MEMOIRE ET HISTOIRE

Thème: HISTOIRE  – SOCIÉTÉ                                                                                                                                                     Mardi 18 Mars 2014

MEMOIRE ET HISTOIRE

Par Danièle CARSENAT – Agrégée d’histoire

A l’aube des commémorations de la guerre de 1914-1918, notre conférencière Danièle CARSENAT a tenté de nous expliquer quelles sont les différences entre l’Histoire et la Mémoire. Cette réflexion nous à montré la formidable évolution de l’image de la France dans l’Histoire et sa mémoire depuis 1940.

« L’histoire n’avoue jamais » M. Merleau-Ponty

1- Histoire falsifiée, Histoire instrumentalisée :

Il est bon de rappeler que le mot « Histoire » à la même étymologie que le mot « enquête ». Le travail de l’historien consiste donc, en partie, à réinterroger le passé avec les problématiques du présent ; il est dans un sens, révisionniste par essence.

Mais bien que l’Histoire s’appuie sur des sources, celle-ci peut être sujette à différentes interprétations selon celui qui l’utilise. Nous avons vu ensemble quelles étaient les différents modes  d’utilisation de cette science.

La première idée que Mme CARSENAT a mise en avant est celle du stéréotype. A l’instar du Russe qui ne voit le Tchétchène qu’à travers l’image d’un barbare sanguinaire, le stéréotype est là pour jouer un rôle : celui de fédérer le groupe à travers une idée commune même si, pour autant,  il ne reflète pas l’Histoire. En France, un des stéréotypes le plus répandu reste celui de la représentation du Tiers Etat chevauché par le clergé et la noblesse. Cette image, datée du XVIIIème siècle , est encore enseignée aujourd’hui dans les manuels d’histoire, elle permet à la Nation de fabriquer son « Roman national » tout en oubliant les épisodes sordides de la guillotine ou de la Terreur…

L’Histoire enseignée est-elle donc toujours objective ? A l’instar du Japon qui évite soigneusement de donner les raisons du bombardement d’Hiroshima ou à l’image de Georges Orwell qui remanie les archives pour imposer une nouvelle version officielle des faits historiques dans son « Ministère de la Vérité », l’Histoire peut être amenée à servir des idées négationnistes ou  encore à servir la stratégie de « l’évitement ».

L’Histoire peut également être facilement mise en scène. Nous connaissons tous le fameux cliché de Doisneau intitulé « Le baiser ». Cette photo empreinte de naturel n’est en fait qu’une scène posée de deux étudiants de théâtre. A l’inverse, la tristement célèbre photo de la jeune fille brûlée au napalm lors de la guerre du Vietnam est, elle, une image de la vérité historique. Il faut donc toujours se méfier des images et connaître le contexte dans lesquelles celles-ci ont été prises pour pouvoir leur donner un sens.

« Une nation suppose un passé » disait Ernest Renan. Oui, vraisemblablement toute nation qui se construit à besoin de s’appuyer sur des valeurs et non pas uniquement sur une langue commune ou une quelconque ethnicité. Dans ce contexte, l’histoire coloniale des grandes puissances occidentales comme la France est souvent instrumentalisée. Enseignée dans un but négatif, elle sert de repentance à la Nation ; néanmoins, le risque de cette déformation historique est qu’elle conduit probablement à une certaine haine de soi.

Enfin, n’oublions pas que l’Histoire est, la plupart du temps, un récit patriarcal. Le roman national n’est construit qu’à travers un prisme masculin, privant l’Histoire de toutes participations féminines !

En définitive, il apparaît comme évident que moins on connaît l’Histoire, plus on finit par en faire un usage dévoyé. En citant Roger Chartier « Tout le monde consomme du passé recomposé », on comprend bien qu’aujourd’hui, entre l’inculture historique en général et l’effet « zapping » des informations, il y a à la fois instrumentalisation de l’Histoire et hypertrophie mémorielle.

2- Mémoires, lois mémorielles et devoir de mémoire. La mémoire tue-t-elle l’Histoire ?

Alors que la nation toute entière va bientôt plonger dans une série de commémorations relatives au souvenir de la guerre de 14-18, rappelons-nous quelles ont été les mémoires successives de ces deux guerres et plus particulièrement de celles du second conflit mondial.

Juste après la guerre de 39-45, le patriotisme était un mouvement majoritairement positif. A l’image du personnage de Fernandel dans « La Vache et le prisonnier » tous les Français étaient des résistants, puis avec la diffusion de « Nuit et brouillard », la question de la déportation a été posée et dans les années 70-80 la France est entrée dans l’ère du soupçon. L’image de la nation a été soudainement dévalorisée et de « tous résistants », les Français sont passés au statut de « tous collabos ». Dans les années 90, la sortie du documentaire sur la libération du camp de Falkenau a mis sur le devant de la scène la question du génocide juif, puis au début des années 2000 le sentiment général est plutôt devenu celui de  « tous bourreaux ».

En définitive, on peut comprendre que les successions de la Mémoire n’ont pas toujours une évolution très objective, ni très positive et c’est ici que se situe toute la complexité de l’Histoire et de son propre souvenir.

Faut-il des lois mémorielles pour autant ? La loi Gayssot en souvenir du génocide juif ou la loi Taubira pour la reconnaissance de l’esclavage sont-elles l’expression d’un devoir de mémoire ou bien d’une « guerre des mémoires » ? A ce propos, l’historien Pierre Nora tire la sonnette d’alarme et propose de nous focaliser sur des « Lieux de mémoire » plutôt que sur le dévoiement d’une mémoire excessivement dévouée qui pourrait devenir dangereuse  pour l’Histoire elle même.  De son coté,  Finkielkraut pense que l’excès de commémorations est contre productif ; il prend pour exemple la saturation de l’espace public par le souvenir de la Soah. Car l’abus de mémoire, alliée à  l’insuffisance d’histoire n’a d’effet que celui de dégoûter les jeunes générations et de provoquer, une fois encore, la haine de soi, voir celle de la nation toute entière.

Qu’allons nous donc commémorer dans les mois qui viennent ? La mémoire des faits rapporte encore aujourd’hui que la France est entrée en guerre dans le seul but de récupérer l’Alsace et la Lorraine, de nouveau, c’est notre propre nation qui se doit de faire son mea culpa. Et pourtant il n’en n’est rien, tout le monde semblant avoir oublié que nos soldats s’étaient alors engagés pour défendre des valeurs . Au nom de l’Union Européenne et de l’amitié franco-allemande, doit-on aujourd’hui encore véhiculer une idée falsifiée des responsabilités de la guerre et de ses enjeux ?

En définitive, à quoi sert l’Histoire si ce n’est à voir l’avenir ? Car l’Histoire est somme toute, une science déontologique qui, tout en s’efforçant de rester impartiale, re-problématise le passé avec les éclairages du présent. En évitant d’être sujette à toute instrumentalisation, l’Histoire permet à tout homme d’accéder à une conscience avisée tout en développant discernement et esprit critique. C’est donc à nous tous que revient la tâche de rester vigilant !

L’analyse de l’Histoire donnant du discernement, permettant de mieux appréhender le réel dans diverses échelles, aide au décisionnel et doit donc être enseignée aux enfants et ensuite à Sciences Po, dans les grandes écoles, etc.

En savoir plus…

Sur le Web:

http://classiques.uqac.ca/contemporains/lagueux_maurice/y_a_il_philo_histoire_MP/y_a_il_philo_histoire_MP_texte.html