CHARLES QUINT

Thème : HISTOIRE                                                                                                                                                                           Mardi 2 Février 2010

Charles Quint

Par Bartolomé Bennassar – Professeur émérite à l’université Toulouse-Le Mirail

Charles Quint est un personnage étrange qui, à l’heure où se forgent les nationalismes modernes, n’a pas de nationalité et n’en revendique aucune. Né à Gand en 1500, il meurt en 1558 au monastère de Yuste, en Espagne, où il s’était retiré après avoir abdiqué en 1555. A la fin de sa vie, il souffrait de la goutte, résultat de ses excès de table. Cet homme vorace l’était aussi au lit, surtout avant son mariage et après son veuvage il était resté fidèle à son épouse Isabelle de Portugal tout au long de leur mariage, de 1526 à 1537.

Elevé à Malines sous la houlette de Marguerite d’Autriche, Charles reçoit une éducation française et humaniste – sa langue maternelle est le français. Il devient roi en Castille en 1516, à l’âge de seize ans,  puis roi d’Aragon, recevant en héritage toutes les possessions espagnoles, en Amérique notamment. Après avoir récupéré le trône des Habsbourg, il se fait élire empereur en 1519 et est couronné à Aix-la-Chapelle en 1520. Il épouse Isabelle de Portugal en 1526 et se donne le temps d’une vraie lune de miel car, à l’occasion de ce mariage – très politique et très intéressé au départ car Isabelle amenait en dot les possessions portugaises –, les deux époux eurent un coup de foudre l’un pour l’autre. Cet empereur, dont on assurait que le soleil ne se couchait pas sur son empire, fut un sujet de choix pour les plus grands artistes de l’époque : Titien, Van Orley ou Pompeo Leoni.

Une cascade de morts prématurés

Il ne faut pas ignorer le caractère paradoxal de cet empire et de cet empereur au destin incroyable : il n’avait que 2 à 3 chances sur 100 de monter sur le trône. Mais Charles a bénéficié d’une cascade de morts prématurés, l’irruption de la passion et de la folie et des intrigues de banquiers d’Augsbourg (Fugger et Welser) pour devenir roi puis empereur. A partir de la fin du XVe, puis durant tout le XVIe siècle et une partie du XVIIe siècle, les rois catholiques d’Espagne concluent des mariages croisés avec la famille royale de Maximilien de Habsbourg, l’empereur d’alors. Jean de Castille et sa sœur Jeanne – future Jeanne-la-folle – vont épouser les deux enfants de Maximilien de Habsbourg, Marguerite et Philippe, en 1496 et 1497. Si ces mariages n’avaient pas été brisés rapidement par la mort de l’un des deux époux, Jean aurait été roi de Castille et d’Aragon, et Philippe-le-Beau aurait pu prétendre à la couronne impériale de son père. Mais Jean mourut après six mois de vie conjugale – d’une « ardeur excessive » avec sa jeune épouse, comme l’expliquera Charles-Quint à son propre fils. Du coup, sa sœur Isabelle, veuve d’Alfonso, et nouvellement mariée à Manuel devenait apte à être reine de Castille. Mais quelques mois plus tard, elle meurt en couches, son enfant Miguel (héritier des couronnes de Castille, d’Aragon et du Portugal) décédant deux ans plus tard, en 1500.

Cette année-là naît Charles, fruit des amours de Philippe-le-Beau et de Jeanne de Castille, héritière désignée pour être reine de Castille à la place de la vieillissante Isabelle qui mourra peu après. Mais, à partir de 1504, la santé mentale de Jeanne se fait chancelante. Son époux, Philippe-le-Beau, meurt de façon foudroyante en 1506. Charles et Ferdinand, les deux jeunes fils du couple, deviennent des prétendants à la couronne d’Espagne.

Seule l’accumulation de morts précoces de prétendants dont les droits primaient les siens ont permis à Charles d’accéder au trône. Son destin était pour le moins improbable Sa mère Jeanne, malgré sa santé mentale fragile, est toujours reine de Castille et il faut un coup d’Etat et la réclusion de la pauvre femme pour que Charles soit reconnu roi de Castille en 1516, puis d’Aragon, non sans mal.

En marche pour être empereur

Ces royaumes ne font pas pour autant de lui un empereur. La mort de Maximilien relance la question de l’élection impériale : l’empire n’est pas une affaire dynastique, il y a une élection. Les princes électeurs, qu’ils soient laïcs ou ecclésiastiques, sont sensibles aux questions d’argent, de sorte que la campagne électorale coûte une fortune. Pour écarter la candidature de François Ier, roi de France, et de Charles VIII, roi d’Angleterre, Charles fait appel aux grands banquiers de l’époque. Certains historiens pensent que si leur préférence est allée à Charles, c’est en raison des perspectives ouvertes par les découvertes en Amérique, dont les premiers effets sont perceptibles : les premiers convois d’or arrivent d’Hispaniola (l’île d’Haïti et de Saint-Domingue).

En 1519, Charles Ier d’Espagne devient l’empereur Charles-Quint. Outre les royaumes d’Espagne, il règne sur Naples, la Sicile et la Sardaigne, plus tard duc de Milan, et peut compter sur l’appui de son frère Ferdinand, qui a hérité des territoires allemands. De plus, Charles est le souverain direct de toute la Bourgogne qui s’étend des terres néerlandaises jusqu’à la Franche-Comté en passant par l’actuelle Belgique. Il dispose de présides en Afrique du nord (Ceuta et Melilla, Oran et même Tripoli, en Lybie). Sa domination s’étend sur l’archipel des Canaries, sur les Antilles et le Mexique. Et, suite au voyage de Magellan, une expédition envoyée en 1527 s’empare de l’une des Moluques, important lieu de production d’épices. Il peut compter sur l’alliance de Gênes, la principale place banquière d’Italie, et conserve des liens avec les banquiers du nord qui ont financé son élection. Grâce à la fiscalité, aux droits de mer sur le commerce atlantique et aux trésors venus d’Amérique, l’argent ne manque pas dans les caisses. Suivant l’exemple de Maximilien, il utilise sa fratrie pour nouer des alliances politiques par le biais des mariages. Avec tous les atouts qui étaient les siens, Charles pouvait nourrir le rêve d’une situation dominante dans la chrétienté latine.

Mais les défis et les menaces vont lui mener la vie difficile, une vie de combats incessants. Charles en connaissait certains dès son élection, notamment la rivalité de François Ier qui n’allait pas lui faciliter la tâche. Cependant, il n’avait probablement pas pris conscience du danger que la géographie de ses Etats faisait peser sur le royaume de France, qui se trouvait encerclé, et n’avait pas anticipé que François Ier s’allierait avec le sultan ottoman Soliman-le-Magnifique. L’empire turc était en essor constant. Un autre défi auquel Charles fut confronté était, celui-là, totalement imprévisible : l’explosion de la Réforme. En 1519, Martin Luther avait déjà placardé ses 95 thèses – qui furent le déclenchement de la réforme protestante – sur la porte de l’église du château de Wittenberg, mais comment imaginer que cette réforme irait si vite ? En dix ans, elle allait embraser une partie de l’Europe.

Charles-Quint a-t-il été à la hauteur de son destin ?

1. A-t-il su gérer de façon satisfaisante l’héritage extraordinaire reçu entre 1516 et 1519 ?

Oui, il a respecté les traditions et les institutions des Etats dont il était devenu le souverain. Avec l’aide de ses conseillers, il a conçu son empire comme une confédération d’Etats associés. L’empereur se réservait un droit de regard, qu’il confiait à un délégué (un vice-roi,  ou un « gouvernant », qui pouvait aussi être une « gouvernante » comme aux Pays-Bas). Les Etats de l’empire jouissaient d’une forme d’autonomie de gouvernement et de gestion. Dans le cas de la Franche-Comté, elle était totalement administrée par des Francs-Comtois, ce qui explique qu’elle se soit fort bien accommodée de la souveraineté – lointaine – de Charles-Quint. Ce mode de gouvernement est parfois considéré comme une préfiguration de l’Europe d’aujourd’hui. Mis à part la révolte des Castillans en 1520, les trente cinq années du règne de Charles-Quint n’ont pas connu de soulèvement de grande ampleur.

Seule réserve sur cette question : il n’a pas pris la mesure de l’importance des conquêtes du continent américain. Son intérêt pour l’Amérique a été trop tardif.

2. A-t-il su bien réagir aux velléités d’expansion turque ?

Plutôt. Ses difficultés face au danger ottoman ont été dus en grande partie à l’action de la France, qui se défendait comme elle le pouvait. Ainsi, l’action de Soliman contre Vienne en 1529 a été favorisée en sous-main par Louise de Savoie. Plus tard, en 1535, François Ier conclut avec le sultan  des « capitulations », qui étaient des accords commerciaux et politiques. Après la prise de Tunis, on découvrit des lettres montrant la collusion du roi de France avec les « barbaresques ». Charles donna parfois l’impression de se désintéresser de la lutte contre les Ottomans sur le continent, laissant à son frère Ferdinand la charge de faire face au déferlement turc après l’écroulement de la Hongrie et de résister au siège de Vienne. En Méditerranée, son action fut plus constante et plus efficace. Son coup de génie : installer les chevaliers de Jérusalem, chassés de Rhodes, à Malte, qui devinrent les chevaliers de l’ordre de Malte et se révélèrent de farouches adversaires sur mer pour les Ottomans. Autre mesure très efficace : la protection des côtes. Un grand programme de tours de guet fut initié, qui fut imité par la suite dans toute la Méditerranée occidentale.

3. A-t-il répondu comme il convenait aux menaces d’éclatement de la chrétienté latine ?

Non, il a échoué, même s’il n’est que partiellement responsable de cet échec. Lorsque Luther fut convoqué et qu’il refusa de se rétracter, l’empereur le mit au ban de l’empire, ce qui consomma la rupture. Mais Charles-Quint pouvait-il avoir conscience de la gravité de la situation ? Il était difficile d’imaginer que, au moment de la guerre des paysans, Luther allait soutenir les princes contre les paysans (qui appelaient pourtant à une nouvelle doctrine). Du coup, un certain nombre de princes tentés par la Réforme ont franchi le pas, en profitant pour confisquer les biens des églises et des couvents. Ce phénomène gagna une partie de l’Europe.

Comme il le rappela lors de son discours d’abdication, Charles avait tout tenté pour obtenir, dès 1526, la convocation d’un concile général, reconnaissant de fait la nécessité de la réforme pour préserver l’unité chrétienne. Il aurait fallu que, dans le même temps, les papes de l’époque prennent conscience de l’urgence de la situation, or ce ne fut pas le cas. Quand le concile de Trente fut organisé en 1545, il était trop tard, les protestants n’en voulaient plus. Charles-Quint se résigna à laisser son frère Ferdinand entériner la division religieuse, après une série de colloques pour tenter d’éviter la rupture. C’est cette paix d’Augsbourg en 1555 qui conduisit Charles à abdiquer. Au moment de son abdication, il divisa son héritage entre son frère Ferdinand (les Etats du nord) et son fils Philippe (les Etats du sud), ce qui fut un aveu d’échec pour l’ancien empereur.

En fait, Charles avait été confronté à un impossible défi. L’essor des nationalismes, d’une part, et la crise de l’église romaine, d’autre part, avaient détruit son rêve d’unité européenne associée à l’humanisme, qui était également celui d’Erasme.

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Coté livres :

                                 

                

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bartolomé_Bennassar

http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Quint

http://www.renaissance-amboise.com/dossier_renaissance/ses_personnages/charles_quint/charles_quint.php

Les Images

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