MACÉDOINE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

Thèmes: Histoire, Géopolitique                                                                                           Conférence du mardi 14 janvier 2020

MACÉDOINE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

Par Monsieur André PALEOLOGUE, docteur en histoire, expert consultant auprès du Centre pour le Patrimoine mondial  (UNESCO).

Introduction

Autant du point de vue géographique que politique, la Macédoine parait même à ce jour un espace difficile à cerner. En fait, il s’agit avant tout d’un territoire habité par des populations de traditions et de langues différentes géré par plusieurs Etats : la Grèce, la Macédoine du Nord, la Bulgarie et l’Albanie. Depuis 1991, suite à l’implosion de la fédération Yougoslave, une « Macédoine » – république indépendante – essaye de gagner sa reconnaissance internationale soit comme Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM/FYROM), soit, depuis 2018, avec l’accord obtenu in extremis de la Grèce, en tant que République de Macédoine du Nord. On regroupe sur le territoire qu’elle gère tout particulièrement des locuteurs de langue slave et une forte minorité albanaise. Personne n’est prêt à oublier pour autant que l’histoire de la Macédoine, riche et complexe, constitue depuis la haute Antiquité une des pages les plus brillantes de la civilisation européenne.

I – La Macédoine d’hier.

La Macédoine est un pays de montagnes (d’ailleurs l’appellation de « Macédoniens » viendrait de « makedónes » qui signifie « les gens des hautes montagnes »). Cette donnée géographique a permis aux habitants de cet espace de se sentir protégés face aux envahisseurs, tout en les contraignant à un certain degré d’autarcie. Pour sortir de cet isolement il a fallu que les Macédoniens se tournent vers l’Est anatolien. Ainsi, Alexandre le Grand ne forme-t-il pas son empire en prenant cette direction ?

Hérodote (vers 450 av. J-C) traite les Macédoniens de barbaroi, mais moins d’un siècle plus tard, ces « barbares » s’exprimeront parfaitement en grec. Si Philippe II, roi de Macédoine, impose son hégémonie militaire presque à toute la Grèce, son fils, Alexandre, à partir de 336 av J-C, crée un empire qui ira de l’Egypte à l’Inde assurant ainsi la diffusion de la culture hellénistique sur de vastes territoires. Il est toutefois utile de rappeler combien ce «Grand» Alexandre fut redevable à la pensée du «Macédonien» Aristote (de Stagire) qui lui a inculqué les principes et les idées fondatrices d’une civilisation qui est encore à ce jour la nôtre.

Le rayonnement de la Macédoine alla de pair avec son essor économique, artistique et culturel. Ainsi, furent trouvées à Pella des mosaïques de galets uniques au monde de par leurs qualités artistiques, tandis que dans les tumuli royaux de Vergina, les inventaires d’objets funéraires (artefacts en or massif ou plaqués d’or et d’ivoire – coffres (larnax), urnes et autres récipients (rhytons, kylix…) magnifiquement réalisés – témoignent d’une inégalable maitrise artisanale.

On notera au passage, que ce sont les militaires français qui, sur leur chemin vers la Crimée au milieu du XIXe siècle et surtout lors de leur séjour de presque trois ans autour de Salonique pendant la Grande Guerre, découvrirent les vestiges de l’ancienne Macédoine permettant ainsi sa mise en valeur. De nos jours, de nombreuses pièces archéologiques de ces contrées sont conservées et exposées au Musée du Louvre.

Lors de l’expansion romaine vers l’Est, une des premières régions conquises au prix d’incessants combats fut, bien évidemment, la Macédoine. Elle deviendra province de l’Empire en 147 av. J-C. permettant aux Romains de puiser dorénavant dans la richesse culturelle gréco-macédonienne au point que les élites romaines adoptèrent le bilinguisme et les valeurs helléniques.

Grands bâtisseurs et maîtres d’infrastructures routières, les Romains tracèrent à travers la Macédoine le chemin le plus direct et efficace allant de l’Adriatique à la Mer Noire qui sera des siècles durant connu comme la Via Egnatia. Les vestiges découverts le long de cette voie, évoquent l’opulence économique et culturelle de l’époque romaine. Encore aujourd’hui, Heraclea Lycentis (Monastir/Bitola), la ville d’Edessa, Thessalonique ou Kavala portent cette empreinte. Les bornes miliaires romaines (placées tous les 1500 mètres selon la pratique romaine) ponctuent encore aujourd’hui ce trajet d’environ 1120 km (696 miles / 746 miles romains).

Le grand rôle que la Macédoine a joué dans la diffusion du christianisme est à souligner à son tour, car l’apôtre Paul, ayant converti et baptisé les premières communautés chrétiennes en Macédoine, leur adressera de fameuses « épîtres » (aux Philippiens et aux Thessaloniciens) afin de les encourager à suivre le « bon chemin ». Ainsi, la Macédoine abrita les premiers chrétiens européens bâtisseurs d’églises et de basiliques. On honore les reliques de Démétrios – « mégalo-martyre » chrétien du IVe siècle – à Thessalonique et, à l’église Sainte-Sophie de la même ville, on évoque le martyre de la sainte femme Sophie et de ses trois filles portant le nom des vertus théologales : Foi (Pistis) , Espérance (Elpis) et Charité (Agapè).

La qualité de vie dans l’Empire romain christianisé et partiellement devenu « byzantin », est une réussite et bien des peuples tentent de l’intégrer. C’est le cas des Slaves qui investirent le nord de la Macédoine à partir du VIe siècle. Il faut toutefois rappeler que ces nouveaux « barbares » utiliseront tous les leviers que le droit foncier de l’époque romaine-byzantine pouvaient leur offrir. En effet, selon les codes en vigueur au IXe siècle, défricher, pratiquer l’agriculture et payer les impôts, entrainent leur reconnaissance au sein de l’Empire. Les Slaves réussiront ainsi à s’intégrer au point que les guerriers Bulgares envahisseurs qui arrivent deux siècles plus tard finissent par se slaviser rapidement. Ce n’est qu’ultérieurement que les prétentions territoriales du « Tsar » slavo-bulgare Samuel vont inquiéter Constantinople et la dynastie d’origine macédonienne au pouvoir au point d’engendrer un conflit armé. Ainsi, à partir de l’an mil (1014), l’autorité byzantine victorieuse s’imposa en Macédoine pour une longue période.

Au Moyen-âge, cette région de l’Empire romain d’Orient dépendra de la juridiction de Thessalonique. Ensuite, pour une courte durée, elle devra subir celle imposée par le Kral serbe Dusan Uros Nemanjic (1350) avant de faire face pendant plus de quatre siècles à l’occupation militaire turco-ottomane. En dépit des vicissitudes, les Macédoniens resteront profondément attachés au christianisme, leur territoire continuant à être marqué d’églises et de monastères. Ceci s’explique aussi par le rôle joué par le clergé gréco-slave de Macédoine qui, depuis le Xe siècle, fut la référence et le fer de lance de la mission chrétienne orthodoxe slave depuis les Balkans jusqu’aux steppes russes et la Sibérie. La présence sur le territoire macédonien du Mont Athos sur les pentes duquel, depuis plus de mille ans, se sont installées de puissantes communautés monastiques, a eu le don d’entretenir une ferveur religieuse qui imposa respect y compris au conquérant musulman. Bien que les Macédoniens de langue grecque ou slave aient su résister à la tentation de l’islamisation, on note la présence de nombreuses influences «orientales» dans l’architecture vernaculaire et le décor domestique. Cependant, une partie de la population albanaise de Macédoine convertie de force à l’Islam, construira ses édifices de culte, ses tekkés et türbes de manière souvent originale comme l’atteste la mosquée vivement colorée de Tetovo. Les convertis à l’islam auront toutefois le bénéfice d’une ascension sociale souvent brillante dans le cadre de l’Empire ottoman. Le cas de Méhémet Ali (1769-1849) «Albanais» de Kavala (ancienne Néapolis) qui gouverna de main de fer l’Egypte ottomane et fonda la dernière dynastie royale de ce pays, est pour le moins édifiant pour l’histoire de la Macédoine qui, à partir du XVe siècle a d’ailleurs, dû connaitre le destin de tout le Balkan soumis au bon vouloir de la Sublime Porte.

Soutenue efficacement par l’Occident de l’Europe, la Guerre pour l’Indépendance menée par les Grecs de 1821-30, a rallumé l’espoir de liberté des peuples habitant la Macédoine. On assistera ainsi, au XIXe siècle, à un essor des nationalismes et à l’émergence d’une tentation « panslaviste » qui gagnera les Macédoniens de langue slave. Le nationalisme grec s’empara du nom de « Macédoine » pour désigner la zone située au nord-ouest et au centre-nord de la Grèce actuelle, tandis que certains nationalistes slaves l’utilisent en référence à une région plus vaste incluant la Macédoine serbe et une partie de l’actuelle Bulgarie. Ces nationalismes concurrents n’auront pour point commun que la seule lutte contre les Ottomans.

Au XIXe siècle, la population sur ce territoire est loin d’être homogène, car y cohabitent, depuis déjà plusieurs siècles, Grecs, Slaves, Albanais, Aroumains, Tsiganes, Juifs et Turcs. Si au nord de la Macédoine les habitants de langue slave sont majoritaires, ces derniers sont toutefois divisés selon leurs adhésions politiques : pro-bulgares, pro-serbes, pro-grecs ou indépendants. Quand la Russie aidera à la libération des frères slaves bulgares, ce qui leur ouvrira largement les portes de la région, l’Allemagne de Bismarck – première puissance européenne à l’époque – s’opposera de toutes ses forces à l’installation d’une présence russe dans les Balkans. Si au Congrès de Berlin (1878), fut décidé l’inscription sur la carte politique de l’Europe de nouveaux Etats-nations comme la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie etc., autant les Grecs que les Bulgares et les Serbes, chacun revendiquant des parties de ce territoire, refuseront la création d’un Etat macédonien.

A la veille de la Première Guerre mondiale, la Macédoine se trouvera ainsi au cœur des Guerres balkaniques (1912-1913) dont les Ottomans, Bulgares, Serbes et Grecs furent les belligérants. A l’issue de ces conflits, les terres macédoniennes furent à nouveau partagées entre les pays balkaniques au détriment de l’Empire ottoman. En réaction de ces décisions, l’ébauche d’une identité macédonienne propre va émerger de manière plus ou moins bien définie.

Durant la Grande Guerre, la Macédoine grecque sera lieu de cantonnement et d’intervention des troupes alliées qui, suivant le plan de Churchill, ouvrirent un front d’«Orient» afin de prendre à revers les forces de l’Axe (Allemands, Autrichiens, Bulgares et Turcs). De nombreux militaires français laissèrent leurs vies sur les fronts de Macédoine participant par leur sacrifice à la victoire finale de 1918.

Cherchant à satisfaire les alliés vainqueurs, les Traités de paix (Versailles, Trianon, Neuilly, Lausanne…) qui s’en suivirent, vont entériner le partage de la Macédoine, cette fois-ci, en faveur uniquement des royaumes grecque et serbe.

II – La Macédoine aujourd’hui

Suite à la Seconde Guerre mondiale, lors de la proclamation, en 1945, de la seconde Yougoslavie, sur l’inspiration et la décision personnelle du maréchal Tito fut créée une « République de Macédoine » intégrée à la Fédération yougoslave socialiste. L’implosion, dans les années 1991, de cette dernière mouture yougoslave, offrit à cette République de Macédoine l’opportunité de déclarer son indépendance étatique en adoptant comme enseigne nationale celle du grand Alexandre, autrement dit, le soleil d’or emblématique découvert par les archéologues dans la tombe de Philippe II de Vergina (Grèce). La jeune République de Macédoine (ARYM/FIROM) prit ainsi le risque de construire sa nouvelle identité sur une revendication de l’histoire macédonienne antique et sur l’utilisation des symboles qui, aux yeux des Grecs, font partie du patrimoine hellénistique et non pas de celui des Slaves. La Grèce protestera fermement et contestera l’usage du nom de « République de Macédoine ». Après 30 ans de conflits sur ce sujet, en 2018, au bord du lac Prespa, fut enfin signé un accord permettant l’adoption d’un rectificatif acceptable en rebaptisant l’Etat multiethnique crée après l’effondrement yougoslave en « République Macédoine du Nord ». Ceci a presque automatiquement ouvert la perspective d’un acheminement de la toute nouvelle république vers une possible intégration européenne.

Conclusion

Sur le continent européen, la Macédoine, bien que territoire peu étendu, représente un espace stratégiquement important, car il constitue aujourd’hui comme jadis, un des passages les plus efficaces vers l’Orient. Depuis l’Antiquité, les nombreuses populations d’origines diverses qui s’y installèrent ont dû subir les conséquences d’un continuel morcellement de leurs terres au bénéfice d’entités étatiques souvent précaires. La Grèce, après la Seconde Guerre mondiale, défend l’héritage grec de la Macédoine du sud en opposition avec les Macédoniens situés au nord et de langue slave. Si depuis 1991, une République indépendante a vu le jour en Macédoine, les « Macédoniens » continuent de se répartir entre la Grèce, la Bulgarie et le nouvel Etat indépendant. Pourtant, la Macédoine antique et médiévale, cohérente culturellement et résistante à toute épreuve, ne serait-elle pas un argument pour garantir la capacité des Macédoniens de tout bord de s’intégrer dans une Europe moderne ? En effet, le projet communautaire sous l’égide de Bruxelles et de Strasbourg, malgré certains doutes qui s’expriment, parait le meilleur combustible pour entretenir l’espoir d’oublier les conflits d’un autre temps et d’effacer les aspérités d’aujourd’hui.

 

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