L’ACTUALITÉ DU MESSAGE DE PIERRE TEILHARD DE CHARDIN

Thème: HISTOIRE                                                                                                                                                                 Mardi 12 Novembre 2013

L’ACTUALITÉ DU MESSAGE DE PIERRE TEILHARD DE CHARDIN

Par Remo VESCIA, Président honoraire du centre Européen Teilhard, Commissaire de l’Exposition

L’exposition “Ensemble, construisons la Terreréunit en premier lieu deux figures majeures de l’histoire de l’humanité : François Bernardone (1181-1226) et Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) puis, en confirmation de ce choix opéré à travers les siècles, un personnage moderne, François Cheng, vient à leur  rencontre, par delà l’espace et le temps, en poète et calligraphe franco-chinois. Né en Nanchang en Chine, en 1929, arrivé en France, à l’âge de vingt ans, il est entré à l’Académie Française en 2002.  Son dernier livre Assise  raconte sa rencontre avec cette ville et son célèbre habitant.

Malgré les sept siècles qui séparent François d’Assise et Teilhard de Chardin, un même souffle les habite : tous deux, sont des ‘aventuriers’ épris de l’amour de l’Univers et du Monde, de l’Homme et  du Cosmos et par dessus tout, du Christ, Dieu fait homme. Ce sont des poètes amoureux de la Vie, de l’Esprit, de ce Dieu d’Amour qui donne sens à leurs vies. Grands croyants, fidèles à l’Église à laquelle ils se sont voués leur vie durant, – même si, souvent, ils ont souffert d’être en opposition ouverte avec elle. Tous deux étaient convaincus d’avoir à la changer, et d’avoir à changer la vision du monde dans lequel on vivait,  et cela par un retour aux sources. Ils avaient tous deux foi en cette religion chrétienne catholique, instaurée par Saint Paul et par les évangiles, en particulier celui de Saint Jean, avec le Christ, Dieu d’Amour, mort et Ressuscité, l’Alpha et l’Oméga, Centre et Sommet de l’Univers. Par leur regard pur vers l’Essentiel,  la relation de l’homme à Dieu a été transformée, progressivement et inéluctablement et, nos sociétés à la dérive et à la recherche de sens, peuvent maintenant se référer à ces personnages majeurs de l’histoire de l’humanité. Ils  sont l’un et l’autre, plus que jamais, nécessaires et d’actualité. Tous deux profondément convaincus qu’il ne suffit pas de prêcher la bonne nouvelle ou même de s’en détourner, mais de suivre et de vivre le Christ Dieu d’Amour, – sa Vie, sa Passion, sa Mort en Croix  et sa Résurrection qui demeure le message éternel de la Révélation Chrétienne.

L’Alpha et l’Oméga à l’origine du Cosmos et de l’Évolution

Pour mieux les retrouver et les comprendre, il faut commencer par s’intégrer à leur histoire, à son cours et à sa manière de s’inscrire dans une cosmologie universelle et ce qui peut en constituer la clé d’intelligence : l’évolution. Elle est à la base et la référence primordiale de ce rapprochement. Car si on peut dire que  l’évolution est l’hypothèse la plus importante que l’intelligence humaine ait émis depuis longtemps, on peut dire aussi qu’elle est issue en droite ligne, de la Bible et commence aux Livres de la Genèse. L’Evolution n’est pas une théorie, à déclaré en 1975 Jean-Paul II, c’est une réalité. Et Benoît XVI , en 2006 : le Christ  est le sommet de l’Evolution. Certes au temps de François d’Assise la Science n’occupait pas la place prépondérante qui est devenue la sienne dans le paysage intellectuel contemporaine génératrice de tant d’avancées techniques, comme elle l’a été pour Teilhard, grand scientifique, paléontologue du XXe siècle. Mais cette différence, qui semblerait les séparer, n’entame en rien leur perception commune de la foi en un Dieu trinitaire, créateur du ciel et en Jésus Christ, le nazaréen né à Béthléem, injustement condamné, et ressuscité des morts pour notre salut. Car la Foi ne relève pas de la Science mais de la confiance qu’ils ont fait de manière personnelle et solennelle, à l’Amour Incarné. Car la connaissance a donné à l’homme la perception de sa responsabilité du devenir du monde.

Aussi peut-on se demander : l’Évolution ou dans le vocabulaire teilhardien, la cosmologie, procèderait-elle d’une grande idée à laquelle François comme Teilhard  ont été sensibles, même si cela n’a pas été perçu et explicité de la même manière, par l’un et par l’autre ? « Au commencement était le Verbe, dit l’Evangile de St Jean, depuis deux-mille ans, et le Verbe est Dieu. Le Verbe était au commencement et le Verbe est Dieu. » A travers le vocable Verbe, source d’énergie créatrice, souffle créateur, on comprend que  l’Énergie primordiale transcende ce qui est directement observable. Et ils ont pu en déduire, en bons chrétiens, qu’il y a Quelqu’un d’antérieur à tout et au temps lui-même, source première de toute vie et de tout amour, Quelque chose de plus Fort, de plus Grand et de plus Intelligent que nous tous qui nous réunit depuis l’origine du monde : l’Alpha et l’Oméga de Tout. Un très haut, tout puissant et bon Seigneur que nul homme est digne de nommer … comme dit François; un Seigneur de la Consistance et de l’Union qui occupe le Cœur de la Matière…, comme dit Teilhard.  Les chinois disent le Souffle…Au moment où le monde connaît une grave crise économique le besoin de sens devient prioritaire et un effort de redressement, basé sur la reconnaissance des vraies valeurs morales et spirituelles paraît plus nécessaire et plus urgent que jamais. Foi et Raison ne sont-elles pas des chemins de vérité destinés à fonder l’espérance humaine, afin que la marche en avant de l’humanité se poursuive, plutôt que de se laisser berner par les facilités du matérialisme ?

Certaines personnes de grande valeur souffrent d’allergie au surnaturel, à tout ce qui n’entre pas dans le cadre démontrable de l’expérimentation scientifique. Respectons leur foi dans la toute puissance d’un Hasard génial qui leur permet de considérer leur propre intelligence comme son œuvre. Mais observons que même si nous ne reconnaissons que le Hasard comme cause unique du devenir du monde, il leur faut admettre que c’est le hasard qui les a conduits à choisir cette solution et que par conséquent ils ont une chance sur deux  de se tromper… Alors, autant s’en remettre au pari de Pascal !Or Pascal, pas plus que François d’Assise ou Teilhard de Chardin, ne nous semble être le fruit du hasard. Ils paraissent  plutôt des réussites et des mises en œuvre personnelles. rement assumées, du message christique vécu librement et personnellement, chacun selon sa personnalité et son temps. Le Christ lui-même, peut-il paraître le fruit du hasard ou même celui de l’imagination des hommes ? Il parait, au contraire, comme l’aboutissement d’une longue histoire, précisément celle que relate la Bible, pour constituer enfin, le « sommet de l’évolution », selon l’heureuse expression de Benoît XVI. Aussi Teilhard, qui toute sa vie a été un grand admirateur de François d’Assise, pénétré de l’idée d’évolution – qu’il qualifie de cosmogénèse, car elle englobe le devenir de tout l’Univers – pourra résumer sa pensée, à la fin de sa vie, de cette manière très simple : dans la dynamique de la Cosmogénèse – dans l’histoire de l’Univers – il y a la biogenèse, – l’histoire de la Matière Vivante –, puis la noogenèse –  l’esprit des hommes pour humaniser la Terre avec la christogenèsel’Incarnation du Christ, Fils de Dieu fait Homme .

Cette Cosmogénèse peut s’épanouir en noogenèse,  par la montée de la noosphère  – ( noos =  esprit ) – enveloppe spirituelle, de la pensée, analogue à la biosphère, enveloppe organique de la vie matérielle. La tâche de l’homme consiste à humaniser la matière vivante grâce à la raison et à la conscience éthique dont il est seul à être doté, à se spiritualiser par l’élévation de son esprit, pour se diviniser en une marche en avant vers le point Oméga, le Christ Éternel.  Pour qu’on soit éclairé et que l’on prenne conscience du merveilleux don qui nous est fait, pas seulement celui, magnifique, de la vie et de la dignité de notre condition, mais surtout de l’invitation à nous élever en l’Esprit, dans l’émerveillement de la Beauté Divine. Aussi Teilhard peut écrire : « La création est un grand livre ouvert à la recherche et à la  contemplation des hommes. Nous avons soif de voir et de connaître… Dieu est pour nous l’éternelle découverte et l’éternelle recherche… Nous marchons conscients d’avoir le monde à diviniser »

En s’humanisant la matière est appelée à se sublimer en Esprit et l’on comprend qu’après le merveilleux ‘Cantique des créatures’ de St François  d’Assise  Loué sois-tu Seigneur pour notre frère soleil, Teilhard puisse, à son tour, entonner l’extraordinaire ‘Hymne à la matièreBénie sois-tu, universelle Matière, Durée sans limites, Ether sans rivages, Triple abîme des étoiles, des atomes et des générations, toi qui débordant et dissolvant nos étroites mesures. nous révèle les dimensions de Dieu.

St François paraît comme le plus bel exemple d’intelligence de l’Amour infini du Christ, avec lequel il s’identifie tellement qu’à la fin de sa vie il en reçoit les stigmates. Et Teilhard, comme le plus bel exemple d’Amour de l’Intelligence lumineuse du Christ, au point de ‘sortir’ lui-même de la vie, le jour de Pâques 1955, le dimanche de la Résurrection, comme il l’avait souhaité. Tous deux ont librement et totalement consacré leur vie à cette Vérité faite Homme : le Christ Éternel, sommet de l’évolution. Car ils ont compris, tous deux, le mystère de l’Incarnation du Christ.Ils ont donné un sens à leurs vies en s’identifiant à Lui, source de Lumière, d’Amour et de Vie.

Construire la Planète Terre dans l’Amour

Prenant en considération le rôle exceptionnel tenu par le travail, la science et la technique ils constituent, pour l’humanité, une condition essentielle, une avancée indispensable à notre humanisation d’abord et à la divinisation du monde, ensuite, pour l’édification du Royaume de Dieu. Cette avancée est nécessaire parce qu’elle nous permet de remplir  une fonction unique et irremplaçable, – car nous sommes tous uniques, – dans ce qui peut paraître comme le dessein de ce Dieu d’Amour auquel nous croyons. Dans son amour du Christ, le chrétien trouvera ainsi un nouvel encouragement à militer en faveur du progrès, de la culture et du meilleur accomplissement du travail. Il s’agit pour nous de Construire, de Partager et de Protéger la Planète Terre avec des connaissances et une conscience de plus en plus grandes. Sans doute la vigilance s’impose car le mal est toujours à l’affût. Et voilà pourquoi l’écologie peut être considérée comme une forme d’humanisation et de spiritualisation de la Terre.

Celui qui approfondit jusqu’au bout le sens de l’écologie apercevra vite combien elle peut être fructueuse pour une  rencontre renouvelée entre le christianisme et le monde moderne. Teilhard ne demandait rien d’autre que d’intégrer dans la théologie chrétienne sa vision du monde aux dimensions prodigieusement agrandies. Il rendait aux chrétiens, la fierté d’être les témoins du Christ ressuscité.

Changer notre regard sur le monde

Teilhard et François d’Assise sont d’autant plus d’actualité, en ces temps de crise planétaire, que l’idée que l’on se fait de la vie tend de plus en plus vers un matérialisme  d’abondance et de jouissance immédiate, – l’avoir plutôt que l’être, la possession abusive plutôt que l’intelligence de partage, l’amusement fallacieux plutôt que la communion des êtres dans l’amour du beau et du vrai. Nous sommes appelés à nous libérer du vieil homme qui va se corrompant au fil de ses convoitises. St François et Teilhard nous invitent à revêtir l’homme nouveau selon Dieu, en changeant notre regard. Exerçons notre regard  à voir ce « beau » et ce « bon » dont Dieu s’émerveillait au commencement de la Genèse et dont les êtres humains portent la trace dans leur cœur, souvent à leur insu.

On commence à peine à reconnaître, de nos jours, la valeur visionnaire et la grandeur prophétique de Teilhard. Il nous avait pourtant dit, dès 1930 : Il nous faut maintenant, si nous ne voulons pas périr, abandonner nos vieux préjugés et CONSTRUIRE LA TERRE. Il est clair que la construction de la Terre ne peut se faire que dans l’harmonie des relations entre les nations, dans la sagesse des méditations des différentes religions, tout autant que dans l’intelligence éclairée des hommes qui l’habitent.

Mettre en perspective Teilhard et François d’Assise ce n’est diminuer en rien ni l’un ni l’autre. C’est faire mieux ressortir l’originalité de leurs personnages inspirés, à sept siècles d’intervalle, par la même Présence, celle du Christ, fils de Dieu, Verbe fait Chair. Le sens des êtres et des choses se découvre mieux dans la confrontation, la comparaison et le dialogue. Pierre Teilhard de Chardin et François d’Assise sont animés du même amour du Christ et de son Évangile.