L’EPOPEE DU METRE ETALON

Thème : Histoire, Sciences, Société                                                                                                                                 Mardi 22 Mars 2016

L’ÉPOPÉE DU MÈTRE ÉTALON

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par Daniel LEHAIN. 

A l’image Monsieur Jourdain qui « prosait » sans le savoir, nous utilisons au quotidien des unités qui nous paraissent d’une évidence naturelle. On a oublié qu’elles nous viennent de l’invention du mètre. Née d’une détermination politique, confiée à des scientifiques, ce fut une aventure tout aussi audacieuse que périlleuse.

Dans une France dont l’économie est exsangue, l’administration est en en ruine et la guerre menace sur tous les fronts, les révolutionnaires de 1791 lancent deux actions utopiques et pourtant primordiales : la rédaction des Droits de l’Homme et l’institution d’un seul poids, une seule mesure.

L’exposé relate cette aventure scientifique de 7 années, élaguant la complexité, pour privilégier sa dimension humaine et sociale.

INTRODUCTION

Le mètre est une invention française et pas des moindres. En effet il est universel et fait partie intégrante de notre vie quotidienne. Seuls les pays anglo-saxons continuent d’utiliser des mesures liées au corps humain : pouce ou pied. Le mètre étalon n’a que 200 ans car au cours de l’histoire bien des tentatives d’uniformisation des poids et des mesures avaient été tentées mais avaient échoué. Le siècle des Lumières et la place prise par la science poussent les chercheurs à établir une mesure qui sera acceptée par tous, ce sera le cas à la fin du XVIIIè siècle.

I Histoire des mesures avant le mètre étalon.

Au début, la numération à dix paraît logique car nous avons dix doigts. Mais, très tôt dans l’Antiquité les astrologues orientaux ont imposé le douze. Ce phénomène perdure car on divise toujours l’année en douze mois et l’heure en  deux fois douze heures, on parle toujours en douzaine pour les œufs ou les huîtres. Dans l’Antiquité, au moment de l’essor de l’agriculture et donc du début du commerce, les Mésopotamiens, les Egyptiens et les Grecs ont utilisés les douze phalanges des quatre doigts d’une main et utilisent les doigts de leur main libre pour compter les douzaines. On arrive ainsi à soixante. Pour les longueurs on utilisait les mesures anthropomorphiques. On trouve ainsi la toise, la lieue (distance parcourue en marchant régulièrement durant une heure), la perche (entre 6 et 7 mètres), l’aune (longueur du bâton de marche), la coudée, le pied (environ 33 centimètres), le pouce (environ 2,5 cm), le doigt et la ligne (un douzième du pouce). Toutes ces mesures vont être réglementées et grâce à l’Empire Romain il y a une certaine homogénéité qui sera maintenue sous Charlemagne. Avec le Moyen Age et la féodalité chaque seigneur acquiert le droit de fixer ses propres étalons et battre sa monnaie. Cela donnera lieu à une profusion de mesures et engendrera un sérieux frein au commerce. A la Renaissance, François Ier puis plus tard Louis XIV ont essayé d’uniformiser les mesures mais ce fut un échec. Sous Louis XV, en 1778, on peut recenser plus de  2000 mesures, par exemple 200 valeurs rien que pour la livre. Autre exemple, la lieue qui varie selon la province, cela donne des écarts allant de 3,9 kilomètres à 5,8 kilomètres. Louis XVI, roi qui s’intéresse peu à la politique, veut que le peuple s’exprime à travers les cahiers de doléances. Une des principales demandes est qu’il n’y ait qu’un poids et une mesure. Le Roi est favorable à ce projet ; cependant, le 21 juin 1791 il est arrêté dans sa tentative d’évasion. Néanmoins, les hommes de la Révolution, qui cherchent à effacer toute trace du passé, restent déterminés à mener à son terme le projet.

II Etablissement du mètre étalon

En 1790 l’Assemblée nationale décide d’établir un système de mesure unique. Mais comment définir le mètre? Un choix arbitraire ne permettrait pas d’obtenir un consentement universel. Le projet est confié à des savants de renom (Borda, Condorcet, Lagrange, Lavoisier et Monge) qui proposent de définir le mètre comme le dix millionième du quart du méridien terrestre. Le fait de se référer à la Terre, permet l’universalité de la mesure. Il reste donc à déterminer la longueur exacte du méridien.

Le premier a avoir fait une approche scientifique est le Grec Eratosthène en 250 avant J-C, qui arrive au résultat de 39 300 kilomètres ce qui est très proche de la mesure exacte et ceci avec des moyens très simples. En 1670, le français Jean Picard, en utilisant la triangulation, arrive au résultat de 40 036 kilomètres. A partir du milieu du XVIIIè siècle on bénéficie de la trigonométrie sphérique.

Condorcet qui est en charge de mettre sur pied l’expédition qui permettra la mesure définitive, a le souci de la perfection afin qu’elle ne soit pas contestable et donc adoptée par tous. 

Deux astronomes, Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain, sont chargés de mesurer ce méridien. Pour mesurer les longueurs ils utiliseront les règles de Borda mises au point par le mécanicien Etienne Lenoir et pour mesurer les angles ils utilisent le cercle répétiteur inventé aussi par Borda et Lenoir.

Delambre et Méchain n’effectueront les mesures que sur un arc suffisamment long de ce méridien. Par proportionnalité ils pourront alors calculer la longueur totale. Cet arc appelé méridienne s’étend sur près de 1100 kilomètres de Dunkerque à Barcelone. 

Méchain part vers le Sud et Delambre vers le Nord. Cette double expédition durera jusqu’en 1799 à cause des événements politiques mais aussi des difficultés quotidiennes. En effet, il faut monter le matériel en haut des clochers, franchir des montagnes, braver le froid puis les fortes chaleurs ou les pluies. Pierre Méchain est un homme de terrain expérimenté qui est assisté par Tranchot, Estéveny et un cocher. Très soucieux de l’exactitude de ses mesures, Méchain ne confiera que des tâches subalternes à ses assistants et effectuera lui-même toutes les mesures. Son voyage est semé d’incidents car la Révolution éclate le jour même de son départ. Finalement il arrive à Barcelone le 23 juillet où des émissaires du Roi d’Espagne l’accueillent chaleureusement et lui apporte son soutien. Méchain bénéficiera même de l’aide d’assistants espagnols. Cependant, le 21 janvier 1793, Louis XVI ayant été guillotiné, l’Espagne entre en guerre contre les révolutionnaires français. Une armée de catalans du sud envahit le Roussillon espérant reconstituer le royaume des Baléares antérieur au traité des Pyrénées. Méchain se retrouve bloqué à Barcelone.

De son côté Delambre, lui aussi reconnu par ses pairs, forme une équipe composée par Belet, Lefrançais Delalande, un artisan orfèvre et un cocher. En août 1792 les Autrichiens envahissent le Nord-Est de la France, les troupes révolutionnaires résistent comme elles peuvent. Delambre se cantonne à étudier des points de Paris. Le 21 septembre, la première République est proclamée et les déplacements sont difficiles. Finalement en avril 1793 Delambre obtient les laissez-passer nécessaires et peut se déplacer vers Dunkerque. Cette même année Delambre apprend la suppression de l’Académie des sciences de laquelle il a été destitué avec cinq autres académiciens.

Méchain quant-à lui ne peut toujours pas sortir de Catalogne, alors, il se rend au Montjuic et poursuit ses mesures. Il sera gravement accidenté et devra passer de longs mois de convalescence chez un médecin barcelonais. Toujours bloqué à Barcelone, après son rétablissement, Méchain reprend ses mesures et constate horrifié qu’il y a un petit écart avec les premières mesures. Il est extrêmement découragé. 

Le 1er juillet 1794 des étalons provisoires sont établis par la Convention : le mètre et le grave (le kilo). L’unité de longueur de référence tire son nom du grec « metron » qui veut dire mesure. On envoie le mètre étalon à chaque préfecture et des mètres sont gravés à Paris pour familiariser les gens.

En avril 1795 Méchain réussit à embarquer pour Gênes et en juillet 1795 il accoste à Marseille bien décidé à reprendre ses mesures suite à l’erreur constaté à Barcelone. Finalement il s’avérera que le léger écart était dû à un manque de précision des instruments. 

En avril 1795 le mètre remplace officiellement toutes les unités précédentes. On introduit ses multiples et sous multiples. Le mètre s’étendra d’abord en Europe puis dans la plupart des pays du monde. A partir de 1840 l’utilisation du système métrique devient obligatoire. 

CONCLUSION

Après diverses tentatives pour uniformiser les mesures, il faudra attendre la fin du XVIIIè siècle pour que le mètre étalon soit adopté. Bénéficiant d’une référence à notre planète et d’une grande rigueur scientifique il sera largement adopté au niveau mondial.

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