LES PHARES ANCIENS – D’Alexandrie à Fresnel

Thème : HISTOIRE ET SOCIETE                                                                                                                                                    Mardi 22 janvier 2013

LES PHARES ANCIENS – D’Alexandrie à Fresnel

Par Claude DARRAS – Vice président du CDI de Garches

L’existence des phares remonte à l’antiquité. Les grecs attribuent à Hercule leur invention. Leschès, vers 700 avant notre ère, plaçait le premier phare fonctionnant de manière régulière au promontoire de Sigée, abri de la flotte achéenne pendant la guerre de Troie.

La tradition mettait un fanal au sommet du Colosse de Rhodes et lui faisait enjamber les deux jetées du port, ce qui est fort peu probable. Cette statue monumentale faisait environ 35 mètres de haut. Construite en -285, par Charès, élève de Lysippe, elle était très solide mais a mal résisté à un séisme en -227 qui en a détruit la partie supérieure. Nous pourrions peut-être encore admirer ses ruines si, en 672, Mauviah, un lieutenant du calife Othman, ne l’avait pas fait démonter pour en vendre les pierres et le bronze qui la recouvrait..

Le plus célèbre des phares de cette époque est certainement celui d’Alexandrie. Ce serait Ptolémée Philadelphe, vers 280 avant J.C., qui aurait décidé de le construire sur l’île de Pharos, reliée au rivage par une lagune. Le nom de phare vient de celui de cette île. Son architecte, ou son commanditaire, est Sostrate de Cnide comme l’indique des inscriptions encore visibles sur les structures retirées de la mer lors de fouilles récentes. Celles-ci ont aussi rendu valable une hypothèse qui faisait d’Euclide l’auteur des plans de l’édifice. Il vivait à Alexandrie à cette époque. Cette Merveille du Monde  vraiment extraordinaire était une prouesse architecturale jamais égalée, haute de près de 100 mètres et dont l’éclat de ses lampes à huile portait à une cinquantaine de kilomètres ? On affirmait que la chaleur de ces lampes permettait d’incendier les navires ennemis qui s’en approchait à la manière des « miroirs ardents » d’Archimède à Syracuse … légendes évidemment. Très robuste il ne disparut qu’au XIV° S. C’est pourquoi nous possédons beaucoup de descriptions du bâtiment. L’effondrement des roches qui soutenaient le phare est la cause principale de sa destruction. Un séisme l’avait déjà fragilisé et  non seulement les arabes ne l’entretenaient plus, mais un calife arabe en démolit une partie croyant y trouver un trésor. Un siècle plus tard un bâtiment fut construit à sa place, le fort Qaitbay, doté d’un phare plus modeste.

Les romains construisirent plus de deux cents  phares sur tout le pourtour de la Méditerranée. Selon Suétone, les plus beaux étaient ceux d’Ostie et de Gènes. Pline vante aussi le phare de Messine qui signalait les rochers de Charybde. Mais l’histoire la plus surprenante est celle du Phare de l’Ordre, en Gaule à Gésoriacum, ancien nom de la ville de Boulogne. Construit par Caligula, dans les années trente, c’était l’étape finale de la Via Francigena qui venait de Rome pour aller ensuite en Bretagne (on ne disait pas Grande Bretagne). De là les troupes romaines traversaient la Manche et débarquaient à Douvres. Plus tard Charlemagne se servait de ce port comme base pour lutter contre les pirates normands. Ce phare a été en service jusqu’au XVII° siècle. Malheureusement la falaise sur laquelle elle était bâtie, minée par des sources et mal entretenue, s’effondra entraînant la tour dans les flots du rivage, en 1645. Les échevins de Boulogne cessèrent de payer le loyer au Baron Baincthum, propriétaire du terrain, puisqu’il avait disparu dans la mer. Celui-ci ne l’entendait pas ainsi et il entama une longue procédure. Le 1er juillet 1656, le Parlement condamna  Boulogne à payer la location au baron et à verser chaque année mille harengs saurs aux villes voisines pour n’avoir pas exécuté les travaux nécessaires à la conservation de l’édifice. Elle paya cette  redevance jusqu’à la Révolution !

De l’autre côté de la Manche, Douvres avait un phare semblable à celui de Boulogne. Il fut démoli et remplacé par une tour carrée dans le château au dessus des falaises.

La situation maritime de la Grande Bretagne l’obligeait à construire de nombreux phares sur ses côtes. L’un des  plus célèbres est celui d’Eddystone, sur un large écueil  face au port de Plymouth. Un premier phare fut bâti par un architecte fantaisiste, Henri Wistanley en 1696. La tour n’avait aucune qualité pour résister aux vagues et une tempête l’emporta avec son constructeur en 1703. Trois ans plus tard on entreprit de reconstruire un phare. John Rudyard s’y employa et fit un édifice solide. Mais il avait utilisé beaucoup de bois et, en 1755, un incendie le détruisit entièrement. Un des gardiens mourut des ses brûlures. Le récif était tellement dangereux qu’il fut décidé d’en construire un nouveau en tenant compte des malheureuses expériences précédentes. L’entreprise fut confiée à l’homme le plus compétent de l’époque, John Smeaton, l’inventeur du ciment hydraulique. Le phare bâti en totalité en granit fut inauguré le 24 août 1759 et il domine toujours les rochers.

D’autres phares anglais connurent des aventures, comme celui de Sunderland qui fut déplacé d’une seule pièce d’un quai à un autre, 150 mètres plus loin. Enfermé dans une charpente puis placé sur une plate-forme portée par 144 roues de locomotives, le déplacement dura un peu plus de treize heures. Cette performance ne fut jamais renouvelée. Citons encore le phare des Smalis, tellement difficile d’accès que des gardiens y furent bloqués quatre mois et que l’un d’eux mourut d’épuisement. Surprenant, le phare de North-Unst, au Shetland, construit au sommet d’un pic presque inaccessible dont la construction entraîna la mort de plusieurs ouvriers.

En France l’un des plus célèbres phares est celui de Cordouan à l’embouchure de la Gironde. Louis le Débonnaire, roi d’Aquitaine, en fit construire un premier  en 815. A cette époque l’écueil était relié à la Pointe de Grave. Puis le Prince Noir, en 1362, fit édifié un phare d’une vingtaine de mètres. Quoique détaché de la côte, l’îlot était encore important, puisque près de la tour une chapelle était consacrée à la Vierge et quelques maisons servaient de logement aux gardiens et à des pêcheurs. Un siècle plus tard une partie des rochers disparaissaient sous l’océan, entraînant le phare. Seule la chapelle résista encore pendant un an. Henri III commanda un nouveau phare. Les travaux commencés en 1584, ne furent achevés qu’en 1610, sous Henri IV, par le célèbre architecte Louis De Foix. Magnifique ouvrage, haut de 41 mètres, il comportait un appartement, dit du Roi, et une chapelle au deuxième étage, car on n’osa pas en construire une à côté du phare. Sous Louis XV, en 1727, le Chevalier de Borda, modifia la lanterne et installa de nouvelles lampes à huile, inventées par Aimé Argand. L’éclairage était dix fois plus lumineux. En 1789, Teulère, un ingénieur de Bordeaux, augmenta la hauteur de la lanterne à 65 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cordouan est le plus ancien phare en service. Il n’est plus occupé par des gardiens depuis juin 2012.

En 1774, près de Sainte-Adresse,  on construisit les deux phares de la Hève. L’un d’eux a été le premier à bénéficier de l’éclairage électrique. Citons le phare des Héaux de Bréhat, dont d’édification, sur un rocher recouvert par la mer en haute marée, a posé tant de problèmes. Plus extraordinaire celui de Nouvelle Calédonie, Amédée, entièrement construit à Paris et transporté là-bas pièce par pièce, en 1865. Nous connaissons bien tous les phares situés devant les ports. Certains ont perdu leur utilité parce que la mer s’est retirée, comme à Montreuil ou à Aigues-Mortes dont la Tour de Constance, bâtie par Saint-Louis, marquait le point d’embarquement pour les croisades.

Le plus haut phare du monde, construit en pierre de taille, est français et breton. C’est le phare de l’Île Vierge, dans l’archipel de Lilia. Sa hauteur est de 82,50 mètres et son éclat porte à 52 kilomètres.  Pensez que le phare d’Alexandrie était encore plus haut!

Les deux caractéristiques techniques d’un phare sont la portée et l’éclairage. La distance de visibilité du feu est limitée par la rotondité de la terre et par l’atmosphère qui incurve par réfraction la lumière et en absorbe une partie.  Pour qu’un phare soit visible à 50 kilomètres, la lanterne doit se trouver à plus de 80 mètres du niveau de la mer.

Certains phares sont équipés de corne brume, comme celui de Creac’h, sur l’île d’Ouessant à l’entrée de la Manche, que l’on peut entendre à près de 20km.

Les anciens phares avaient trois sources de lumière : le bois, le charbon et surtout l’huile.  L’éclat était augmenté et orienté par des miroirs qui furent paraboliques à la fin du XVIII° S.  En France, Arago, président de la commission des phares, confia à Augustin Fresnel l’amélioration du système d’éclairage au début du XIX° S. Celui-ci inventa des lentilles à échelons qui équipèrent plus tard, et définitivement, tous les phares du Monde. Fresnel mourut jeune, en 1827, et ne connut pas l’avènement de l’électricité qui marque le début de l’histoire des phares modernes. Mais sous son influence, le savoir-faire des ateliers parisiens devint tel qu’ils ont assuré la totalité du marché mondial pendant plus d’un siècle.

En savoir plus …

Coté livres :

Depuis la nuit des temps, les phares n’ont jamais manqué aux navigateurs. Léon Renard dresse dans cet ouvrage un panorama de leur évolution et invite le lecteur, avec des anecdotes, à pénétrer dans cet univers de vigilance et de courage.

      Auteur : Léon Renard       Editeur : La Découvrance éditions (19 mars 2008)      Collection : MARINE      ISBN-10: 2842655747

Coté Web :       

http://fr.wikipedia.org/wiki/Phare

http://fr.wikipedia.org/wiki/Phare_antique