LE DÉSERT ET LA SOURCE, L’ASIE CENTRALE FACE AUX SUPERPUISSANCES ET A L’ISLAM.

Thèmes: Géopolitique, Histoire, Société                                                                                                      Conférence du mardi 05 octobre 2021

LE DÉSERT ET LA SOURCE, L’ASIE CENTRALE FACE AUX SUPERPUISSANCES ET A L’ISLAM.

Par René CAGNAT, Colonel (er), docteur en sciences politiques, spécialiste de la réflexion stratégique, ex-attaché de Défense dans diverses ambassades.

 

INTRODUCTION

Le 11 septembre 2001, le monde est sous le choc. Un groupe terroriste du Moyen Orient venait de commettre à New-York l’attentat le plus meurtrier jusqu’alors en Amérique. En rétorsion, dès le mois d’octobre, l’aviation américaine bombarde massivement l’Afghanistan, tuant nombre d’innocents. Cette politique vindicative est dénoncée dès le mois suivant par le Colonel (er) René Cagnat dans un article paru dans le Figaro intitulé « Le djihad du Président Bush ». L’auteur y prône l’arrêt de toute agression militaire et, à la place, une aide massive pour le développement de cette zone du monde. Cette vision hostile à toute vengeance sera mal perçue en Occident par certains dirigeants ainsi que par l’opinion publique, notamment aux Etats-Unis.

L’ouvrage « Le désert et la source » doit son titre aux contrastes d’une région clé de l’univers   l’Asie centrale située entre la Chine, le Pakistan, l’Inde,  l’Iran et la Russie : le désert fascine par la succession de plateaux désolés et de montagnes quasi infranchissables où les conditions de vie sont extrêmes ; la source attire par la beauté des paysages, la richesse culturelle et la générosité des peuples qui y vivent.

L’Asie centrale stricto sensu (c’est-à-dire cinq républiques de l’ex-Union soviétique) abrite de nos jours environ 75 millions d’habitants pour une superficie inférieure à 4 millions de kilomètres carrés. Mais si on y ajoute, comme il se doit, les « annexes » profondément centrasiatiques du Xinjiang et de l’Afghanistan la population locale s’élève alors à 135 millions sur un territoire de près de 6 millions de km2. C’est l’une des régions les plus fascinantes et complexes du monde notamment sur le plan géopolitique : ce territoire relativement spacieux et peu peuplé est une tentation pour les gouvernants des fourmilières qui le jouxtent, en Chine et en péninsule indienne, en particulier.

I – Des liens profonds avec la population 

René Cagnat lors de ses nombreux séjours en Asie centrale a noué des liens profonds et sincères avec un groupe d’une vingtaine de Centrasiatiques de toutes les classes sociales et peuples locaux, par exemple avec Djouma, un Kyrgyz, remarquable mécanicien et self made man, rentré dans l’armée comme simple soldat et devenu adjudant-chef grâce à son courage et son intelligence.

Ces relations étroites, aussi bien parmi des personnes influentes que de simples paysans, des personnages nets ou douteux permettent une connaissance des problèmes et des besoins réels des populations. Une lutte efficace contre le terrorisme ne peut être mise en place que grâce à cette connaissance et une collaboration, de la base au sommet, avec les peuples d’Asie centrale et leurs dirigeants.

Cette région du globe a toujours été un passage pour les échanges entre les peuples d’Asie et l’Europe, la route de la soie étant un bel exemple. Ces échanges ont donné naissance à divers courants culturels au fil des siècles. Certains monuments, comme le minaret de Djam situé à l’ouest de l’Afghanistan actuel, bâti en briques de terre cuite, haut de 63 mètres et datant du XIe siècle, inséré au patrimoine mondial de l’UNESCO, ont attiré à plus d’un titre l’attention de l’auteur. Le bandeau en mosaïque bleue qu’il arbore à mi-hauteur mentionne la dix-neuvième sourate du Coran. Cette sourate dédiée à Myriam ou Marie, « mère du prophète Jésus », reflète les différentes influences qui ont touché le Khorassan[1]. C’est l’une des seules sourates où Mahomet témoigne d’une certaine tendresse. Cela révèle l’apparition progressive en Asie centrale, dès le Moyen-âge, d’un islam soufi « humaniste » marqué par les traditions centrasiatiques, assez voisin du chiisme et plus tolérant que l’islam sunnite. Hubert Lyautey disait que le soufisme était une « voie » permettant de se rapprocher des musulmans.

La population de l’Asie centrale est une mosaïque de peuples divers appartenant majoritairement aux familles indo-européennes et turques. La famille la plus nombreuse est celle des langues turques (d’où l’appellation globale de Turkestan, le pays des Turks). En font partie les Ouzbeks, les Ouighours, les Kazakhs, les Kyrgyzs, les Turkmènes, etc. La famille indo-européenne (celle des Slaves, colonisateurs russes et ukrainiens) comporte sur place une branche indo-iranienne (Persans, Tadjiks, Nouristani, Pachtounes et Baloutches, etc). Notons l’apparition récente au Xinjiang de plus de dix millions de Chinois appartenant à d’autres familles linguistiques et colonisant cette province centre-asiatique incorporée depuis un millénaire à la Chine. Les alphabets peuvent être différents, les modes de vie opposés (sédentaires ou nomades) et, même s’ils sont tous musulmans, on note parmi les Centrasiatiques des courants religieux différents (sunnites, chiites, ismaélites, se surajoutant à la tradition soufie).

Cette complexité rend d’autant plus difficile la bonne compréhension des enjeux politiques et économiques du territoire.

II – L’Asie centrale : une région belligène 

L’Asie centrale, comme nous l’avons déjà signalé, se compose d’un noyau de cinq États qui faisaient partie de l’ex-URSS, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan[2], le Turkménistan, le Tadjikistan. Il faut y ajouter « deux annexes » ethniquement et culturellement très proches de l’Asie centrale : l’Afghanistan et surtout le Xinjiang, Far-west chinois, conquis par Pékin voici plus d’un millénaire.

Les frontières actuelles sont celles établies par Staline mais elles sont parfois contestées. Par ailleurs, l’interminable frontière qui sépare la Russie du Kazakhstan, la plus longue du monde, est incontrôlable par suite de son ampleur.  Cela permet le passage du trafic de drogue vers la Russie, favorisant une situation éminemment belligène. L’observation par satellites aide au contrôle des frontières mais les espaces sont trop vastes pour que cela soit réellement efficace.

Le cas du Xinjiang est encore plus complexe du fait que c’est une région appartenant à la Chine, pays d’Asie de l’Est ayant une culture et des langues très différentes de celles des peuples d’Asie centrale. Culturellement, le Xinjiang est très proche de l’Asie centrale mais une bonne partie des ressources énergétiques de la Chine se trouvant sur ce territoire, il est exclu d’imaginer la possibilité d’un Etat indépendant musulman ouighour (45% de la population locale) à cet endroit : la Chine ne le tolèrera jamais.

Les Azéris[3], les Ouzbeks, les Turkmènes et, dans une moindre mesure, les Kyrgyzs et les Kazakhs sont des peuples apparentés aux Ottomans de Turquie alors que les Tadjiks sont indo-iraniens. Par ailleurs, facteur belligène de plus, les Ouzbeks et les Tadjiks sont majoritairement sédentaires contrairement aux populations des autres États, plutôt nomades de tradition. En Afghanistan on trouve deux grandes minorités, les Tadjiks et les Pachtounes qui se répartissent entre l’Afghanistan et le Pakistan, mais aussi des Baloutches, des Hazaras, des Kazakhs et des Ouzbeks. L’Afghanistan est le pays d’Asie centrale qui comporte le plus de peuples différents. C’est aussi le pays qui produit 90% de l’opium illégal du monde ce qui pose problème surtout dans la région puisque, après l’Afghanistan, les deuxièmes et troisièmes pays consommateurs d’héroïne sont l’Iran et la Russie.  Cette dernière est, de pair avec la Turquie, l’un des passages pour l’entrée de l’opium en Europe. Le trafic de drogue générant d’importants revenus, des conflits peuvent surgir pour le contrôle des routes de ce trafic.

Si l’opium peut être une source de conflits, l’eau l’est bien plus. Ainsi, le Kyrgyzstan possède le plus grand lac d’Asie centrale et donc la plus grande réserve d’eau douce, le lac Issyk-Koul, convoité par la Chine et le Kazakhstan. Si le Kyrgyzstan et le Tadjikistan sont les pays les plus pauvres de la région, ils détiennent, dans leurs montagnes, des réserves d’eau qui font cruellement défaut à l’Ouzbékistan, au Turkménistan et au Kazakhstan. Ces trois États sont très dépendants de l’eau de leurs deux voisins et seront incités à la récupérer, s’il le faut manu militari. Par contre, le Kazakhstan et surtout le Turkménistan possèdent de grandes réserves de gaz. Ils exportent chaque année vers la Chine deux fois plus que la consommation annuelle de la France.

Certains lieux correspondent à une concentration d’intégristes et donc de terroristes potentiels comme c’est le cas de la vallée de Ferghana, partagée entre l’Ouzbékistan, le Kyrgyzstan et le Tadjikistan. Dans cette dernière république une vallée centrale, celle de Garm, recèle une population musulmane particulièrement fanatique. La montée de l’islamisme dans ces vallées est illustrée par les tensions ethniques entre Ouzbeks, Tadjiks et Kyrgyzs à propos de petits territoires enclavés près des frontières. Elle anime aussi des querelles autour de l’eau qui se greffent sur les dissidences politiques d’après l’indépendance. A l’opposé, la région du Pamir ou Gorno-Badakhsnan où règne un islam tolérant, celui de l’ismaélisme, se distingue par un certain calme.

Enfin nous pouvons mentionner le fait que l’Asie centrale est cernée de puissances nucléaires : Chine, Russie, Inde et Pakistan de même que l’Iran qui cherche par tous les moyens à acquérir l’arme atomique. Cette donnée, par – delà la prudence qu’impose la présence d’armes nucléaires, ne fait qu’ajouter un risque supplémentaire de conflit dans la région, l’Iran soutenant les peuples d’origine iranienne face aux peuples d’origine turque et les communautés chiites face aux sunnites.

CONCLUSION

L’Asie centrale est une poudrière par suite de sa multi-ethnicité, des rivalités religieuses ou tribales,  des litiges pour les ressources mais aussi à cause des rivalités des superpuissances : Chine, Etats-Unis et Russie. Cette dernière, par exemple, cherche à attiser les conflits entre ses anciennes républiques afin de garder une certaine mainmise sur tout le Turkestan : diviser pour régner… Les Etats-Unis, quant à eux, ont cherché et cherchent encore à garder des bases militaires dans la région afin de justifier leur présence dans cette partie du monde. Cette présence est considérée comme vitale ainsi que le révèle le fait que, à partir du moment où le retrait américain d’Afghanistan s’est concrétisé, l’Iran a été accepté en rétorsion dans l’Organisation de Shanghaï, le rétablissant par là même sur la scène internationale.

L’apaisement en Asie centrale passe par une bonne analyse de la situation et de l’avenir ainsi que par une aide massive au développement afin d’éviter toute radicalisation islamiste qui, fatalement, émigration aidant, aurait des conséquences dans nos sociétés occidentales.

[1] Vaste et ancienne région, remise à la mode par Daech, regroupant des territoires surtout désertiques au sud-est de l’Iran, à l’ouest de l’Afghanistan, au nord-ouest du Turkménistan.

[2] René Cagnat milite pour cette orthographe simple qui se rapporte à la traduction du kyrgyz, loin des complexités des interprétations russe « Kirghizstan » et surtout française « Kirghizistan » !

[3] Les Azéris situés au Caucase parlent une langue turque.

 

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