nombreux cancers solides et plusieurs hémopathies malignes comme les leucémies.
La production par extraction est faible car il faut une tonne de feuilles séchées de pervenche pour isoler quelques dizaines de grammes de vinblastine et uniquement quelques grammes de vincristine. La synthèse totale est très difficile et non envisageable industriellement (trop coûteuse) car c’est une synthèse dite asymétrique. En 1974 Pierre Potier, un pharmacien chimiste du CNRS et son équipe réussissent à préparer la vinblastine par hémisynthèse mais le coût reste trop élevé pour concurrencer l’extraction. Finalement lors des tentatives d’amélioration du rendement, une erreur de manipulation habilement exploitée (encore la sérendipité !) permet la découverte de la vinorelbine, un traitement des cancers du poumon et du sein. En recherchant quelques années plus tard à mettre au point une hémisynthèse d’un autre anticancéreux, le taxol (= paclitaxel), un composé découvert dans l’if du Pacifique, Potier et son équipe découvriront un nouvel anticancéreux, le docétaxel utilisé notamment contre le cancer du sein. On peut noter que c’est dans les ifs abattus pour la création d’une route sur le campus du CNRS de Gif-sur-Yvette où travaillait Potier, que la matière première de l’hémisynthèse à l’origine de la découverte du docétaxel fut extraite. Là encore, le hasard avait fort bien été exploité !
3) Le cas des rifamycines est également intéressant. La fin des années 1940 et les années 1950 sont l’époque de la découverte de grandes catégories d’antibiotiques issus de micro-organismes. En 1957, Piero Sensi qui travaille à Milan pour le laboratoire Lepetit demande à ses collaborateurs de rapporter de la terre de leur lieu de vacances afin de l’analyser. D’un échantillon rapporté par Ermes Pagani, du rivage de Saint-Raphaël sur la côte d’Azur, on isole un micro-organisme, Streptomyces mediterranei, aujourd’hui dénommé Amycolatopsis rifamycinica. Après culture en milieu liquide de ce dernier, l’équipe de chercheurs met en évidence une activité antibactérienne (comprenant une activité sur le Bacille de Koch = BK, responsable de la tuberculose) et la présence d’un mélange complexe instable qu’ils appellent rifamycines. L’observation de deux faits majeurs inattendus : l’influence du milieu de fermentation sur la composition en rifamycines et la transformation en solution aqueuse et à l’air de la rifamycine B en rifamycines O puis S, d’activité antibactérienne ++ in vitro mais – in vivo, influencera très favorablement la suite des recherches.
Un chimiste croate Vladimir Prelog détermine la structure des rifamycines B,O et S. Piero Sensi réussit à transformer la rifamycine S en rifamycine SV, plus hydrosoluble et d’activité antibactérienne +++ in vitro mais aussi in vivo. En 1963 cette découverte est commercialisée par voies injectable et locale pour le traitement des infections à staphylocoque doré ; aujourd’hui, seule la voie locale est encore utilisée (otite, conjonctivite etc.). En 1965, on découvre la rifampicine, dérivé hémisynthétique d’activité anti-BK très élevée par voie orale qui sera commercialisée en 1968 pour traiter la tuberculose. De nos jours, la rifampicine est toujours utilisée en traitement curatif et préventif de la tuberculose et d’autres maladies infectieuses.
En 1988 et 1993 deux autres dérivés hémisynthétiques arrivent : la rifapentine et la rifabutine. Ce qui rend remarquable le travail de Sensi et de son équipe, c’est qu’il ne s’est écoulé que 11 ans entre la récolte de l’échantillon de sol et la mise sur le marché de la rifampicine. Le nom rifamycines de cette nouvelle famille d’antibiotiques provient du fait que Piero Sensi avait donné au démarrage de ce programme de recherche sur cet échantillon de sol le nom de code « rififi » tiré du titre du film Du rififi chez les hommes. Quand on sait que le héros de ce film souffre de tuberculose, on se dit que le hasard là aussi a bien fait les choses !
Bibliographie
-Lewin, Guy, Drôles d’histoires de médicaments d’origine naturelle. Editions BoD. 2019
-Lewin, Guy, Nouvelles drôles d’histoires de médicaments d’origine naturelle. Editions BoD. 2021
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