ALLONS-NOUS VERS LA FIN DU PATRIARCAT? ET ALLONS-NOUS VERS UN MATRIARCAT?

Thèmes: Histoire, Société                                                                                                        Conférence du mardi 8 octobre 2019.

ALLONS-NOUS VERS LA FIN DU PATRIARCAT? ET ALLONS-NOUS VERS UN MATRIARCAT ?

Par Madame Danielle CARSENAT, agrégée d’histoire, conférencière.

INTRODUCTION

Au cours des dernières décennies notre monde est en transition et  tend chaque fois plus vers la parité. Cette évolution génère l’inquiétude et des réactions patriarcales ont lieu. Un exemple est la généralisation du port de la barbe, symbole évident de virilité. Bien des domaines sont particulièrement patriarcaux et pas toujours ceux auxquels on pense. Ainsi, les mutuelles ou les syndicats sont farouchement patriarcaux alors que l’Armée est beaucoup plus ouverte aux femmes. Indiscutablement, nous vivons encore dans un monde patriarcal.

La France est particulièrement patriarcale et se classe 129ème sur les 144 pays du forum mondial des égalités. Pourtant quelques grandes figures féminines font avancer la société vers la parité. On peut citer Christine Lagarde, Nancy Pelosi aux USA, Gina Miller en Grande-Bretagne, Angela Merkel, chancelière d’Allemagne ou la Ministre des Armées japonaise. Enfin on peut évoquer le changement des mentalités en ce qui concerne le harcèlement et les abus de pouvoir, ainsi que le mouvement #Me too.

Pourtant l’humanité n’a pas toujours vécu sous un patriarcat dominant comme le prouve le fait qu’au Paléolithique et au Néolithique les cultes étaient exclusivement dédiés à des déesses. Même si certains historiens affirment qu’une importante représentation féminine ne signifie pas une société matriarcale on peut supposer que ce fut le cas. La sédentarisation et l’apparition de l’écriture 3000 ans avant J-C, sont des éléments favorables à l’établissement du patriarcat et des trois grands monothéismes. Il faudra attendre la mise au point de la pilule contraceptive dans la seconde moitié du XXe siècle pour que le patriarcat soit remis en question.

I – Les cultes des grandes déesses mères. 

Le culte des déesses mères s’étend d’environ 400 000 avant J-C jusqu’à l’Antiquité. L’humanité a donc vécu de nombreux millénaires dans des sociétés qui croyaient exclusivement aux déesses. Pourquoi? Un des élément de réponse peut être le fait qu’au Paléolithique l’espérance de vie des femmes est supérieure aux hommes. Une autre explication peut être le fait du nomadisme et de l’absence de comptage du temps. L’homme n’avait pas conscience de jouer un rôle dans la procréation et les femmes en donnant la vie étaient des sortes de « magiciennes ». Dans ce contexte les dieux ne pouvaient être que des déesses.

Au Néolithique on assiste à un changement important : l’espérance de vie croit au profit des hommes. Cependant, le panthéon reste féminin.

Avec la sédentarisation et l’invention de l’écriture l’humanité connait de grands changements et sur le plan religieux des évolutions ont lieu toutes amenant à la mise en place d’un patriarcat fort..

Cependant, c’est le matriarcat Minoen qui invente une symbolique qui perdurera au fil des siècles comme c’est le cas du serpent, du taureau, de la grotte et de la vierge. Ainsi, Zeus naît dans une grotte et Jésus d’une vierge. Par ailleurs, le culte de la grande déesse et de l’enfant est recyclé au cours des siècles. On constate ainsi une continuité avec Cybèle, Artémis puis la Vierge Marie. Par ailleurs, il est fréquent d’être vierge et mère de dieu.

Avec la sédentarisation et l’établissement du calendrier les hommes contrôlent la société et cet état de fait se reflète dans la religion. Les déesses mères effraient les hommes par leur surpuissance. Ainsi durant l’Antiquité on assiste, dans un premier temps, à une cohabitation entre les dieux et les déesses comme le montre le panthéon gréco-romain. On voit apparaître des couples de dieux comme Amon et Mout, Isis et Osiris ou Mercure et Rosmerta, mélange d’un dieu romain et d’une déesse gauloise. A noter que le dieu masculin est celui du conquérant. Mais peu à peu la femme rapetisse et devient confidentielle. Les dieux masculins deviennent de plus en plus nombreux et on assiste dès 1336 avant J-C en Egypte à une tentative de mise en place d’un monothéisme avec le culte d’Aton comme dieu unique. Même si ce sera un échec le processus vers un monothéisme avec un dieu masculin unique est lancé.

Dans les bibles araméennes, l’esprit saint est féminin et les premiers Israélites sont polythéistes. Ils adoptent les dieux cananéens dont Yahvé qui avait une épouse, la déesse Ashéra. La défaite des Israélites face aux Babyloniens et leur exil forcé en 587 avant J-C, amène la création du dieu unique pour justifier ce désastre. Dieu ayant puni l’apostasie des Israélites. Avec le règne de Cyrus le Grand et le retour à Jérusalem, les Israélites installent définitivement le dieu unique et la femme quitte définitivement le panthéon. Seule trace de l’existence d’Ashéra, le fait que même de nos jours, la filiation au judaïsme se fasse toujours par la mère. Avec le judaïsme disparaît également toute représentation de Dieu.

Le poids culturel des déesses mères était si important que même après plusieurs siècles de judaïsme et l’apparition du christianisme certains lieux de culte dédiés aux déesses ne disparaissent pas. C’est le cas du culte d’Artémis à Ephèse (Turquie actuelle) où Saint Paul passe trois ans à prêcher pour instaurer la nouvelle religion et extirper les croyances anciennes.

L’Antiquité voit donc la montée des dieux masculins dans les religions polythéistes et l’établissement durable de deux grands monothéismes : le judaïsme et le christianisme.

II – De l’Antiquité au XXe siècle : le règne du patriarcat.

L’Antiquité a vu l’établissement d’un monothéisme fort avec le judaïsme et l’éradication de toute présence féminine. Le christianisme, bien qu’étant un monothéisme, ouvre une brèche avec la présence importante de Marie, mère de Dieu. On retrouve ainsi la figure de la vierge mère. Au fil des siècles et des apparitions de la Vierge, des lieux de pèlerinages se créent. Le christianisme est le seul des trois grands monothéismes qui comporte une figure féminine car le troisième monothéisme, l’islam, éradique totalement la femme et les représentations. C’est l’apogée du patriarcat absolu. Ainsi l’ange Gabriel qui est commun aux trois religions monothéistes apparaît à Mahomet et non à une femme. L’islam reflète l’obsession masculine de la filiation ce qui entraîne la mise en place d’un contrôle absolu de la femme. L’adultère devient la faute suprême et la virginité une obsession. La garantie du nom et des biens est le premier pilier du patriarcat.

Durant le Bas Moyen-Age, la papauté s’oppose aux femmes qui prétendent se mêler de religion et de diriger. Les béguines cristallisent ce courant subversif. Autonomes, non ordonnées, elles vivent de leur salaire. Vers 1300 Marguerite Porete écrit un traité de théologie. Elle est victime de l’Inquisition qui la condamne au bûcher.  Entre le XIVe et le XVIIe s’établit la chasse aux sorcières non pas pour des raisons de croyances mais bien parce que les femmes demandaient plus de pouvoir et de responsabilités civiles et religieuses.

Le XVIIe siècle marque un tournant avec notamment les pièces de Molière, dont « Les femmes savantes », qui dénonce  entre autre le mariage forcé. On peut mentionner que cette pratique est loin d’avoir disparue comme le prouvent les 700 millions de mariages forcés encore proclamés de nos jours.

Par ailleurs, le christianisme maintient la figure de Marie et les pèlerinages se développent. Le protestantisme quant-à lui élimine totalement la Vierge et voit son culte comme une abomination. Nous sommes à nouveau face à une réaction patriarcale.

La Révolution française aurait pu être une opportunité pour les femmes mais c’est au contraire une énième réaction patriarcale. En effet, Olympe de Gouges, crée des clubs de discussions politiques et cherche à faire promulguer une constitution qui reconnaîtrait les droits des femmes. Elle finit sur la guillotine en 1793 et les clubs féminins sont fermés. On justifie ces actes par le fait qu’elle avait un comportement contre nature et qu’elle encourageait les femmes à sortir de leur milieu naturel c’est-à-dire le foyer. Olympe de Gouges se verra refuser l’entrée au Panthéon en 2014, preuve de la ténacité du patriarcat. Un autre exemple est le fait que le divorce est autorisé le 20 septembre 1792 puis modifié par décrets en 1793 et finalement interdit en 1807.

Le vêtement a également toujours joué un rôle clé. Certaines femmes ont dû s’habiller en homme pour agir comme se fut le cas de Jeanne d’Arc ou de Jeanne Barret qui accompagne en 1766 le botaniste Philibert Commerson lors de l’expédition de Bougainville. Elle monte à bord déguisée en son valet car jusqu’au XIXe siècle, aucune femme ne pouvait s’engager sur un navire. Jeanne Barret a permis à Commerson de ramener de très nombreuses plantes exotiques et de connaître la gloire. Les vêtements masculins sont pratiques et fermés, les féminins ouverts et inconfortables. Le pantalon, pièce vestimentaire masculine par excellence, a été inventé il y a 3500 ans mais officiellement il est interdit au lycée pour les jeunes filles jusqu’en 1973.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle des mouvements féministes se multiplient et s’organisent de mieux en mieux. De plus en plus de femmes demandent le droit de vote, c’est le mouvement des suffragettes. La Grande Guerre viendra stopper cet élan. Les femmes accéderont au monde du travail mais seront renvoyées dans leur foyers dès la fin de la guerre. La Première Guerre mondiale marque une apogée du patriarcat.

On note une certaine libération de la femme après la guerre de 14-18 avec la disparition du corset et la mode de la garçonne qui impose les cheveux courts et les vêtements fluides qui laissent voir les chevilles. Mais la garçonne scandalise. Cette relative évolution ne durera que quelques années car dès 1939 c’est la Seconde Guerre Mondiale qui marquera à nouveau un arrêt.

A l’international comme en France, tout le décisionnel dépend des hommes. Ainsi, on ne trouve aucune femme à la SDN, pourtant organisme supposé représenter toute l’humanité, ni non plus dans les premières années de l’ONU.

Bien des domaines restent patriarcaux comme l’art, l’enseignement, la justice ou l’histoire. Dans la domaine de la justice, de l’Inquisition au tribunal révolutionnaire puis du tribunal de la République contre les avorteuses, les juges sont toujours des hommes. Dans le domaine historique on peut citer l’exemple de Karl Marx, parangon du patriarcat. En effet, père de nombreux enfants, il n’a jamais réussi à les faire vivre correctement et trois d’entre eux meurent de sous alimentation et par manque de soins. Il a de nombreuses maîtresses, dont sa domestique dont il ne reconnaîtra jamais l’enfant. Il laisse mourir sa femme d’une longue maladie mais part soigner ses problèmes respiratoires en Afrique du nord. Sur le plan intellectuel il est le théoricien du marxisme qui en excitant la convoitise des masses engendre le premier totalitarisme et sera la base du national socialisme. En dépit de toutes ces erreurs Karl Marx reste un auteur mondialement étudié aussi bien en philosophie, qu’en histoire. Par opposition bien peu de gens connaissent Madeleine Legendre Marx Paz, qui elle, dénonce dès 1938 les dérives de la théorie marxiste, en condamnant à la fois le patriarcat, la guerre, les totalitarismes, le communisme, le trotskisme et le national socialisme.

III – Depuis 1957 : la fin du patriarcat ?

La science a joué un rôle dans l’émancipation des femmes. Dès 1677 on découvre le spermatozoïde et en 1694 se développe l’animaculisme qui affirme que le fœtus entier est dans le spermatozoïde. Mais pour les partisans de l’ovisme, l’embryon est transformé dans la femelle. Le premier tournant a lieu au milieu du XVIIIe. En 1745 Moreau de Maupertuis clôt le débat en remarquant que l’enfant d’un noir et d’une blanche a une couleur intermédiaire. Le deuxième tournant a lieu au XIXe siècle quand Prevost et Dumas démontrent que le spermatozoïde n’est pas un simple parasite. Enfin en 1876 Hertwig et Fol décrivent la fusion des deux noyaux pour en former un nouveau. Les scientifiques montrent la parité de l’homme et de la femme dans la procréation. A partir des années 1950, trois fondamentaux liés à la science transforment les mentalités : la question de la fécondité, la pilule et l’IVG. Derrière la recherche scientifique c’est la place de la femme qui est en jeu.

L’ADN est découvert par la scientifique britannique Rosalind Franklin mais victime du patriarcat scientifique, ce seront deux chercheurs de Cambridge qui s’approprient la découverte et récoltent les lauriers de la découverte.

Toujours dans les années 1950, Katherine Dexter, biologiste et épouse du millionnaire Mc Cormick, finance la recherche sur la mise au point de la pilule contraceptive en collaboration avec les biologistes Gregory Pincus et Margaret Sanger. Elle est commercialisée dès 1960 aux Etats-Unis. Cette découverte change radicalement la société aussi bien socialement qu’économiquement.

Enfin la légalisation progressive de l’IVG donne le droit aux femmes de disposer librement de leur corps. Les partisans du patriarcat réagissent comme on a pu constater lors des interventions de Simone Veil à l’Assemblée Nationale lors des débats pour légaliser l’IVG. Les résistances patriarcales se poursuivent dans différents domaines comme la musique, la culture ou l’audiovisuel, les réalisateurs et les éditeurs étant quasi exclusivement masculins. La politique, au niveau le plus élevé reste très masculine, en Europe 7 femmes sont chefs d’Etat sur 48 pays, en Asie elles ne sont que 5 sur 50 pays et en Afrique 4 sur 54 pays.

Cependant la diffusion de la contraception a permis une inversion des postures, l’homme n’a plus les clés de la paternité. La femme décide quand, avec qui et combien d’enfants elle aura. C’est un grand pas vers la fin du cycle patriarcal. L’usage généralisé de la pilule, les mariages homosexuels et la confusion dans la procréation entraînent la perte des repères traditionnels. Le patriarcat décline dans toutes les sphères du pouvoir (famille, institutions et nation). Malraux n’avait t-il pas dit que le XXIe siècle serait féminin?

CONCLUSION

Les femmes ont depuis l’Antiquité vécu dans des sociétés patriarcales qui ont cherché à les contrôler. A partir de la seconde moitié du XXe siècle, la donne change et partout les femmes gagnent du terrain. Les femmes sont plus nombreuses, vivent plus longtemps, sont plus performantes dans les examens académiques et dans les entreprises. Par ailleurs, la révolution des services leur donne l’avantage car on a besoin de moins de compétences musculaires et de plus d’endurance. La révolution écologique qui commence leur est aussi favorable car elle demande moins de compétition et plus de coopération. Il reste cependant l’invisibilité des femmes : très peu de personnes savent que l’artiste français le plus exposé est une femme, Annette Messager, ou que le meilleur sommelier de France est aussi une femme.

 

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