ETATS-UNIS : LA DEMOCRATIE EN PERIL?

Thèmes: Histoire, Société                                                                                                                            Conférence du mardi 4 octobre 2022

ETATS-UNIS : LA DEMOCRATIE EN PERIL?

par Madame Anne DEYSINE, Professeur des Universités, spécialiste des Etats-Unis.

INTRODUCTION

Après quatre ans à la Maison Blanche, Donald Trump a durablement fractionné la société américaine et les deux partis historiques, Démocrate et Républicain, ne sont plus concurrents mais ennemis. L’élection de Joe Biden peut être perçue comme un espoir mais l’histoire et les sondages des élections de mi-mandat de novembre 2022 annonçaient un franche défaite des Démocrates. Pourtant, la radicalisation des candidats Républicains, les lois votées et les récentes décisions de la Cour Suprême supprimant notamment le droit constitutionnel à l’avortement et renforçant le port d’armes pourraient modifier le choix des électeurs. En conservant une majorité dans les deux chambres, Joe Biden pourrait adopter plusieurs lois nécessaires à la sauvegarde de la démocratie et des droits de l’Homme.

I – Une situation inquiétante.

Les élections de mi-mandat (en anglais midterm elections) sont des élections des deux chambres du Congrès qui se tiennent au milieu du mandat quadriennal du Président américain d’où leur nom. L’ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants est renouvelé, ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat. Le même jour, de nombreux Etats fédérés et villes américaines organisent les élections de leurs propres représentants, sur le modèle fédéral, ou des référendums. Ainsi, presque les deux tiers des gouverneurs, investis du pouvoir exécutif de leur État, sont élus ce même jour.

Actuellement, Joe Biden et les Démocrates bénéficient d’une très faible majorité à la Chambre des représentants, dirigée par Nancy Pelosi, et au Sénat, c’est la voix de Kamala Harris, la VP qui permet aux Démocrates d’avoir la majorité mais pour cette seule voix.

Il y a quelques mois, les sondages donnaient une large avance aux Républicains, la popularité de Joe Biden n’étant pas élevée (environ 40% d’opinions favorables) et la situation économique américaine difficile. L’histoire nous a également montré que les élections de mi-mandat sont généralement défavorables au parti du Président en place, et ce quelle que soit la popularité de ce dernier. On peut rappeler ici les échecs du Parti démocrate en 1994 et 2010 lors des présidences de Bill Clinton puis de Barak Obama.

La donne mondiale, la crise du COVID puis la guerre en Ukraine, ont frappé les économies mondiale et américaine entraînant une inflation que les Américains ne connaissaient pas depuis plus de quatre décennies. Ces mauvais résultats économiques jouent, là encore, en la défaveur de Joe Biden et du Parti Démocrate.

Par ailleurs, depuis sa défaite aux élections de 2020, Donald Trump reste très présent dans les médias parallèles (réseaux sociaux notamment) ou certaines chaînes ultra conservatrices comme Fox News. L’ex-président continue de dénigrer les médias conventionnels et incite ses partisans à les rejeter. Trump a réussi, au sein même du Parti Républicain, à imposer sa vérité que l’élection a été volée et une ligne politique très marquée à droite connue sous le nom MAGA (Make America Great Again) en référence au slogan électoral de Trump en 2018. Durant sa présidence, Trump a pu imposer cette ligne politique dans de nombreux Etats en soutenant et aidant à l’élection de gouverneurs ou en nommant trois juges ultra conservateurs à la Cour Suprême. Par peur de perdre les élections, aussi bien celles de mi-mandat que les présidentielles dans deux ans, certains Républicains plus modérés hésitent à se démarquer de la ligne de Trump. C’est le cas de Mitch McConnell, chef du groupe républicain au Sénat, qui lors de l’assaut du Capitol en janvier 2021 a ouvertement accusé Trump d’avoir incité ses plus fidèles partisans à attaquer l’Institution mais qui quelque temps plus tard a refusé de voter la destitution à l’issue de l’impeachment contre Trump.

Autres éléments défavorables aux Démocrates, le découpage électoral qui favorise les Républicains et les restrictions pour accéder au vote. Les élus républicains au sein des Parlements de chaque Etat, compétents pour fixer les règles électorales, font le maximum pour restreindre l’accès au vote des minorités essentiellement, car généralement leur vote leur est défavorable. Ainsi, le Brennan Center for Justice, organisme progressiste spécialisé dans la réforme de la démocratie, a recensé au 19 janvier 2022, 253 propositions de lois visant à restreindre l’accès au vote dans 43 États. C’est trois fois plus qu’en 2021. Les mesures proposées comprennent l’instauration de nouvelles conditions pour voter par correspondance : la limitation de la durée du vote par anticipation, l’interdiction de l’inscription automatique sur les listes électorales et des tournées de collecte des bulletins de vote auprès de personnes qui ne peuvent pas se déplacer, la fermeture des bureaux de vote les dimanches, seuls jours fériés pour les travailleurs, et la fermeture pure et simple de certains bureaux de vote provoquant un rallongement considérable des queux et donc du temps nécessaire pour accéder aux urnes.

Tous ces éléments semblent mettre à mal la démocratie américaine mais depuis cet été de nouveaux éléments semblent pouvoir changer la donne.

II – Une lueur d’espoir.

Depuis cet été, certains Républicains ont pris conscience que Trump ne représente pas les valeurs traditionnelles du Parti et cherchent donc à se démarquer de la ligne MAGA. Cependant peu s’opposent ouvertement à Trump qui a imposé cette radicalisation et qui contrôle les réélections des candidats républicains. Pourtant, ce tournant très marqué peut pousser certains électeurs républicains modérés à voter démocrate afin d’endiguer cette radicalisation.

L’événement qui peut réellement avoir un impact sur ces élections de mi-mandat est la suppression par la Cour Suprême du droit constitutionnel à l’avortement, renvoyant la question aux Etats. Cette décision a rappelé aux Américains l’ampleur de la vague réactionnaire qui submerge les Etats-Unis depuis 2016. Cette décision de la Cour Suprême a amené treize Etats républicains à interdire l’avortement, provoquant le désarroi de nombreuses femmes.

Au cours de l’été la Cour Suprême a également consacré le droit de porter une arme en public, élargi la place de la religion dans la sphère publique et limité les moyens fédéraux pour lutter contre le réchauffement climatique. Ces décisions adoptées par six juges conservateurs sont l’illustration d’un puissant retour de balancier judiciaire après des années plus tempérées parfois marquées d’arrêts progressistes historiques, comme la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe en 2015.

Auparavant les juges ne tranchaient pas forcément les décisions les plus cruciales en fonction de leurs affinités politiques supposées. Ainsi, cinq des sept juges qui ont soutenu la décision de 1973 qui avait fait de l’avortement un droit pour toutes les Américaines, avaient été nommés par des présidents républicains. Dans la Cour Suprême d’aujourd’hui, les terrains d’entente entre les deux camps sont plus rares voire impossibles. De plus, la Cour Suprême actuelle avec ses juges conservateurs, est convaincue que par le passé, elle avait accepté d’examiner des questions qu’elle n’aurait pas dû. En refusant de statuer sur la majorité des cas, la Cour Suprême renvoie de fait les décisions au niveau de chaque Etat.

Avec cette décision sur l’avortement, la Cour Suprême a indirectement contribué à la mobilisation des électeurs progressistes et surtout des femmes et de la communauté noire. Les Démocrates espèrent désormais conserver au moins la majorité au Sénat -renouvellement pour un tiers- où l’élection devrait se jouer dans trois États : Pennsylvanie, Ohio et Géorgie. Dans ces trois États, les candidats Républicains cherchent à se démarquer un peu de la ligne MAGA afin de gagner les indécis et les Républicains modérés.

Un autre élément qui peut favoriser les Démocrates est la victoire législative de Joe Biden qui, cet été, a réussi à faire adopter son plan pour lutter contre le changement climatique et réduire les frais de santé.

En dépit de ces notes optimistes, la victoire à la Chambre des représentants semble quasiment impossible. Même en cas de victoire des Démocrates aux deux Chambres, on peut anticiper que tous les partisans de Trump vont contester les résultats et par la même créer une instabilité politique pour plusieurs jours ou semaines.

La perspective d’une victoire républicaine en 2024  perturbe la scène internationale notamment les dossiers les plus complexes comme les accords avec l’Iran ou les négociations sur le climat.

CONCLUSION

Le système politique américain étant basé sur les contrepouvoirs, selon le souhait des pères fondateurs, l’élection en 2020 de Joe Biden après quatre ans de « trumpisme »  permis de rétablir un début d’une harmonisation de la société américaine mais pas le vote de lois progressistes. La société semble être durablement radicalisée avec la domination du courant MAGA au sein du Parti républicain. Si les élections de mi-mandat permettent aux Démocrates de conserver leur majorité aux deux Chambres, des lois pourront peut-être être adoptées pour essayer de restaurer une société plus démocratique où le dialogue sera redevenu possible. Mais c’est loin d’être gagné…

Remarque : retrouvez l’article de Madame Anne Deysine « L’enquête sur l’émeute du Capitole : le Watergate de Donald Trump ? » publié sur The Conversation le 2 octobre 2022. Avec le lien :

https://theconversation.com/lenquete-sur-lemeute-du-capitole-le-watergate-de-donald-trump-191025

 

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