LA SYRIE AVANT ET APRES 2011

THEMES: Histoire – Géopolitique                                                                                       Mardi 10 Octobre 2017.

LA SYRIE AVANT ET APRES 2011

par Messieurs Farès EGHO, médecin rhumatologue d’Alep, réfugié syrien

et Jean-Marc CHANEL, expert en management et poète. 

INTRODUCTION

En 2011, une vague de révoltes ayant pour origine l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi un jeune Tunisien, éclate à travers le monde arabe. C’est le printemps arabe qui a bouleversé la donne géopolitique au Maghreb et au Proche Orient et détruit la vie de milliers de personnes. La Syrie se trouve au centre de cette problématique et connaît une guerre civile qui dure depuis sept ans. 

IRetour sur l’histoire de la Syrie depuis 25 siècles jusqu’au 2011 date du soulèvement syrien ,

L’histoire de la Syrie dans la longue durée est dominée par l’influence gréco-romano-byzantine. La période hellénistique s’étend de  334 av. J-C à 64 av. J-C. Durant ces trois siècles  la Syrie connaîtra un essor culturel et économique important sous l’influence hellène. Le territoire de la grande Syrie faisait partie du Royaume Séleucide. De 64 av. J-C à 634 de notre ère, la Syrie fera partie de l’Empire romain puis byzantin. Elle connaîtra pendant deux siècles une prospérité économique et culturelle, puis tous les malheurs s’abattent sur elle : Les querelles théologiques sur la nature du Christ entre les divers courants chrétiens, les guerres civiles, l’invasion de l’armée perse qui détruit les villes, le ressentiment des syriens contre l’empire qui défend mal le territoire, toutes ces facteurs faciliteront la conquête arabo-musulman de la Syrie en 634. Cette domination musulmane perdure jusqu’à nos jours. A souligner que les manuels d’histoire en Syrie ne mentionnent jamais le passé hellénistique et chrétien du pays ; l’histoire officielle débute avec l’islam qui considère tout le passé avant lui comme obscurantiste. Cet enseignement cherche à occulter une grande partie de la richesse culturelle de la Syrie antique qui était de culture grecque et de religion chrétienne. Sans leçon tirée de cette  histoire au long terme, il y a une jeunesse syrienne  avec une mémoire déformée qui considère que la Syrie a toujours été musulmane et,  pour une partie de cette jeunesse, que les chrétiens sont un résidu des croisés, une sorte des pieds-noirs syriens.

La conquête de la Syrie s’est faite durant le période dite de l’islam des califes « bien guidés », c’est-à-dire des quatre premiers grands califes. A la fin de cette période, en 661, c’est la dynastie des Omeyyades (661-750) qui prend le pouvoir et s’installe à Damas. L’Empire musulman alors s’accroît considérablement et connaît un rayonnement culturel important. Puis arrive la dynastie suivante : les Abbassides (750-1258) s’installent à Bagdad et sont clairement pan-musulmans, au contraire des Omeyyades qui étaient pro-arabes. D’ailleurs, leur drapeau est celui repris par l’actuel Etat Islamique.  Au XIIIème siècle l’invasion mongole ravage tout le Proche et Moyen Orient. Il faudra l’établissement de l’Empire Ottoman en 1517 pour retrouver une certaine stabilité.    

L’histoire à moyen terme commence avec l’arrivée de Napoléon en Egypte en 1798. La campagne d’Egypte amène 11700 hommes et 167 savants sur les terres égyptiennes. Cette présence ne rencontre qu’une faible résistance militaire et bon nombre de penseurs musulmans prennent conscience à quel point l’Europe est en avance et en progression alors que l’Orient est en totale décadence. Prenant conscience au XIXème siècle de cet état d’esprit, l’Orient affirme alors sa supériorité religieuse avec l’islam. Le seul atout de l’Orient semble être sa religion, on voit donc naître un courant réformiste de l’islam. 

Durant la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne engage des pourparlers avec Chérif Hussein, membre d’une des plus anciennes familles d’Arabie et garant de la préservation des lieux saints de l’islam, afin de le convaincre d’entrer en guerre contre les Ottomans. Ce nouveau front affaiblirait considérablement la Triple Alliance, association germano-autrichienne plus l’Italie. Lors de ces discussions la Grande-Bretagne promet la création d’un Etat arabe indépendant comprenant l’ensemble des provinces arabes et une partie de l’Anatolie. Or, dans le même temps Sir Mark Sykes pour les Anglais et François Georges-Picot pour la France négocient pour se partager le Proche-Orient. Par ailleurs, les Anglais avaient aussi laissé entendre aux Sionistes l’éventuelle création d’un Etat Juif (déclaration Balfour de 1917) en Palestine.

Les Occidentaux en donnant le pouvoir à la dynastie Saoud favorable au wahhabisme, courant le plus radical de l’islam, ont favorisé la montée des intégrismes et des guerres alors que la famille aristocratique de l’émir Hussein, Hachémite de surcroît, était plus éclairée et prête à la discussion. La Jordanie en est un bel exemple. En effet, on peut souligner la longévité de la dynastie jordanienne -le roi actuel, Abdallah II est l’arrière-petit-fils du roi Abdallah qui est le fils de Chérif Hussein- et en dépit de la pauvreté du royaume et des tourments de la région aucune guerre civile n’a frappé la Jordanie. 

En 1918, on assiste à l’effondrement de l’Empire ottoman et l’accord Sykes-Picot est mis en place. La Syrie se retrouve alors sous mandat français entre 1920 et 1946, après une courte période d’un régime monarchiste avec à sa tête l’émir Faissal le fils du Chérif Hussein le gouverneur de La Mecque. Durant cette période, la France améliore les infrastructures et créé un système scolaire et hospitalier moderne.  La Syrie acquiert son indépendance après la seconde guerre mondiale. Entre 1958 et 1961 c’est la République Arabe Unie. En 1963 a lieu le coup d’Etat baassiste. Le parti Baas est un mouvement de gauche de type soviétique et par conséquent le pays connaît une vague de nationalisations très importante. Nouveau coup d’Etat en 1970 et prise du pouvoir par Hafez-el-Assad. Hafez el-Assad engage la libération progressive de l’économie et une Constitution est même adoptée en 1973. Malheureusement cette même année une nouvelle guerre contre Israël (guerre du Kippour) et l’annexion du Golan en 1967 par les Israéliens plongent la Syrie dans de nouvelles difficultés politiques et financières. Après le décès de Hafez-el-Assad en juillet 2000, son fils Bachar-el-Assad accèdera au pouvoir.  

IILe soulèvement syrien dans le sillage du Printemps arabe.

Le soulèvement du Printemps arabe a touché la Syrie et provoqué une guerre civile. Les premières manifestations ont entraîné la militarisation de l’opposition ce qui a amené une guerre civile. Le chaos commence en Irak en 2003, quand Georges. W. Bush a voulu faire tomber toute la corruption du « grand moyen-orient », du Maroc au Pakistan. Dans un premier temps les Américains se posent en libérateurs mais très vite ils deviennent des envahisseurs. La tension est sous-jacente et l’immolation par le feu d’un jeune Tunisien en décembre 2010 met le feu aux poudres en Tunisie. Les révoltes prennent une ampleur extraordinaire. En Egypte grâce aux réseaux sociaux une immense foule commence l’occupation de la grande place centrale du Caire, la place Tahrir. Quelques révoltes éclatent également en Jordanie et au Maroc mais grâce à leurs monarques éclairés une pacification est possible. A l’opposé on arrive à de graves conflits en Libye et au Yémen. La Syrie, quant à elle se trouve dans une impasse historique avec une grave inégalité économique et sociale (10% de la population détient 70% des richesses) car le régime de Bachar el-Assad n’a pas su évoluer. Au cours du premier trimestre de 2011 Bachar el-Assad entreprend des mesures sociales et accorde la nationalité syrienne à quelques 300 000 Kurdes mais les manifestations se poursuivent ainsi que les opérations de l’armée. Le 31 mai Assad annonce une amnistie générale et l’ouverture d’un dialogue national avec l’opposition. Cependant, l’islamisme se révèle rapidement comme le moteur de la révolution.  L’islamisation mène à la guerre civile dès avril 2011, bien que le terme ne soit pas employé ni par le gouvernement de Damas, qui dénonce un complot monté et orchestré par l’Arabie Saoudite et ses alliés européens, ni par les soulevés qui parlent, eux, de soulèvement populaire. L’attaque chimique d’août 2013 marque un tournant, Paris et Londres exigent le départ d’Assad et se disent prêts à intervenir, mais grâce à la non-intervention d’Obama, un grand chaos et un conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite est évité. Actuellement la France et la Grande-Bretagne n’interviennent pas dans le conflit syrien suite à un revirement diplomatique probablement lié aux diverses attaques terroristes. Ainsi dès 2015, la France donne priorité à la lutte contre Daesh et ne met plus le départ d’Assad comme sa priorité. L’Europe semble avoir corrigé ses erreurs diplomatiques dans le dossier syrien, car une paix durable ne peut être obtenue sans la participation d’Assad aux pourparlers. 

IIIBilan du printemps arabe.

Le printemps arabe présente un bilan bien sombre. Si en Tunisie un mouvement vers la démocratie s’est produit et le pays tend vers l’ouverture, le bilan dans les autres pays est bien négatif. Dans certains pays tel que l’Egypte après un renversement du chef de l’Etat Hosni Moubarak au début de l’année 2012, on voit l’arrivée d’un régime islamiste avec Mohamed Morsi du mouvement des Frères Musulmans, puis le retour des militaires, garants de stabilité. Sept ans après le printemps arabe la Syrie et le Yémen connaissent toujours la guerre civile. Quant à l’Algérie, au Maroc,  à l’Arabie Saoudite et à Oman quelques timides réformes sociales ont eu lieu mais bien peu de choses ont changé. 

La Syrie devient un pays clé dans les jeux d’influence de la région. C’est un pays capital pour la Russie, qui en se présentant comme un médiateur pour résoudre la crise syrienne, revient sur la scène internationale. C’est le cas également de l’Iran qui sort de son isolement et crée un axe chiite (Iran-Irak-Syrie-Liban). La guerre civile syrienne est aussi une partie visible du conflit entre l’Est et l’Ouest dans le domaine économique notamment avec les tracés des oléoducs et gazoducs vers l’Europe : chaque tracé a ses partisans en fonction des alliances, le premier trajet Iran-Irak-Syrie a le soutien de la Russie et le trajet Qatar-Turquie, celui des Etats-Unis.

IVDernières nouvelles de Syrie.

Au cours des dernières années on a assisté à la multiplication des conflits sur plusieurs niveaux. Le Moyen-Orient présente une complexité difficile à saisir. Tout commence au Moyen-Orient, ne s’arrête pas au Moyen-Orient. On peut parler de conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite pour l’hégémonie économique mais aussi religieuse, chacun cherchant à imposer son courant religieux, chiisme et sunnisme. Conflit également culturel entre modernisateurs et conservateurs en ce qui concerne l’islam et la société. Conflit entre la Russie et les Etats-Unis à travers leurs alliés. La crise syrienne a même entraîné la marginalisation du conflit israélo-palestinien, ce qui paraissait impensable.

En ce qui concerne la situation sur le terrain, actuellement en Syrie, le gouvernement contrôle 60% du territoire alors qu’en janvier 2017 ce n’était que 30%. Au nord, les Kurdes contrôlent leur territoire en luttant ardemment contre Daesh, jamais contre le régime d’Assad. Certains territoires sont encore sous contrôle d’Al-Qaida principalement au nord-ouest. Les islamistes modérés, soutenus par la Russie, sont cantonnés au nord. Au sud on trouve encore quelques poches d’islamistes plus ou moins modérés.

VQuel avenir pour la Syrie?

L’avenir syrien passe par l’arrêt de la guerre civile et le début de pourparlers avec tous les partenaires. Il faudra régler le sort des minorités ethno-religieuses notamment des chrétiens, persécutés et contraints à la fuite. La destruction du patrimoine culturel notamment les ruines antiques, les églises et les monastères aussi bien en Syrie (site de Palmyre) qu’en Turquie laisse présager un souci d’effacer totalement le passé grec et chrétien de la région. Les quatre grandes puissances dans la région, Turquie, Iran, Arabie Saoudite et Israël mènent une politique confessionnelle, ce qui est susceptible d’engendrer des tensions. En ce qui concerne la Syrie une résolution de l’ONU stipule qu’il n’y aura ni régime religieux ni partition du territoire. Les pourparlers d’Astana en février 2017 sont un espoir pour trouver une entente. Il faudrait la création d’un gouvernement d’union nationale pour retrouver une Syrie en paix et envisager l’avenir avec plus de sérénité. 

CONCLUSION

La Syrie, qui a vécu l’influence de diverses cultures au fil de sa longue histoire, se trouve actuellement au carrefour d’une situation difficile. Le Printemps arabe a engendré une série de bouleversements dans le monde musulman. Ces révoltes ont créé des conflits dans les différents Etats et une guerre civile en Syrie. L’islamisation  du conflit syrien empêche une solution concertée réunissant toutes les forces en présence. Le jeu des alliances et l’attitude ambiguë de certains Etats comme la Turquie compliquent encore plus la réussite d’une possible réconciliation nationale.  

 

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