L’UKRAINE MEMBRE DE L’UNION EUROPEENNE D’ICI 2030 ?

Thèmes: Civilisation, Géopolitique, Histoire                                                                                      Conférence du mardi 3 juin 2025

L’UKRAINE MEMBRE DE L’UNION EUROPEENNE D’ICI 2030 ?

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Par Monsieur Sébastien GOBERT, journaliste indépendant en Ukraine et auteur.

INTRODUCTION

En déposant son dossier de candidature à l’Union Européenne le 28 février 2022, l’Ukraine pensait rejoindre l’Union Européenne vers 2025 mais l’invasion du pays par son voisin russe le 24 février 2022 a pour le moins retardé cette adhésion. Cependant, la guerre d’agression n’a pas fait faiblir le vœu des Ukrainiens de faire partie de l’U.E. même si cela implique de profonds changements. Le souhait profond du peuple ukrainien de s’intégrer à la famille européenne s’est manifesté lors de la Révolution Orange en 2004, de la révolution de la place Maïdan en 2014 et dès février 2022 avec l’héroïque rrésistance face à l’invasion russe. Les Ukrainiens se battent au propre comme au figuré pour intégrer l’U.E. Les terres ukrainiennes ont été mentionnées pour la première fois par Hérodote – considéré comme le père des historiens – montrant bien que l’Ukraine est intrinsèquement européenne.  Par ailleurs, tout au long de son histoire, l’Ukraine a maintenu des spécificités et cela est encore le cas à l’ère post-soviétique. Aujourd’hui, l’Ukraine fait partie de notre géographie mentale, comme un pays et non plus un simple satellite soviétique.

I – Situation après l’effondrement de l’URSS : bref rappel historique.

Les réformes lancées par Mikhaïl Gorbatchev en 1985 ne parviennent pas à moderniser l’URSS. Une combinaison de torpeur économique et de stagnation du système amènent à l’implosion de l’URSS, secouée par les chocs de Tchernobyl, de l’Afghanistan et du réveil des mouvements nationaux dans certaines républiques soviétiques dont l’Ukraine. Le 1er décembre 1991, les Ukrainiens plébiscitent massivement leur indépendance et élisent leur premier Président, Leonid Kravtchouk. Les Ukrainiens voient cette toute nouvelle indépendance comme une opportunité de construire leur propre avenir et d’établir un État Nation semblable à ceux des autres pays de la région.

En 1994, la crise économique qui dure toute la décennie frappe l’Ukraine de plein fouet. Dans ce contexte, Kravtchouk cherche des soutiens à l’Ouest et contre la reconnaissance de ses frontières et son indépendance par les Etats-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne, l’Ukraine renonce à la possession de toutes ses armes nucléaires.

Signe de sa volonté d’intégrer le système occidental, l’Ukraine adhère le 8 février 1994 au partenariat pour la paix, un programme de coopération de l’OTAN à destination des pays non membres et la même année, un accord de partenariat de coopération est signé avec l’Union européenne.

En juillet 1994, Leonid Koutchma est élu à la présidence et se rapproche de Moscou tout en soutenant les relations de l’Ukraine avec l’OTAN. Réélu en 1999, Koutchma durcit sa politique et les médias sont censurés ; il est perçu de plus en plus comme un allié de Poutine.

2004 marque un premier tournant dans l’histoire de l’Ukraine post-soviétique avec les manifestations massives de la place Maïdan afin de faire annuler les élections considérées frauduleuses et l’organisation d’un nouveau scrutin : c’est la Révolution orange. Finalement c’est Viktor Iouchtchenko qui sera élu et qui renforce ses liens avec l’U.E.

En 2010, l’élection de Viktor Ianoukovitch, originaire du Donbass, change la donne et quelques jours avant la signature d’un accord d’association entre l’Ukraine et l’U.E. il fait volte-face. La décision de Ianoukovitch va à l’encontre d’une majorité d’Ukrainiens qui se mobilisent massivement : c’est l’Euromaïdan de 2014 aussi appelée Révolution de la Dignité. Ces manifestations se radicalisent et sont réprimées par le gouvernement menant à la destitution de Ianoukovitch. Cette même année la Russie annexe la Crimée et déstabilise les régions de l’est de l’Ukraine en encadrant la formation de républiques fantoches comme les républiques de Donestk et de Louhansk de la région du Donbass peuplée majoritairement d’habitants russophones. Un coup de force de militants pro-russes instrumentalisés par la Russie enclenche la guerre du Donbass, entre l’expansionisme russe et les aspirations de l’Ukraine à l’indépendance. Le nouveau président ukrainien Petro Porochenko tente de négocier mais c’est un échec parce que la Russie ne reconnait pas son implication dans le conflit et ne cherche pas la paix. En 2019 c’est un néophyte en politique et ancien acteur qui est élu à la présidence : Volodymyr Zelensky. Ce dernier cherche à relancer le processus de paix avec Poutine afin de mettre fin à la guerre dans le Donbass mais c’est un échec. De plus en plus d’Ukrainiens pensent que leur pays ne peut pas se passer de la protection de l’OTAN. Face à cette situation le 24 février 2022 Poutine lance son armée à la conquête de l’Ukraine.

II – L’oligarchie et les oligarques en Ukraine.

La chute de l’URSS en 1991 a laissé un vide politique et économique que certains ont utilisé pour bâtir d’immenses fortunes et créer ainsi une puissante oligarchie. Ces oligarques ont bâti leurs fortunes pratiquement du jour au lendemain par des moyens violents et en s’accaparant les actifs étatiques (industrie, énergie, finance). C’est la période des bandits, opportunistes et fonctionnaires corrompus. Cet état de fait est commun à toutes les anciennes républiques soviétiques (Géorgie, Biélorussie etc.). Mais ce qui va distinguer l’Ukraine c’est que cette oligarchie ukrainienne va accepter le régime démocratique et l’organisation d’élections régulières qui permettent de trancher les différences entre les différentes factions de milliardaires.

En 1994, l’Ukraine connaît une grave crise économique mais l’élection de Leonid Koutchma change la donne. De 1994 à 2005, il va consolider l’indépendance de l’Ukraine en la dotant d’une Constitution et en contrôlant l’inflation et fonder une république oligarchique où la présidence est une sorte de tour de contrôle qui permet aux oligarques de participer à la vie politique en monnayant par exemple des sièges au Parlement ou en détenant des médias. Cependant, il cherche à équilibrer les différents groupes oligarchiques.  De leur côté, les oligarques cherchent à s’acheter une bonne conduite en investissant dans la culture et les organisations caritatives à l’instar des milliardaires américains.

Par ailleurs, la transposition des conflits économiques oligarchiques dans la sphère politico-médiatique a contribué à entretenir une culture du débat, une diversité et des alternances politiques totalement absentes en Russie par exemple qui n’a connu que deux chefs d’Etat depuis 1991, Eltsine et Poutine (Medvedev n’étant qu’un pion de Poutine), ou en Biélorussie avec Alexandre Loukachenko . Dans le même temps, l’Ukraine a eu six présidents et seize Premiers ministres empêchant une verticale du pouvoir qui menacerait leurs intérêts et leurs influences.

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Cette rivalité clanique entre oligarques ukrainiens n’affecte pas leur souhait commun d’avoir un pays indépendant de la Russie. D’ailleurs Koutchma ne justifie-t-il pas l’établissement de cette république oligarchique en avançant que si cela n’avait pas été le cas, les puissances étrangères dont la Russie auraient contrôlé toutes les ressources économiques du pays.

Cependant, en 2004 c’est l’éveil de la société civile et la Révolution orange de décembre 2004-janvier2005 est parfois décrite comme la lutte des millionnaires contre les milliardaires.

Au début des années 2000 des particularités apparaissent dans l’ancien bloc soviétique. Ainsi, en Russie, Poutine met au pas les oligarques ; la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, entre autres, ont des dictatures totalitaires ; à l’opposé les Etats baltes appliquent des thérapies de choc et intègrent l’U.E. L’Ukraine quant à elle reste une république oligarchique dynamique, flexible et durable.

En 2010, l’élection de Ianoukovitch donne naissance à la concentration des pouvoirs au sein d’un petit groupe, qui mène d’une part à la rébellion des oligarques et d’autre part à la montée en puissance de la société civile qui se manifestera par la révolution de la place Maïdan de 2014.

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Ces manifestations ne mettent pas en cause les fondements de la république oligarchique mais démontrent que les Ukrainiens rejettent ce système. Ainsi le mandat de Porochenko (2014-2019) marque le début des changements tout comme le début réel de la guerre avec la Russie qui annexe début mars 2014 la Crimée, Poutine se rendant compte qu’il est en train de perdre ses réseaux d’influence oligarchiques. Porochenko, lui-même un oligarque, cherche une alliance entre la société civile, les réformateurs et les partenaires étrangers.  C’est le début vers un Etat moderne mais les réformes sont compliquées par des blocages et des contre-réformes ; on pourrait parler d’un rythme de « deux pas en avant, un as en arrière ». C’est cet état de fait qui motive la candidature surprise de Volodymyr Zelensky en 2019. Ce dernier est élu Président le 21 avril 2019 avec l’aide de l’oligarque Ihor Kolomoïsky, un magnat des médias porté par la vague de « dégagisme » qui touche le pays. Zelensky ne cherche pas à sanctionner les oligarques,  même si son principal argument de campagne était la lutte contre la corruption à tous les niveaux. Depuis le début de l’invasion russe en février 2022, Zelensky est devenu le visage de la résistance de millions de personnes. Cette résistance puise ses racines dans le rejet de l’autoritarisme destructeur de Moscou aussi bien de la part du peuple ukrainien que des oligarques. Ces derniers, dans la grande majorité, ne sont pas partis et participent à la lutte bien que leurs fortunes se soient réduites.

CONCLUSION

Quel avenir pour l’Ukraine ? Il semblerait que la guerre et la loi martiale permettent à Volodymyr Zelensky de lutter contre la corruption et les oligarques mais des réformes profondes notamment dans la justice n’ayant pas eu lieu si la loi martiale était levée, l’oligarchie pourrait parfaitement survivre. Au cours des trente dernières années, l’oligarchie n’a pas eu que des aspects négatifs notamment en permettant l’affirmation de l’Ukraine face à la Russie. Désormais, l’Ukraine est à la croisée des chemins et doit relever plusieurs défis existentiels : profondes réformes, maintien de son indépendance territoriale et économique, déplacement de la population (forte émigration), forte baisse démographique (forte mortalité due à la guerre et faible natalité) et réussite de son intégration à l’U.E. Les Ukrainiens se sont formés dans la lutte depuis trente ans et c’est dans la lutte qu’ils entendent préserver leurs acquis et défendre leur droit à l’avenir.

Bibliographie

GOBERT, Sébastien, L’Ukraine, la République et les oligarques. Comprendre le système Ukrainien. Éditions Tallandier, Paris, 2024.

 

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