LA DÉFENSE ET LES DÉFIS DU QUINQUENNAT

Thèmes: Géopolitique, Société                                                                                                                   Mardi 27 Novembre 2018

LA DÉFENSE ET LES DÉFIS DU QUINQUENNAT

par Monsieur Jacques GAUTIER, Maire de Garches, Ancien vice-Président de la Commission des Affaires Étrangères, de la Défense et des Forces Armées du Sénat.

Introduction

Si le Ministère des armées a remplacé le Ministère de la Défense, il n’existe toujours pas de Ministère de la Paix. Pour assurer sa défense, la France s’appuie sur une politique de dissuasion et sur une politique d’indépendance héritée du Général de Gaulle. Cependant, comme toute stratégie, la Défense présente des aspects très positifs mais aussi des faiblesses. Les coûts qu’impliquent des armées compétentes et des équipements modernes font penser que l’on doit s’orienter si possible vers des coopérations européennes afin de réduire les dépenses et de mutualiser les coûts.

I – Forces et faiblesses de la Défense française.

La France est le seul pays d’Europe où le Président de la République est aussi le chef des Armées. Cette particularité, complétée par une boucle décisionnelle courte, lui permet d’avoir un temps de réaction rapide face à un conflit, les autres pays devant obtenir l’aval de leur Parlement avant d’intervenir. L’efficacité de la France est due à son savoir-faire, à la qualité de ses armées, de leurs matériels mais aussi à cette spécificité.

Notre Défense s’appuie sur la dissuasion à deux composantes : d’une part grâce aux quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins dont dispose la Marine (dont l’un en permanence à la mer). Ces SNLE ne sont pas localisables et, de ce fait, aucun pays agresseur ne serait à l’abri d’une riposte. Cette dissuasion sous-marine est complétée par une dissuasion aérienne, portée par des avions Rafale nucléaires capables par leur déploiement d’intervenir ponctuellement ou d’adresser un dernier avertissement à une menace. Ce volet de la dissuasion est également complété par des forces conventionnelles, en grande partie autonomes, même si le soutien logistique de nos alliés, notamment américains, est parfois le bienvenu.

L’indépendance nucléaire française est le résultat de la volonté du Général de Gaulle de doter la France d’une force nucléaire autonome et d’éviter ainsi la dépendance face aux Etats-Unis. La France doit aussi son autonomie à son industrie de défense très performante. Nous sommes en effet depuis longtemps l’un des cinq plus grands pays au monde fabricant d’armes mais aussi exportateur car nos capacités financières ne nous permettent pas de développer seuls et sans les recettes de l’export, la conception, la réalisation et la fabrication de nos équipements.

Les Armées françaises sont bien préparées, bien équipées et bien commandées. Par ailleurs, elles peuvent intervenir aussi bien dans des conflits du haut du spectre (contre des armées sophistiquées) que dans la rusticité et cela, si nécessaire, jusqu’au sacrifice suprême. Le CPCO (Centre de Préparation et de Commandement des Opérations) travaille en amont et prépare plusieurs scénarios pour chaque éventuel conflit où notre pays pourrait être amené à intervenir. Grâce à ce savoir-faire, notre technicité est optimale au moment de l’intervention.

Un autre point fort des forces françaises est leur savoir-faire dans les interventions extérieures, comme au Mali par exemple. Cela est dû à notre histoire, à notre passé militaire et aux éléments précédemment évoqués sur notre réactivité et nos capacités. De plus, la France est toujours respectueuse du droit international et ce principe lui donne un poids supplémentaire.

Le bilan est globalement positif, mais il faut noter quelques faiblesses dans notre outil de Défense. Ainsi, on peut relever des lacunes dans le domaine du transport aérien stratégique et tactique. L’A400M Atlas, fabriqué par Airbus, a nécessité un long accouchement et ne bénéficie toujours pas de toutes ses capacités opérationnelles. De même, la France connaît une faiblesse dans le ravitaillement en vol. L’armée de l’Air dispose d’une quinzaine de ravitailleurs Boeing C135, mais de plus de cinquante ans d’âge. Leurs remplaçants, les A330 MRTT (Multi Role Tanker Transport) ne seront livrés que très progressivement à partir de fin 2019.

Cela est aussi vrai pour les satellites en nombre et en spécialité insuffisants, mais aussi dans le domaine des drones où nous sommes en retard. Nous avons dû acheter en urgence douze drones américains Reaper de type MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) pour couvrir des zones vastes comme nous en rencontrons au Sahel. Nous disposons progressivement de drones plus petits destinés au commandement tactique mais aussi à l’éclairage au niveau des compagnies, mais des matériels adaptés arrivent progressivement dans nos forces. Il nous faut travailler maintenant sur un UCAV (Unmanned Combat Aerial Vehicle) pour les années 2040. Cet appareil de combat non piloté complétera l’action du successeur du Rafale et nous travaillons sur ce dossier en bilatéral avec le Royaume-Uni et parallèlement avec l’Allemagne. Nous avons commencé des efforts en matière de cyber sécurité et d’intelligence artificielle ; il faut les poursuivre avec des coûts très importants.

Un autre point faible concerne l’usure des troupes et des matériels en raisons d’opérations ou de missions anormalement longues. Aujourd’hui une OPEX (opération extérieure) peut durer plus de dix ans (cela a été le cas en Afghanistan et cela risque d’être dépassé au Sahel). Ces opérations nécessitent de préparer les personnels et les matériels avant leur envoi sur zone mais aussi d’organiser à leur retour leur période de récupération, puis de formation et d’entrainement courant.

L’engagement de près de 10 000 hommes dans l’opération Sentinelle en France, qui est le volet militaire du plan Vigipirate, amène nos soldats à passer régulièrement huit semaines pour assurer une protection passive et illusoire de nos villes et de nos concitoyens. Ce rôle, peu attractif et répétitif de Sentinelle, semble entraîner une baisse du nombre des engagements et prive nos troupes d’un temps de respiration nécessaire et d’un entrainement adéquat.

Après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, nos politiques ont voulu « réduire les dépenses militaires grâce aux bénéfices de la Paix ». Malheureusement, la multiplication des conflits régionaux en Afrique et au Moyen-Orient, et surtout la montée du terrorisme international dans notre voisinage immédiat mais aussi sur notre sol, ont nécessité que la France réinvestisse massivement dans son outil de Défense.

II – Les enjeux pour le futur.

On estime qu’en 2025 notre budget Défense devra atteindre les 2% du PIB soit près de 50 milliards d’euros annuels alors que nous sommes à 35 milliards aujourd’hui. À l’intérieur de cette enveloppe, très conséquente et difficilement atteignable, il faudra faire des efforts pour le personnel et les conditions de vie de celui-ci mais aussi pour le matériel dont une grande partie arrive en fin de vie, nécessitant pour la Marine, l’armée de Terre et l’armée de l’Air des investissements lourds budgétairement.

C’est un défi énorme que les Présidents de la République successifs vont devoir assumer.

Cela est d’autant plus essentiel que la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe nous impacte directement. En effet, en matière de Défense nos deux pays représentaient à eux seuls 50% des dépenses de Défense des 28 nations européennes et 70% de la recherche, recherche sans laquelle il ne peut y avoir d’avenir.

De plus, la constitution d’une armée européenne paraît peu probable car elle nécessiterait un chef commun (et nous n’en sommes pas encore là) mais aussi une vision commune. Les pays de l’ancien bloc soviétique craignent la Russie et considèrent que la défense de l’Europe est assurée par l’OTAN, c’est-à-dire par les américains. Ils achètent du matériel américain pour que les USA les aident si un jour cela était nécessaire. Cela vient encore d’être démontré car tous les pays européens achètent, les uns après les autres, les avions F35 américains plutôt que le Rafale ou l’Eurofighter. La Belgique est le dernier pays à avoir céder aux sirènes de Trump et, seule, l’Allemagne hésite encore. Si cette dernière décidait d’acheter aussi ce matériel américain, le projet d’avion franco-allemand Dassault-Airbus,  successeur en 2040 du Rafale et de l’Eurofighter, serait en grande difficulté car notre pays ne pourrait, seul, financer un tel projet.

Si les énormes investissements réalisés par la Russie et la Chine en matière d’armement peuvent représenter une réelle menace, le terrorisme et le vide dans certains pays africains le sont tout autant. En effet, des pays comme la Libye ou la Somalie sont des territoires de non-droit et des portes ouvertes aux flux migratoires et aux groupes terroristes. Les pays du Sud de l’Europe sont les premiers touchés par les problèmes du continent africain et du Proche Orient et nous sommes tous menacés, dans les années qui viennent, par une immigration massive venue de la zone sahélo-saharienne dont les habitants fuient la guerre, le terrorisme mais aussi la misère. C’est le défi majeur que notre pays et l’Europe devront résoudre car, compte-tenu de la démographie galopante en Afrique, le besoin d’immigration explosera.

C’est la raison pour laquelle certains pays, et notamment la France, ont compris que, parallèlement à des opérations militaires comme au Mali, il faut financer une aide au développement de ces pays pour qu’ils puissent assurer, à terme, leur propre sécurité et mieux répondre aux attentes de leurs populations.

Comme le disait le Général Pierre de Villiers, ancien Chef d’État-major des armées « Gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix » et surtout « La meilleure opération militaire est celle qu’on a pu éviter par un travail en amont dans l’intérêt des populations locales ».

Conclusion

La France est aujourd’hui une puissance militaire complète, qui bénéficie d’une BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) de qualité, d’une grande autonomie et qui a, de par son histoire et sa place de Membre Permanent au Conseil de Sécurité, une vocation mondiale.

Malheureusement, même avec 2% de PIB consacrés à la Défense en 2025, nous n’aurons pas les moyens de maintenir ce statut international.

Nous devrons certainement réduire nos ambitions car, budgétairement, nous ne sommes qu’une puissance régionale avec des ambitions démesurées.

Face aux difficultés intérieures, aux attentes de nos concitoyens, il faudra faire des choix difficiles, mais pour un politique « il n’y a rien de pire que de ne pas choisir ».

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.