DE L’IMPORTANCE MAJEURE DES COURS DE JUSTICE EUROPÉENNES CEDH et CJUE DANS LES DÉMOCRATIES EUROPÉENNES

Thème: Histoire Société                                                                                                                                      Conférence mardi du 8 mars 2022

DE L’IMPORTANCE MAJEURE DES COURS DE JUSTICE EUROPÉENNES CEDH et CJUE DANS LES DÉMOCRATIES EUROPÉENNES

Par Monsieur Eugène JULIEN, conférencier et diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration.

INTRODUCTION

Deux Cours européennes protègent les droits de l’Homme en Europe et permettent une application uniforme du droit : la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice de l’Union européenne. Cependant, ces deux institutions sont différentes tant dans leur structure, leur fonctionnement que leur rôle.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) est une juridiction internationale instituée en 1959 par le Conseil de l’Europe ayant pour mission d’assurer le respect des engagements souscrits par les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), créée en 1962, est l’une des sept institutions de l’Union Européenne et regroupe deux juridictions : la Cour de justice et le Tribunal. Le siège de la CEDH est à Strasbourg, celui de la CJUE à Luxembourg.

Au cours des dernières années, on note un glissement des compétences de ces deux institutions. La CEDH tend à défendre le droit des minorités et la CJUE tend à statuer sur des questions sociétales et politiques et par conséquent se pose en concurrente de la CEDH. Ces glissements sont dus à la montée de l’individualisme (consumérisme et droits individuels), à l’indéfinition des principes généraux du droit, ainsi qu’à l’affaiblissement de la démocratie représentative et du monde politique.

I – La Cour européenne des droits de l’Homme.

Le 10 décembre 1948, l’ONU adopte la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui vise à promouvoir la reconnaissance universelle des droits qui y sont énoncés, afin de renforcer au niveau international la protection des droits de l’Homme. Le 5 mai 1949 le Conseil de l’Europe est créé à Londres. Les membres de ce Conseil affirment que le maintien de la stabilité reposera sur un régime politique démocratique et sur un commun respect des droits de l’Homme.

Les Etats élaborent la Convention européenne des droits de l’Homme qui sera adoptée le 4 novembre 1950 à Rome. Les gouvernements signataires s’engagent à garantir l’accès aux droits fondamentaux, civils et politiques, non seulement à leurs ressortissants mais aussi pour toutes les personnes relevant de leur juridiction.

La Convention garantit notamment le droit à la vie, à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale, la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion ainsi que le droit au respect de ses biens.

Par ailleurs, elle interdit la détention arbitraire et illégale, les discriminations dans la jouissance des droits et libertés, la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants ainsi que l’esclavage et le travail forcé.

La Cour qui depuis 1998 siège en permanence, doit veiller au respect des droits de l’Homme pour 800 millions d’européens dans les 47 Etats membres. La Cour se compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats membres soit 47 juges. Ce système permet aux « petits » pays d’avoir le même poids que les « grands ». Certains États membres ne sont pas du tout dans l’union européenne comme l’Azerbaïdjan ou la Géorgie, l’Ukraine ou la Suisse, ou a fortiori la Russie, après la fin de l’URSS.

Les juges sont élus pour un mandat de 9 ans non renouvelable par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à partir de listes de trois noms proposés par chaque Etat. Les juges siègent à titre individuel et ne représentent aucun État, par ailleurs, leur fonction leur interdit toute activité incompatible avec leurs devoirs d’indépendance et d’impartialité. Ces magistrats sont organisés en cinq sections, composées de chambres de sept juges et de comités de trois juges. Chaque section comprend un président et un vice-président. Une Grande Chambre, composée de 17 juges, constitue la formation solennelle de jugement et l’organe de révision des arrêts rendus par les chambres.

La CEDH est assistée par un greffe composé de 640 agents qui effectuent un travail préparatoire des affaires à l’intention des juges et qui assument les activités de communication de la Cour.

Enfin depuis 2001 est institué le jurisconsulte qui fait partie du greffe et qui fournit des avis et des informations, notamment aux formations de jugement et aux membres de la Cour. La CEDH est la seule juridiction internationale dotée d’un jurisconsulte.

Au cours des trois dernières décennies le nombre de saisies de la CEDH n’a cessé d’augmenter. Ainsi en 1990 la Cour a été saisie de plus de 5000 requêtes mais ce chiffre passe à 56 250 en 2014. La CEDH est menacée d’asphyxie tant les requêtes se multiplient chaque année, de sorte que les statuts de la Cour ont été modifiés pour permettre qu’un juge unique puisse traiter les cas les plus simples.

La CEDH peut être saisie par tout Etat signataire de la Convention ou par toute personne s’estimant victime de la violation commise par l’un des Etats membres d’un des droits garantis par la Convention. La saisine de la CEDH dans le cadre d’un recours individuel est soumise à plusieurs conditions de recevabilité. Le requérant doit être personnellement et directement victime de la violation alléguée et le préjudice doit être important, les voies de recours internes doivent avoir été épuisées, enfin la saisine doit intervenir dans les 6 mois suivant la dernière décision de justice concernant l’affaire.

Les pays les plus régulièrement condamnés sont la Turquie et la Russie. En 2020 plus d’un quart des condamnations prononcées par la CEDH portaient sur la violation du droit à la liberté et à la sûreté et 25% concernaient la violation du droit à un procès équitable. La France rentre dans ce cas de figure en étant souvent condamnée sur le droit à la liberté à cause des très longs délais des jugements, et des conditions de détention, qui ne peuvent s’améliorer évidemment que progressivement par des constructions nouvelles.

Les arrêts de la CEDH ne sont que déclaratoires c’est-à-dire qu’ils se contentent de déclarer l’existence ou non d’une violation de la Convention et des protocoles. La compétence supra étatique mais subsidiaire de la Cour l’empêche d’abroger les lois et les décisions ou d’annuler les décisions de droit interne à l’origine de la violation des droits. Cependant, certains arrêts accordent une indemnité pécuniaire lorsque le droit interne de l’Etat mis en cause est impuissant à faire disparaître complètement la violation constatée. L’indemnité allouée par la Cour est à la charge de l’Etat reconnu coupable. Ainsi, l’Etat français a été condamné à verser près d’un million d’euros aux victimes d’une liquidation discriminatoire.

Du fait que les arrêts de la CEDH ne sont que déclaratoires, certains Etats en tiennent peu compte comme c’est le cas de la Russie ou de la Turquie. La situation actuelle avec la crise de l’Ukraine rend la situation assez caricaturale avec ces deux Etats toujours membres de la CEDH. Par ailleurs, la CEDH a été critiquée maintes fois depuis sa création. Ainsi, le Général de Gaulle ne reconnaîtra jamais réellement la compétence de la Cour européenne au motif que dans un Etat démocratique aucune institution ne saurait se placer au-dessus du peuple : « En France, la seule Cour suprême, c’est le peuple français ».

Enfin, certains arrêts sont vivement critiqués et soulèvent des débats dans la classe politique, comme ce fut le cas avec la condamnation d’une Autrichienne pour dénigrement de doctrine religieuse. Celle-ci avait parlé de pédophilie au sujet, de Mahomet ayant épousé Aïcha âgée de six ans et consommé le mariage lorsqu’elle avait neuf ans. Cette décision a suscité un vif émoi et de sérieux débats car elle heurte une autre liberté : la liberté d’opinion, et de libre expression.

 II – La Cour de Justice de l’Union Européenne.

La CJUE doit être distinguée de la Cour européenne des droits de l’Homme qui dépend du Conseil de l’Europe et de la Cour internationale de justice de La Haye, qui est un organe des Nations Unies.

La CJUE est compétente pour contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union européenne, veiller au respect par les Etats membres des obligations qui découlent des traités et interpréter le droit de l’Union à la demande des juges nationaux. Elle juge les recours directs qui visent à faire respecter les règles européennes par les Etats membres (le recours en manquement) et par les institutions européennes (le recours en annulation, le recours en carence et en responsabilité). Elle juge aussi les recours indirects ou préjudiciels portés devant elle par les juridictions nationales qui s’interrogent sur l’interprétation du droit de l’Union européenne en vue de son application dans le litige dont elles sont saisies.

La Cour se compose de 27 juges et 11 avocats généraux, nommés d’un commun accord par les Etats membres pour six ans renouvelables. Les juges désignent parmi eux leur président pour trois années renouvelables. La juridiction de l’Union est constituée de 10 chambres de 3 à 5 juges. Elle peut également se réunir en grande chambre (15 juges) ou en formation plénière pour trancher les litiges les plus complexes ou importants.

Les arrêts définitifs sont prononcés en audience publique et publiés dans le recueil des arrêts de la CJUE. Les arrêts s’imposent à l’ensemble des Etats membres et sur la totalité du territoire de l’UE.

Les arrêts de la Cour de l’UE ont des conséquences concrètes sur la vie quotidienne des citoyens européens, notamment ceux concernant la libre circulation des marchandises, des personnes et des services.

Avec le traité de Lisbonne, la compétence de la CJUE a été étendue au détriment des droits nationaux. Ainsi si une directive est claire elle s’applique de plein droit même sans texte de loi national de sorte qu’un particulier peut invoquer contre un Etat une directive européenne. Un autre fait qui montre le poids de la CJUE est que lorsqu’un produit est reconnu par un pays cela s’applique à tous les pays. Par ailleurs, une loi postérieure nationale, dont le but évident serait de contrer ou au moins de contourner un texte européen qu’un parlement pourrait désapprouver, ne peut pas contredire une directive européenne.

On peut évoquer trois dossiers majeurs qui ont engendré une vive opposition de la part des Etats : celui impliquant la Cour suprême de Karlsruhe au sujet du rachat d’actifs de la BCE (la Cour conteste le pouvoir que s’est octroyé la Commission et la BCE), l’affaire polonaise concernant l’état de droit, les mesures de réforme des juridictions mais aussi les restrictions concernant l’IVG et les « droits LGBT » et enfin  l’affaire du droit  de travail applicable dans les armées européennes alors que les traités signés donnaient compétence exclusive aux seuls Etats. Il s’agissait en l’espèce d’un recours d’un officier slovène contre la non prise en compte d’heures supplémentaires. La France qui a la plus grande armée de l’Union européenne et de très loin la plus engagée dans des conflits a très mal réagi à cette décision, y compris dans les rangs de l’opposition.

De manière générale on peut dire que les arrêts de la CJUE sont orientés par la volonté de faire un grand marché et casser les barrières.

CONCLUSION

La CEDH et la CJUE sont deux institutions garantissant les droits des Européens, au sens très large pour la CEDH (Russie comprise), et restreinte aux pays de l’Union européenne pour la CJUE (dès lors que toute décision européenne affecte un de ses membres mais aussi toute personne ou entreprise affecté par ses décisions fussent ils étrangers à l’UE). Leurs décisions touchent des domaines variés qui peuvent concerner les citoyens dans leur vie quotidienne. Les décisions de la CEDH du fait qu’elles ne sont pas contraignantes, dépendent de la bonne volonté des Etats. Ce sont souvent les Etats les plus condamnés (Russie et Turquie) qui ne tiennent pas compte des condamnations de la CEDH. Au contraire, la CJUE joue un rôle de plus en plus important et ses arrêts prédominent sur les droits nationaux conduisant parfois à de fortes tensions avec des Etats membres (Hongrie, Pologne, Cour de Justice de Karlsruhe, Etat Français).

Un commentaire

  • Jean-Michel BUCHOUD

    Mar 17, 2022

    Reply

    Le 16 mars 2022, la Russie est exclue du Conseil de l'Europe à cause de l'agression armée en Ukraine; en conséquence la Russie est exclue de de la CDEH. Ci-après, le texte de la résolution : DÉLÉGUÉS DES MINISTRES Résolutions CM/Res(2022)2 16 mars 2022 "Résolution CM/Res(2022)2 sur la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe (adoptée par le Comité des Ministres le 16 mars 2022, lors de la 1428ter réunion des Délégués des Ministres) Le Comité des Ministres, Réaffirmant que l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine constitue une violation grave par la Fédération de Russie de ses obligations au titre de l’Article 3 du Statut du Conseil de l’Europe ; Rappelant sa décision du 25 février 2022 (CM/Del/Dec(2022)1426ter/2.3) par laquelle, à la suite d’un échange de vues avec l’Assemblée parlementaire au sein du Comité mixte, il a décidé d’engager la procédure prévue à l’Article 8 du Statut du Conseil de l’Europe et est convenu de suspendre la Fédération de Russie de ses droits de représentation au Conseil de l’Europe, conformément à sa Résolution pertinente CM/Res(2022)1 sur les conséquences juridiques et financières de la suspension ; Rappelant également sa décision du 10 mars 2022 (CM/Del/Dec(2022)1428bis/2.3) de consulter l’Assemblée parlementaire sur une potentielle future utilisation de l’Article 8 du Statut du Conseil de l’Europe, et l’Avis n° 300 de l’Assemblée parlementaire, adopté à l’unanimité le 15 mars 2022, qui considère que la Fédération de Russie ne peut plus être un État membre de l’Organisation ; Notant que par une communication en date du 15 mars 2022, le Gouvernement de la Fédération de Russie a informé la Secrétaire Générale de son retrait du Conseil de l’Europe conformément au Statut du Conseil de l’Europe et de son intention de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme, Décide, dans le cadre de la procédure lancée en vertu de l’Article 8 du Statut du Conseil de l’Europe, que la Fédération de Russie cesse d’être membre du Conseil de l’Europe à compter du 16 mars 2022." Cela ne sera pas sans conséquence pour le droit et les justiciables russes. Rappelons que sur les 70 000 requêtes pendantes devant la CDEH, près d'un quart proviennent de la Russie. Merci au conférencier Eugène Julien de nous avoir éclairés sur le principe et le fonctionnement de la CDEH. On retiendra que dans le même temps, la Russie est exclue de la Cour internationale de justice, organe dépendant des Nations-Unies

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