IL ETAIT UNE FOIS UNE SULTANE, Chagarat al-Durr

Thème : HISTOIRE – SOCIÉTÉ                                                                                                                                                      Mardi 2 Décembre 2008

Il était une fois une sultane, Chagarat al-Durr

Par Azza Heikal – Docteur es lettres et auteur de l’ouvrage éponyme

Chaque année, dans le monde, des ouvrages sont publiés sur Cléopâtre ou Hatchepsout, grandes figures féminines de l’Egypte antique, mais aucun sur l’unique sultane du monde arabe. Pourtant, la destinée de cette femme est tout à fait remarquable. Elle était, à l’origine, une esclave. Ses origines sont inconnues, elle était certainement Caucasienne (le terme « slave » signifie « esclave » en anglais), probablement Georgienne, ou bien Arménienne ou Turque. Les marchands d’esclaves fournissaient aux jeunes femmes un enseignement pluridisciplinaire, qui ne se limitait pas à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou du calcul. Elles devaient être capables de discuter avec les savants. Une esclave instruite était une source de profit supplémentaire pour le marchand et seuls des sultans ou des notables très fortunés pouvaient les acheter.

Dotée d’une grande beauté et d’une grande finesse politique

Au début du XIIIe siècle, le sultan d’Egypte Al Kamil règne sur un immense empire qui regroupe le Yémen, l’Arabie Saoudite, la Palestine, la grande Syrie (qui comprend le Liban) et le nord de la Mésopotamie. C’est un homme très ouvert, cultivé et chevaleresque. Son fils aîné est, au contraire, cruel et violent. Suite à une tentative avortée de prise de pouvoir, Al-Saleh est exilé par son père aux confins de l’empire, à l’extrémité de la Mésopotamie. Un jour, il reçoit en cadeau une très belle jeune fille dont il tombe éperdument amoureux. D’après les récits de l’époque, aucune femme n’égalait sa beauté. Il lui donne son nom : Chagarat al-Durr, ce qui signifie « l’arbre de perles ».

A la mort du sultan en 1238, c’est le fils cadet qui lui succède, au grand mécontentement de son frère aîné, qui décide de partir à la conquête de l’Egypte. L’itinéraire est jalonné d’embûches et le petit groupe doit affronter de nombreux rivaux, dont l’émir de Mossoul. Outre sa beauté, Chagarat al-Durr est une femme très ingénieuse qui, grâce à sens politique et diplomatique, réussit à surmonter de nombreux obstacles.

En juin 1240, au Caire, des hérauts annoncent avec tambours et trompettes l’arrivée victorieuse de Al-Saleh. Le nouveau sultan et son épousent s’installent dans la forteresse de Saladin – que les dirigeants occuperont jusqu’au XIXe siècle, soit plus de 700 ans. Grand urbaniste, Al-Saleh fait bâtir de nombreux palais et forteresses au Caire, dont l’un, sur l’île de Roda, est si beau qu’il peut « rendre la vue aux aveugles » disait un texte. Malheureusement, il ne reste plus rien de ces palais, mais on a pu retrouver de nombreux objets de cette époque qui sont aujourd’hui exposés dans les plus prestigieux musées du monde.

Elle tient Saint-Louis en échec

En 1248, le roi Louis IX de France (Saint-Louis) lance la septième croisade et part à l’assaut de l’Egypte. Bien que très malade, le sultan organise la défense du pays. Mais, à Damiette, la rumeur se propage que le sultan est mort. La population et les troupes fuient. Et c’est une ville vide qui tombe aux mains des Français. De plus en plus malade, Al-Saleh s’en remet à son épouser pour conduire la guerre. Telle une Jeanne d’Arc d’Egypte, Chagarat al-Durr entreprend de bouter les étrangers hors du pays. Quand son époux meurt, elle choisit de garder la nouvelle secrète pour ne pas démotiver son armée alors que les troupes ennemies se trouvent toujours dans le pays. Elle continue à faire dresser sa tente, à apposer le sceau du sultan et à imiter sa signature.

L’unique successeur du sultan vit en Mésopotamie et, en attendant qu’il n’arrive au Caire, elle continue à diriger les combats, le mamelouk Baibars réussit à encercler Saint-Louis à Mansourah et à le faire prisonnier. La mort d’Al-Saleh n’est annoncée qu’une fois son héritier parvenu au Caire. Mais Chagarat al-Durr reproche au nouveau sultan de davantage se préoccuper d’organiser des orgies que la défense du pays. Ce dernier commet l’erreur de s’en prendre directement à elle, à son héritage et ses bijoux. A peine deux mois après son accession au trône, il est assassiné par des mamelouks, soutiens fidèles de Chagarat al-Durr. S’il avait vécu, il aurait vraisemblablement fait exécuter Louis IX, écrit Joinville.

Les Egyptiens, réunis en conseils, se dépêchent de nommer Chagarat al-Durr comme sultane. En 1250, elle devient la première femme à régner officiellement sur le monde arabe. Tous les émirs lui prêtent serment et la monnaie est frappée en son nom. Quand elle décide de signer un traité de paix avec les Français, ces derniers ne semblent pas savoir que le sultan est une… sultane. La loi salique s’impose encore partout en Europe ! Les Egyptiens réclament la somme de 400 000 dinars pour la libération du roi de France en qualité d’indemnisation des préjudices provoqués par ses troupes. Pour les Français, cette exigence est plutôt vécue comme une demande de rançon. Une fois libéré, Saint-Louis ne retourne pas directement en France, préférant s’installer à Saint-Jean-d’Acre.

On a souvent déploré le manque d’échanges culturels lors des croisades. C’est pourtant grâce à son séjour en prison que le roi de France a découvert les belles bibliothèques égyptiennes, ce qui l’incita à en faire de même à la Sainte-Chapelle. Le jeu d’échecs a été introduit en Europe après les croisades, de même que la fleur de lys, ou encore les prunes (d’où l’expression « Ils sont partis pour des prunes »).

Battue à mort

Soutenue par les émirs, Chagarat al-Durr aurait pu choisir de rester sultane mais elle abdiqua après avoir reçu un message du calife de Bagdad ironisant sur son accession au trône. Elle n’aura régné officiellement que quatre-vingts jours. Mais, fine tacticienne, elle s’empresse d’épouser le nouveau sultan, son ancien commandant en chef, et fait répudier sa première épouse et son enfant. Quelques années plus tard, la vengeance de cette femme sera terrible. Officieusement, Chagarat al-Durr continuera donc de régner pendant sept ans, signant tous les décrets et se montrant omniprésente. Probablement trop pour son mari qui choisira d’épouser secrètement la petite-fille de l’émir de Mossoul et de Saladin pour renforcer son poids à la tête de l’Egypte. Chagarat al-Durr sait qu’elle va finir, au mieux, dans un harem et décide de faire assassiner son deuxième époux, sachant fort bien qu’elle-même ne survivra pas à un acte aussi grave. Elle est assassinée en 1257, battue à mort à coups de socques portés par les esclaves de l’ancienne épouse répudiée, et mère du nouveau sultan qui a lui-même succédé à son père.

Après sa mort, Chagarat al-Durr fut immortalisée dans de nombreux contes et légendes. Et, pendant des siècles, les pèlerins emportaient avec eux un palanquin (le mode de transport privilégié de Chagarat al-Durr) pour sanctifier la mémoire de la sultane.

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Coté livres :

Il était une fois une sultane – Chagarat al-Durr

Auteur : Azza Heikal

Editeur : Maisonneuve et Larose

ISBN-10: 9780004195261
http://www.decitre.fr/livres/Il-etait-une-fois-une-sultane.aspx/9782706818592

Coté Web :

http://www.gom.com.eg/prog/2008/01/12/04.pdf

http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2005/9/7/livr2.htm

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