JACQUES COEUR – Grand Argentier du roi Charles VII

Thème : HISTOIRE                                                                                                                                                                          Mardi 19 mars 2013

JACQUES COEUR – Grand argentier du Roi Charles VII

Par Roland NARBOUX (Association Les Amis de Jacques Coeur)

Bourges a vu naître des personnages illustres, des rois et des princes, mais l’homme qui s’identifie le plus avec sa ville c’est Jacques Cœur. Grand Argentier du roi Charles VII, c’est avec l’argent qu’il prête à la cour et au roi qu’il permet au  » Petit Roi de Bourges de bouter les Anglais hors de France.

UNE JEUNESSE ORDINAIRE

Jacques Cœur est né à Bourges en 1400 dans une maison proche de l’église Saint-Pierre-le-Marché, rue de la Parerie, où son père exerçait la profession de marchand pelletier.

Ce père, Pierre Cœur, de condition modeste venu de Saint Pourçain va épouser la veuve d’un boucher, la dame Bacquelier, ce qui le propulse d’une marche dans la notoriété, la corporation des bouchers étant particulièrement puissante.

Le petit Jacques passe sa petite enfance dans ce quartier de la rue des toiles et de l’Eglise appelée aujourd’hui Notre Dame, au pied du rempart avant d’aller habiter à l’angle de la rue des Armuriers et du Tambourin d’Argent, en face d’une superbe maison appartenant à la famille de Lambert de Léodepart, le prévôt de Bourges,  » valet de Chambre du duc Jean de Berry « .

C’est à proximité du Palais du Duc Jean que se déroule l’adolescence de Jacques Cœur, à deux pas de la Sainte Chapelle où il poursuivra ses études. Le duc Jean de Berry, mécène et habile homme politique sera un grand bâtisseur, il possèdera plus de 15 châteaux, c’est un ami des artistes, on lui doit une des plus belles œuvres de la littérature : les «Très Riches Heures du duc de Berry « .

Ce début du XVème siècle n’est pas particulièrement réjouissant, la période est fort tourmentée avec la  » guerre de cent ans « , alors que les épidémies et la peste sont des maux quotidiens, à cela s’ajoutent les méfaits des écorcheurs et autres brigands.

Jacques Cœur a 15 ans lorsque se déroule une des plus cuisantes défaites de l’armée française à la bataille d’Azincourt, une partie importante de l’aristocratie est décimée et une part essentielle de la France passe sous la coupe des Anglais.

Trois ans plus tard, le dauphin, futur Charles VII quitte précipitamment Paris, chassé par Jean sans Peur et se réfugie en Berry, devenant  » le petit roi de Bourges « , titre donné avec beaucoup de dérision.

La présence du dauphin et de la cour va stimuler la ville sur le plan des échanges et du commerce.

Très jeune, Jacques Cœur gérera un des douze changes de la ville. Son entrée dans le monde des affaires se fera avec l’aide de l’épouse de Lambert de Léodepart, celle-ci ayant été mariée avec un maître des monnaies de Bourges. Il commencera un travail de change place Gordaine avec ses associés, Godard et Ravant le Danois. Bientôt il sera inquiété pour  » falsification  » dans les titres des monnaies frappées..

Il s’en sortira plutôt bien, le roi Charles VII signant une lettre de rémission, alors qu’il aurait pu être envoyé dans une basse fosse ou sur une galère.

LA MONTEE VERS LA PUISSANCE

Jacques Cœur devient un commerçant à une échelle beaucoup plus ample que ses concurrents français de l’époque. Il rêve sans doute de rivaliser avec les Médicis de Florence ou les marchands de Gênes ou de Venise. Son premier voyage dans les pays du Levant se déroule en 1432, on ne sait pas ce qu’il a ramené, sinon une stratégie d’approche de ce commerce. Le retour sera délicat, il fera naufrage au large de Calvi, fait prisonnier, et rendu contre une rançon assez faible, ce qui signifie qu’à cette époque il n’était pas considéré comme un personnage important. Il fait construire des navires sur le modèle des bateaux génois, après en avoir copié un qu’il avait acheté… ce qui lui vaudra quelques ennuis.

Marchand mais aussi banquier, armateur, industriel, maître de mines dans le Forez, il est le contemporain de Jeanne d’Arc, qui habitera Bourges en 1429, de Gilles de Rais, et le confident d’Agnès Sorel. Ne dit-on pas que Perrette, la fille de Jacques Cœur accueillait dans son château, les amours de Charles VII et de la belle Agnès. Il conçoit des routes, installe des comptoirs pour faire  » commerce avec les infidèles « , créa une flotte de navires, ses galées, et le négoce avec le Levant devint plus que prospère.

Il est un  » manager  » d’une grande modernité, à la fois Receveur des taxes sur le sel, Commissaire aux Etats du Languedoc, maître des Monnaies et Argentier du Roi, il tisse un réseau commercial de toute première importance, avec Montpellier, puis Lyon, Avignon, Limoges, Rouen et Paris.

Comme l’écrivent ses biographes,  » Il fut créateur, sans le savoir, des sociétés multinationales et des entreprises à succursales multiples, il réussit à stopper la dévaluation de la monnaie « . Il fut un génial administrateur et un diplomate dans des situations délicates, fréquentant les rois, les princes et les papes.

En fait, la fortune du grand argentier ne serait pas due totalement à la vente de tissus ou de fourrures aux nobles de la cour, ni dans la fabrication de l’or à partir de métaux vils comme cela se murmurait dans les milieux alchimistes. C’était sans doute plus simple et plus rentable, il  » jouait les différences de cours de l’Or et de l’Argent, entre l’Occident et le Levant.

En occident, le bi-métallisme était de rigueur, mais il manquait beaucoup d’or, alors que les mines de plomb argentifère étaient prospères. Inversement, le Levant  » regorgeait d’Or  » et la cote de l’argent était au plus haut. Il devenait alors aisé, pour un financier un peu aventureux de changer des quantités d’argent venues d’Occident contre de l’Or.

Jacques Cœur est anobli en 1441, et deux ans plus tard, il acquiert un terrain, pour y construire une  » grant’maison « , ce que nous appelons le Palais. Les travaux vont commencer assez vite, mais les difficultés techniques apparaissent, car la construction se fait sur une partie du rempart gallo-romain.

En 1450, le Palais est presque terminé. Jacques Cœur donne une fête dans la salle des festins, pour la réception organisée à la suite de l’accession comme archevêque de Bourges de son fils, Jean. Ce sera une des rares occasions pour Jacques Cœur de profiter de son palais.

Outre son Palais de Bourges, le grand Argentier acquiert moult maisons, châteaux et propriétés en Berry comme dans l’ensemble du pays. La  » route touristique Jacques Cœur  » permet de se promener à Ainay-le-Viel, ou encore à Menetou-Salon, deux châteaux acquis par Jacques Cœur, et sur les terres de ce dernier, il avait des vignes donnant un excellent vin pour l’époque. Plus loin, il aura une loge de marchands à Montpellier, une autre à Tours, alors que le château de Boissy, proche de Roanne devait être une étape entre Bourges et le midi.

En 1450, il est au sommet de son art, il a construit un palais, il gagne beaucoup d’argent, et le roi Charles VII, comme une grande partie de la cour lui doivent de l’argent, beaucoup d’argent !

LA CHUTE

Alors que tout va bien, semble-t-il, Jacques Cœur est arrêté sur l’ordre du roi Charles VII le 31 juillet 1451 au château de Taillebourg. Il est emprisonné pour une dizaine de motifs plus ou moins sérieux.

Il a fait beaucoup de jaloux, et ne dit-on pas cette formule qui ne devait pas faire très plaisir à Charles VII :  » Le Roi fait ce qu’il peut, Jacques Cœur fait ce qu’il veut « . Il était devenu l’égal des  » grands  » du royaume, paradant à Rouen en 1449 avec le roi et les hauts dignitaires !

Les accusations et les procès de l’époque sont caractéristiques : on ne badine pas avec les aveux. Torturé et soumis à la question il avoue tout ce que veulent ses détracteurs, et il est condamné à mort le 23 mai 1453.

Il va finir sa vie aventureuse comme dans un roman de cape et d’épée. Il s’évade de sa prison de Poitiers, avec l’aide de ses amis, et par le canal des couvents dont celui de Beaucaire, il rejoint Rome et le Pape, affrète une flotte au nom de son illustre hôte, et s’en va combattre les infidèles. Il meurt le 25 novembre 1456 sur l’île de Chio, sans doute lors d’un combat naval avec les Turcs.

Son corps sera enterré dans le couvent des Cordeliers, et les restes seront dispersés par un tremblement de terre pour les uns, par des pillages et destructions des infidèles pour les autres