DON D’ORGANES ET TRANSPLANTATION

Thèmes: Medecine, Sciences                                                                                                               Conférence du mardi 4 janvier 1994

DON D’ORGANES ET TRANSPLANTATION

Par le professeur Christian Cabrol – chirurgien cardiaque et un homme politique, pionnier de la greffe cardiaque

Les greffes d’organes

Les premiers succès des tentatives de greffes d’organes, dans les années cinquante, causèrent un bouleversement mondial comparable à celui qui se produirait à l’annonce des premières guérisons de cas de SIDA.

Mais l’on s’est rendu compte rapidement que derrière cette magnifique réussite médicale, il y avait une terrible vérité : on ne pouvait pas faire de greffes si l’on ne disposait pas d’organes à greffer.

Or, les organes à greffer ne se trouve pas en pharmacie. Nous seuls pouvons les donner. La seule solution est le don d’organes.

La première greffe historique a été faite en France, en 19.52 sur un jeune garçon. Un soir de décembre, ce jeune apprenti-maçon est tombé de son échafaudage. A l’hôpital, les chirurgiens découvrent que l’un de ses reins avait éclaté, ils en décident l’ablation sans savoir que le jeune garçon était né avec un seul rein. Il était perdu.

A Paris, quelques tentatives de greffes du rein avait été tentées, mais sans succès. Devant l’insistance de la maman du jeune garçon qui offre son propre rein à son enfant, l’opération est tentée la nuit de noël par le professeur Hamburger. La transplantation réussie et la presse se fait l’écho de cet évènement extraordinaire : « la première greffe d’organe en France a réussie ».

four après jour, la France entière suit les progrès du malade. Au bout de trois semaines, on commence à croire au miracle puis brutalement, en quelques heures le rein greffé cesse de fonctionner, le jeune garçon meurt.

On constate alors que le succès d’une greffe ne dépend pas seulement de l’aptitude du chirurgien à prélever un organe pour le réimplanter sur l’organisme qui en a besoin, mais surtout de sa capacité à faire tolérer le greffon par le receveur.

Chaque organisme possède en effet la propriété de reconnaître ce qui n’est pas à lui, de l’attaquer, de le détruire, de le rejeter, ce qui lui permet de se débarrasser des microbes qui l’envahissent. Mais il ne fait pas la différence entre les microbes dangereux pour lui et un organe salvateur étranger, il l’attaque de la même façon et tente de le détruire : c’est le rejet.

Comment trouver un organe qui serait « un peu moins étranger » ? Nous nous ressemblons tous, mais nous sommes tous différents. pourtant il existe des personnes tout à fait semblables : les vrais jumeaux (nés à partir du même oeuf).

Aux Etats-Unis, un jeune homme atteint d’une grave maladie des reins à la chance d’avoir un vrai jumeau qui lui donne l’un de ses reins. La greffe réussit. Mais les transplantations d’organes ne peuvent se limiter aux vrais jumeaux.

Il faut comprendre le mécanisme de rejet. Pour faire face à ce problème, deux moyens apparurent bien vite nécessaires. Tout d’abord, il fallait maîtriser par des médicaments cette réaction de l’organisme, ce qui fut obtenu de façon régulière dès 1963.

Ensuite, on devait minimiser la tendance au rejet en implantant sur le greffé les organes d’un donneur biologiquement compatible avec lui.

Le Professeur Lean Dausset découvre que parmi les caractères biologiques qui nous différencient ou qui font que par certains côtés, nous nous ressemblant il y a les antigènes des globules rouges du sang.

Les antigènes sont des substances particulières caractérisant l’individu qui les porte et capables d’induire la formation d’anticorps spécifiques chez un autre individu

Il classifie ces groupes d’antigènes de la même façon que les groupes sanguins : antigènes A, antigènes B, antigènes AB pour les groupes comportant les deux antigènes A et B, antigène O pour les groupes n’ayant pas d’antigènes.

Mais après certains échecs entre donneur et receveur aux antigènes compatibles, on s’aperçut qu’il existait d’autres groupes d’antigènes.

Les caractéristiques biologiques à prendre en compte ne dépendent plus seulement des groupes sanguins mais aussi des groupes plus compliqués, que Jean Dausset en 1958 découvrit en mettant en évidence la présence sur les globules blancs (leucocytes) du sang humain d’antigènes constituant le système HLA (Human Leucocyte Antigens). Le nombre de groupes de ces antigènes est infini. Pour limiter l’action de ces globules blancs qui provoquent le rejet, on utilisa de la cortisone et d’autres substances prescrites les cas de leucémie.

En 1961, grâce à ces nouvelles connaissances, la greffe de rein connue ses premiers succès.

Mais cette première réalité ne pouvait être qu’une aventure scientifique, elle était aussi une prise de conscience morale car jusqu’à maintenant elle n’existait qu’en fonction des dons des vivants.

Le prélèvement d’organes

Le prélèvement d’organes ne peut se faire que dans des circonstances très particulières, lorsque le donneur meurt brutalement et en pleine santé (accident de la route, attentat, etc.) et que l’un de ses organes, le cerveau, est détruit et irremplacable.

Une fois affirmé le diagnostic de mort cérébrale par des critères cliniques et électro-encéphalographiques extrêment précis et définis par la loi, le corps de la victime est maintenue en réanimation artificielle respiratoire. Le coeur, seul muscle indépendant du cerveau continue de battre à son rythme et tous les organes sont correctement irrigués et oxygénés, sauf le cerveau, car, détruit, il gonfle tant dans sa boite cranienne que le sang ne peut l’irriguer.

Ces quelques heures de survie des organes sont les seules qui permettent leur prélèvement, car peu à peu, chacun d’eux se détruira.

Des examens appronfondis vont rechercher la présence d’éventuelles maladies contagieuses, par exemple le SIDA, qui ne permettraient pas la greffe, et vérifier que les organes n’ont pas été altérés par l’accident ou l’arrêt du cerveau.

Lorsque tous les examens ont été effectués, la partie la plus difficile du chirurgien arrive : annoncer le décès à la famille et obtenir l’autorisation de prélèvement d’organes s’il sagit d’un mineur.

Le don d’organes

Le don du vivant, hormis le risque opératoire, comporte surtout un risque moral et en particulier lorsque le donneur doit subir la pression de sa famille qui tente de le convaincre de donner l’un de ses organes compatibles avec l’un des membres de cette famille. Peut-on dire dans ce cas que le don est volontaire ? Non, et pourtant la première condition d’un don d’organes est que le donneur soit volontaire.

Un autre risque moral peut intervenir, en dehors du cercle de famille, lorsque l’on assortit cette demande de don d’une récompense financière, ce qui se pratique dans certains pays où on assiste à l’achat et à la vente d’organes d’une façon très légale. En Inde, par exemple, l’achat et la vente d’organes se fait très couramment par petites annonces dans les journaux. Pour certains, tellement pauvres, c’est ainsi une façon de survivre.

Dans ses conditions, seuls les riches peuvent bénéficier de la greffe. Les pauvres, s’ils sont malades, peuvent mourir et s’ils sont sains ils constituent des réservoirs d’organes pour les riches.

Pour éviter ce commerce, la France a limité au maximum le don du vivant. Actuellement, il n’y a pas plus de quatre ou cinq greffes par an qui se font avec des donneurs vivants.

Si par exemple, une maman compatible offre son rein à son petit garçon, sa demande sera refusée. La seule exception à cette règle serait le fait que le groupe sanguin et leucocytaire du petit garçon et de la maman est particulièrement rare et donc offre une chance très minime de trouver un autre rein. Ceci est tout à fait exceptionnel.

Chacun d’entre nous est propriétaire de ses organes, de son vivant bien sûr, mais aussi après sa mort. Si aucun testament particulier n’a été établi, la volonté du défunt est toujours respectée, s’il avait exprimé, au cours d’une conversation quelconque, qu’il refusait que l’on prélève ses organes en vue d’une greffe.

Extrait du code civil – dalloz 1992-1993 Loi du 22.12.1976 n° 76.1181 –

Article I – En vue d’une greffe ayant un but thérapeutique sur un être humain, un prélèvement peut être effectué sur une personne vivante majeure et jouissant de son intégrité mentale, y ayant librement et expressément consenti.

Article 2 – Si le donneur potentiel est un mineur, le prélèvement ne peut être effectué que s’il s’agit d’un frère ou d’une soeur du receveur. Dans ce cas, le prélèvement ne pourra être pratiqué qu’avec le consentement de son représentant légal et après autorisation donnée par un comité composé de trois experts au moins et comprenant deux médecins dont l’un doit justifier de vingt années d’exercice de la profession médicale. Ce comité se prononce après avoir examiné toutes les conséquences prévisibles du prélèvement tant au plan physique qu’au plan psychologique.

Si l’avis d’un mineur peut être recueilli, son refus d’accepter le prélèvement sera toujours respecté.

Article 3 – Des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifique sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement.

Toutefois, s’il s’agit du cadavre d’un mineur ou d’un incapable, le prélèvement en vue d’une greffe ne peut être effectué qu’après autorisation de son représentant légal.

Article 4 – Sans préjudice du remboursement de tous les frais qu’ils peuvent occasionner, les prélèvements visés aux articles précédents ne peuvent donner lieu à aucune contrepartie pécuniaire.

Aujourd’hui, 6 000 personnes sont en attente d’une greffe. Pourtant la transplantation a accompli un bond fantastique. Les taux de survie des malades grefffés atteignent 90 % pour le rein, 80 % pour le coeur, 60 % pour le pancréas et les greffes coeur-poumons.

Des résultats obtenus grâce à la découverte de la cyclosporine, un médicament anti-rejet très efficace, mais aussi par l’amélioration de l’appareillage chirurgical, les méthodes d’anesthésie et les techniques de greffes.

Ces progrés spectaculaires ne doivent pas cacher une triste réalité : celle du manque d’organes à greffer.

* * *

France-Transplant –

Fondée par le Professeur Jean Dausset, Prix Nobel de Médecine, cette association regroupe tous les médecins français impliqués dans la transplantation d’organes. Reconnue d’utilité publique en 1978, elle obéit à trois objectifs principaux.

Le premier objectif consiste à tenir à jour la liste de tous les malades qui en France ont besoin et attendent une greffe d’organes. Le deuxième est de créer un laboratoire central qui possède une batterie de sérums-tests permettant de déterminer les groupes FILA de tous les malades en attente. Le troisième a pour but de maintenir une permanence téléphonique prête à recevoir les appels de toutes les réanimations où survient le décès, par mort cérébrale, d’une personne susceptible de donner ses organes.

La survie des malades étant lié à la découverte d’un nombre suffisant de greffons disponibles, il fut nécessaire d’orienter l’activité de France-Transplant vers une sensibilisation plus grande du public aux dons d’organes et à la meilleure préservation possible des greffons après la mort cérébrale.

En 1982, des « coordinateurs de transplantation », médecins hospitaliers furent envoyés dans sept régions arbitrairement délimitées sur le territoire national afin, d’une part d’accroître la sensibilisation au don d’organes dans le milieu médical et le public, et d’autre part, d’améliorer les conditions de prélèvement dans les différentes réanimations. En 1988, cette action fut confiée, non plus au seul médecin coordinateur, mais à l’ensemble des membres de France-Transplant, dans chaque région.

La répartition des organes obéit à des règles nationales établies par une commision d’experts médecins. Elles sont révisées chaque année en fonction des progrès scientifiques.

Ces règles tiennent compte des compatibilités mais également de l’état d’urgence des receveurs en fonction de leur date d’inscription sur la liste et des priorités locales. Ainsi, sauf cas d’urgence, quand il existe dans l’hôpital même du prélèvement des receveurs possibles, ceux-ci ont la priorité.

L’un des rôles de France-Transplant est de garantir la moralité des prélèvements et des greffes. Ce rôle fondamental est dévolu au Conseil Supérieur de la Transplantation qui est constitué par des grands pionniers de la transplantation : Jean Bernard, Jean Dausset, René Kuss, un certain nombre de juristes, de religieux et de philosophes.

France-Transplant fonctionne sous le contrôle permanent du Ministère de la Santé qui a deux représentants au sein de son conseil d’administration.

Ainsi, France-Transplant, la plus ancienne des organisations de ce type dans le monde, s’efforce de remplir au mieux sa double mission : secourir grâce à la greffe d’organes, tous ceux qui en attendent la vie en dernier recours, tout en préservant, dans ce domaine si sensible, les valeurs humaines les plus essentielles.

Le Professeur Cabrol tout au long de son exposé a insisté sur l’immense respect qu’il faut devoir aux familles qui acceptent le prélèvement d’organes de l’un des leurs. Respect pour le malheur qui les frappe, respect pour l’acte généreux qu’elles accomplissent en donnant leur autorisation de prélèvement.

* * *

N.B. – La carte de donneur peut être demandée à l’Hôpital Saint-Louis, à l’Association pour le Don d’Organes (France-ADOT).

 

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