L’HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN, DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

Thèmes: Histoire, Sciences, Société                                                                                                          Conférence du mardi 1er février 2022

 L’HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN, DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

Par Monsieur Didier DOULS, diplômé de l’Ecole du Vin de Paris, conférencier sur la thématique de l’histoire de la vigne et du vin.

INTRODUCTION

L’historien grec du Vème siècle avant J-C. Thucydide écrivait « Les peuples méditerranéens commencèrent à sortir de la barbarie quand ils apprirent à cultiver l’olivier et la vigne ».

Cette affirmation montre bien le lien qui a existé et existe toujours entre la culture et la viticulture. Une ébauche de vin a commencé dans le Caucase près de 6 000 ans avant notre ère comme le confirment les découvertes archéologiques. La culture de la vigne s’est diffusée dans le Croissant Fertile puis dans tout le pourtour du bassin méditerranéen grâce aux Phéniciens, aux Grecs puis aux Romains. Les découvertes des grands navigateurs des XVème et XVIème siècles permettront l’implantation de la vigne sur de nouveaux territoires. Par ailleurs, dès le Moyen-Age, les centres religieux stimulent la production de vin, nécessaire à la pratique du culte mais également synonyme d’hospitalité et de convivialité.

A partir du XVIIème siècle, l’essor croissant des échanges mondiaux favorisent aussi le commerce du vin qui est un produit très rentable entraînant ainsi l’augmentation considérable des surfaces viticoles. De nos jours, on privilégie avant tout une production de qualité reconnue par des appellations car la consommation a fortement chuté, notamment en France depuis le début du XXème siècle.

I- Du néolithique à l’Antiquité.

La vigne sauvage est bien antérieure à l’Homme ; on peut en effet attester de son existence déjà à l’ère Tertiaire. A cette époque, c’est une liane sauvage que l’on trouve en lisière des forêts et près des cours d’eau. Au Quaternaire la vigne sauvage s’implante sur le pourtour méditerranéen. Après la dernière glaciation, les Hommes, qui étaient encore chasseurs-cueilleurs, s’en nourrissent comme un autre fruit quand il existe sur leur territoire.

Les plus anciennes traces de la Vitis Vinifera Sylvestris (Vigne à vin sauvage) montrent qu’elle était déjà consommée par l’homme paléolithique il y a plus de 10 000 ans. Des recherches archéologiques dans la région sub-caucasienne notamment sur le site de Hajii Firuz en Iran actuel et de Shulaveri en Géorgie, nous révèlent que les hommes conservaient des grappes de raisins dans de grands contenants en terre cuite. Les grappes se tassant et s’écrasant sous l’effet du poids, donnaient un jus qui en fermentant donna naissance au premier vin. Lorsque l’on analyse les dépôts à l’intérieur des jarres trouvées sur ces sites on retrouve des traces d’acide tartrique, véritable signature de la présence de vin. Par ailleurs, si l’on se réfère à la Bible, après le Déluge, Noé aurait planté des vignes en Arménie actuelle et serait le premier vigneron de l’Histoire. Dans l’Avesta, le récit mythologique perse, on peut lire la légende du roi Jamshid tuant un serpent qui avait attaqué un bel oiseau ; ce dernier, pour le remercier, laisse une petite graine qui donna naissance à la vigne.

A partir du VIème millénaire avant notre ère commence la diffusion de la vigne dans le Croissant Fertile, d’abord en Mésopotamie puis jusqu’au delta du Nil. Ce processus prendra de nombreux siècles. On a retrouvé des jarres datant de 3500 av. J-C avec des traces de résidus de vinification ainsi que des objets vinaires en Israël actuel ainsi qu’en Turquie. Le vin se diffuse jusqu’en Egypte où sa présence est attestée par de grandes fresques représentant des scènes de pressurage et de vendange. Les Phéniciens quant à eux joueront un rôle majeur dans la diffusion vers les contrées occidentales de la Méditerranée notamment en Afrique du Nord où ils ont établi plusieurs comptoirs de commerce, dont Carthage, mais aussi en Grèce.

II- L’Antiquité : le vin dans le monde gréco-romain. 

Au IIème millénaire av. J-C, la vigne et le vin apparaissent en Grèce et en Crète. La vigne devient avec l’olive un élément essentiel de l’agriculture pour les Grecs. Ces derniers, grâce au commerce à travers la Méditerranée et l’implantation de comptoirs, développent la culture de la vigne. Les Grecs apportent la vigne dans la péninsule ibérique et dans le sud de la France.

En 595 av. J-C, des Grecs originaires de Phocée, ville située sur les rives de la mer Noire, fuyant les attaques des Perses, partent vers l’Ouest et fondent sur la côte française de Provence la cité de Massalia, répandant ainsi la culture de la vigne dans la région. Les conditions climatiques sont idéales pour développer ce premier vignoble français. Empruntant le Rhône, qui est une voie aisée de mobilité, les Grecs implantent des comptoirs commerciaux plus au nord jusque vers Montélimar.  Le commerce du vin se développe en Gaule.

Le commerce du vin s’effectue par voies maritimes et fluviales car le réseau terrestre est mauvais et les amphores en terre cuite sont fragiles. On a pu dénombrer jusqu’à 45 formes différentes d’amphores. Les formes et les timbres qui figurent sur ces amphores permettent de déterminer leurs date et lieu de fabrication ce qui aurait été impossible avec des fûts modernes en bois, matière biodégradable. Le plus grand centre de production de ces amphores est la Phénicie. La quantité de ces amphores est si importante que lorsqu’elles arrivaient à destination avec le vin ou l’huile on les détruisait et on les empilait donnant lieu à la formation d’authentiques collines comme le mont Testaccio à Rome. Si durant l’ère moderne on sabre le champagne dans l’Antiquité on utilisait aussi sa lame pour trancher le haut de l’amphore.

En 125 av. J-C, les Romains colonisent la Gaule, remplaçant les Grecs. Ils s’installent d’abord dans la Narbonnaise, région clé entre l’Italie et l’Espagne, entre les Alpes et les Pyrénées. La production et le commerce du vin connaissent dès lors un essor important et les vins de la Gaule narbonnaise commencent à concurrencer les vins italiens. C’est pourquoi en 92 l’empereur Domitien décrète la plantation de la vigne en Gaule comme interdite et ordonne même l’arrachage d’une partie des vignobles. Cette interdiction ne sera levée que deux cents ans plus tard par l’empereur Probus. Les Gallo-romains en développant la culture viticole améliorent aussi les procédés de vinification en améliorant la technique du vieillissement notamment en fûts de chêne qui se développent au Ier siècle de notre ère.

Par ailleurs, l’extension de l’Empire romain va entraîner celle de la culture et du culte du vin. Le Dionysos des Grecs devenu le Bacchus des Latins se voit vouer un véritable culte comme l’atteste la villa des Mystères de Pompéi. L’Édit de Milan de 313 marque la fin de la persécution des chrétiens dans l’Empire et indirectement favorise la viticulture car le vin est nécessaire pour le culte. Le vin devient aussi synonyme d’hospitalité, élément important du christianisme.

A la chute de l’Empire romain, en 476, l’Eglise maintient dans ses diocèses la culture de la vigne et répand sa commercialisation. Le vignoble s’étend dans toute l’Europe aidé en cela par l’extension des ordres monastiques.

III- Le Moyen-Age. 

A partir du Vème siècle et surtout après la chute de l’Empire Romain d’Occident, le christianisme concourt au renforcement de la valeur attachée au vin. Les cathédrales et les églises étant propriétaires des vignobles, les moines gèrent de nombreuses vignes, contribuant ainsi à la création de vignobles de qualité qui perdurent encore aujourd’hui. Les vitraux des cathédrales représentent souvent des scènes du monde viticole.

Au VIIème siècle, la naissance de l’islam en Arabie et sa rapide expansion en Afrique du Nord et en Espagne amène un ralentissement de la production viticole dans ces régions. Le Moyen-Orient perdra significativement sa vocation à produire du vin alors qu’en Espagne au fur et à mesure de l’avancée de la Reconquista on replante massivement des vignes.

En France, malgré les différentes invasions barbares, le vignoble va se définir et se développer autour des abbayes et des monastères. C’est grâce aux Cisterciens, ordre fondé en 1098, que se créent et se développent une partie des grands vins de Bourgogne (du clos de Vougeot à la Romanée).

L’Aquitaine, placée sous domination Anglais de 1152 à 1475, voit tout de même sa culture viticole se développer car les Anglais sont très friands de vin. Bordeaux et La Rochelle deviennent des ports essentiels pour l’exportation du vin vers l’Angleterre. Pendant tout le Moyen-Age, la France est le premier exportateur de vin. Paris et l’Ile de France sont le plus grand vignoble de France qui approvisionne les villes, grandes consommatrices de vin.

En 1224, un fabliau intitulé « La bataille des vins » écrit par Henri d’Andeli constitue une forme de premier classement des vins du vignoble français ; cela constitue également un témoignage important sur la nature des vignobles connus du XIIIème siècle. On trouve aussi un chapitre dans la tapisserie de Bayeux qui dit  » Ici ils tirent un chariot avec du vin et des armes » montrant déjà le lien entre le vin et les champs de bataille.

IV- De la Renaissance à la Révolution française.

L’Eglise continue de jouer un rôle important dans la viticulture et l’installation des Papes à Avignon (entre 1309 et 1418) devient le moteur pour l’arrivée de nouveaux vignobles dans la vallée du Rhône. Le vin est essentiel pour la liturgie mais aussi pour la consommation journalière des religieux et des courtisans. Il faut y ajouter la large utilisation du vin en cuisine (marinades, sauces, vinaigre …) aussi bien pour la conservation des aliments que pour leur cuisson. Les grands aristocrates contribuent eux aussi à certains changements. Ainsi, au XIVème siècle, Philippe II de Bourgogne œuvre à la promotion du pinot noir à la place du gamay qu’il n’appréciait guère.

Plus tard, François Ier, amateur de bonne chair et appréciant le vin, apporte sa contribution au déploiement de la viticulture. Il réunit le Beaujolais à son Domaine. Les guerres de religions entraînent la destruction de nombreux vignobles et au XVIème siècle certaines régions comme la Bretagne, la Normandie et la Picardie renoncent définitivement à la vigne car le climat et les sols sont peu propices. Cependant, la production de vin reste importante en France.

Dans l’art, le monde viticole continue à être très présent comme le montrent certains tableaux du Caravage par exemple qui peint Bacchus.

La découverte de l’Amérique en 1492, puis la rapide colonisation se double d’une expansion de la vigne. La conquête espagnole basée sur la christianisation du nouveau monde s’accompagne de plantation de vignes ; le vin étant nécessaire au culte. Bien que l’on trouve des traces de vignes dans le piémont andin l’essor viti-vinicole du Chili et de l’Argentine notamment est dû à l’apport de cépages européens parmi lesquels les bordelais, introduits dès le XVIème siècle.

Au XVIIème siècle, les Hollandais contrôlent le commerce du vin et les goûts de leurs clients du nord de l’Europe vont aux vins blancs doux et par conséquent contribuent à orienter la production de certaines régions. Les vins sont modifiés, chaptalisés et relevés. La demande en eau-de-vie est elle aussi en hausse. Le vin et ses dérivés sont si rentables que des édits doivent être appliqués pour arracher ou limiter la vigne et ce afin de préserver ou agrandir les domaines céréaliers qui nourrissent les populations.

Le vin est un produit prisé non seulement comme « boisson saine » mais il est aussi considéré par les médecins de l’époque comme un bon remède contre certaines pathologies. Ainsi les médecins de Louis XIV recommandent au souverain de boire du vin notamment pour apaiser ses crises de goutte. Le vin effervescent étant apparu au XVIIème siècle, un débat s’instaure (ordonnance de Fagon) pour savoir lequel du vin traditionnel ou de l’effervescent est meilleur pour la santé du roi.

Au XVIIIème siècle, on limite la production mais on est soucieux d’améliorer la qualité, ainsi Louis XV, en 1731, fait interdire toutes nouvelles plantations dans des régions où la qualité du vin est médiocre.

Le vin a toujours été taxé mais sous Louis XIII et Louis XIV la fiscalité augmente ce qui fait induit un accroissement de la fraude. Le vin est taxé à l’entrée des villes c’est pourquoi de nombreuses tavernes s’installent juste avant les péages, à la périphérie des villes (Mur des fermier généraux).

V- De la Révolution à nos jours.

La Révolution de 1789, en rétablissant la liberté de culture et en morcelant les biens de l’Eglise pour les distribuer au peuple, va profondément bouleverser le paysage foncier viti-vinicole français. La Révolution permettra une certaine démocratisation de la consommation de vin qui devient une boisson extrêmement populaire.  Une des premières mesures des Révolutionnaires est la destruction du mur des fermiers généraux, l’enceinte matérielle qui permettait l’encaissement des taxes d’entrée des denrées à Paris.

Les guerres napoléoniennes provoquent une pénurie de main-d’œuvre et affectent le monde viticole. Certains domaines sont détruits par le passage des troupes et les batailles. La production de Chambertin se maintient car c’est le vin préféré de Napoléon Ier.

Avec l’arrivée du chemin de fer, le transport du vin change radicalement. Auparavant, les voies fluviales étaient essentielles et avaient été améliorées par la construction de canaux comme le canal du Midi (1681), qui permettait de relier la Méditerranée à l’Atlantique, ou encore celui de Briare (1642) et du Loing (1723) la Loire à la Seine. Ce bon réseau avait permis aux vins du Sud de la France d’arriver à Paris mais le chemin de fer contribuera, avec la croissance des villes et de leur urbanisation, à sonner le glas de la production viticole en Ile de France.

Le phylloxéra arrive en Europe en 1862 et ravage les vignobles. On réussit à endiguer le problème en greffant des cépages locaux sur des pieds américains protégés de l’épidémie mais l’opération prend du temps. Avant de récupérer les surfaces d’avant le phylloxéra, la première guerre mondiale éclate, causant la destruction de nombreux vignobles en région Champagne notamment. A la destruction des plants vient s’ajouter un manque de main-d’œuvre important dû aux lourdes pertes humaines de la Grande Guerre. La production reprend et reste élevée tout comme la consommation qui atteint 128 litres par an par personne au début du XXème siècle. Le vin est un élément essentiel durant la guerre et les états-majors veillaient à ce que chaque combattant ait sa ration quotidienne de vin.

Toujours dans la première décennie du XXème siècle, une surproduction et une qualité souvent médiocre qui entraîne une chute des prix provoque des émeutes et des soulèvements dans le Sud de la France et en Champagne. Afin d’éviter ces problèmes de surproduction mais aussi de lutter contre la fraude, est créé en 1935 le CNAO le Comité National des Appellations d’Origine des vins et des eaux-de-vie qui deviendra l’actuel I.N.A.O qui réglemente le monde de la viticulture afin d’obtenir des vins de qualité dont les origines sont garanties. Après la seconde guerre mondiale, on dénonce les méfaits d’une grande consommation de vin et d’alcool en général. La consommation française passe de 128 litres par an par personne à environ 40 litres de nos jours. Il existe aujourd’hui 350 appellations qui mettent en valeur la qualité des vins français. En 2009, se mettent en place des AOP et des IGP qui ont pour but de conserver l’originalité des régions viticoles françaises, tout en donnant un cadre pour être concurrentiel sur le marché mondial. Enfin, en ce début de XXIème siècle, on assiste au développement du vin biologique ainsi qu’à l’essor de l’œnotourisme.

CONCLUSION 

Le vin est intimement lié à la culture et au fil des siècles l’art a reflété ce lien comme le montrent les nombreux fresques, peintures, vitraux et sculptures consacrés au monde viticole et à ses dieux.

Le christianisme a été le moteur de la vitiviniculture grâce aux abbayes et monastères au Moyen-Âge et avec la christianisation du Nouveau Monde. L’importance du vin est rappelée à chaque messe par la phrase « le vin est le fruit de la vigne et du travail de l’homme ».

Au XXème siècle, la consommation de vin s’est fortement généralisée mais dans la seconde moitié de ce siècle des campagnes cherchant à limiter la consommation d’alcool entraînent une forte baisse de la consommation de vin. Depuis quelques décennies on cherche à obtenir une production de qualité et non plus de grands volumes. La France est un des plus grands producteurs de vins de qualité reconnus par des AOC et des AOP et aussi un grand exportateur.

La culture de la vigne initiée par le viticulteur est reprise plus tard par les religieux, les rois, les poètes et les artistes. Le vin est de toute part chanté, dansé et dégusté et surtout il reste le symbole de la convivialité.

 

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