ET SI LA FRANCE DISAIT OUI A L’EUROPE ?

Thème : SOCIETE – GEOPOLITIQUE                                                                                                                                              Mardi 31 Janvier 2012

Et si la France disait Oui à l’Europe?

Par Philippe Deloire, docteur en droit, IEP Paris, enseignant à l’ISMAPP. Auteur de «Et si la France disait oui à l’Europe ?»

Monsieur Deloire est venu aujourd’hui nous parler des relations de la France avec l’Union européenne et le Conseil de l’Europe et nous expliquer que malgré ses qualités, la France n’est pas toujours un excellent élève de la classe européenne.

Rappel

La France est un des six pays fondateurs de la Communauté Economique Européenne, depuis le traité de Rome de 1957. Elle a un rôle de leader et, par conséquent,  elle se doit d’être exemplaire.

Il faut rappeler que le droit communautaire ou européen a une valeur juridique supérieure au droit national. Depuis le traité de Rome, signé le 25 mars 1957, comme le mentionne l’actuel traité de Lisbonne, entré en  vigueur le 9-12-2009, s’applique le « principe de primauté »  du droit européen. Ainsi, ce principe est mis en œuvre par la Cour de Justice de l’Union européenne qui cumule les fonctions du juge administratif, judiciaire et constitutionnel et par le juge français. Il lui appartient de faire prévaloir le texte européen sur tout texte français contraire.

En cas de non-respect du droit européen, la Commission européenne gardienne des traités, peut demander à l’Etat de se mettre en conformité avec le droit européen. Si une illégalité est commise, une mise en demeure et un avis motivé sont adressés successivement à l’Etat membre par la Commission européenne.

Si la violation du droit européen commise par l’Etat membre persiste, la Commission européenne, au cours d’une troisième étape de la procédure, peut saisir la Cour de Justice de l’Union européenne. Celle-ci peut condamner l’Etat membre pour violation du droit communautaire. Si ce premier arrêt de la Cour n’est pas exécuté par l’Etat membre, depuis le traité d’Amsterdam, entré en vigueur en 1999, la Cour dispose du pouvoir, sur proposition de la Commission européenne, de condamner l’Etat membre à verser une amende et/ou une astreinte (somme fixée par jour de retard).

Les exemples de refus français

Voici une liste (non exhaustive) de sept refus de la France d’appliquer le droit européen, tous relativement représentatifs.

1-      L’alliance de la France et de l’Allemagne, en novembre 2003, au sein du Conseil des ministres de l’Economie et des Finances (ECOFIN) de façon à obtenir une minorité de blocage pour faire échec à la proposition de la Commission prévoyant de les sanctionner pour  dépassement du seuil des 3% du déficit budgétaire. Les pays qui ont été respecté ce critère de Maastricht ont critiqué cette attitude des deux grands pays de l’Union européenne, alors qu’eux-mêmes ont accompli les efforts nécessaires.

2-      Le réseau Natura 2000 (réseau qui vise à protéger les espèces animales et végétales): la France a été condamnée à 4 reprises : En 1995, la Commission européenne a demandé aux Etats membres de communiquer le zonage des périmètres retenus. La France, alors dirigée par Jacques Chirac (Président de la République) et Alain Juppé (Premier Ministre) a refusé de donner cette information au motif que la France est exemplaire en la matière et que cette procédure contraignante n’est pas utile. La France a été condamnée à 4 reprises par la CJCE, suite aux arrêts des 6 avril 2000, 11 septembre 2001 26 novembre 2002 et du 4 mars 2010 pour ne pas avoir transposé correctement la directive Habitats de 1992 et la directive Oiseaux de 1979 pour constituer le réseau Nature 2000. Depuis, elle a rattrapé son retard grâce à l’action des ministres de l’environnement Nelly Olin et Roselyne Bachelot.

3-      Les organismes génétiquement modifiés : la directive de 2001/18/CE du 12 mars 2001 du Parlement européen et du Conseil est relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement. L’Etat devait transposer la directive au plus tard le 17/10/2002. En raison de l’inaction de la France, la Cour l’a condamnée dans un arrêt du 15 juillet 2004 pour non transposition dans les délais impartis. Le 13 décembre 2006, la Commission a demandé à la CJCE de condamner la France à verser 38 millions d’euros d’amende forfaitaire et 350 000 euros d’astreinte (montant par jour de retard jusqu’à la mise en œuvre de la loi). Entre temps, la France a promulgué, le 22 mai 2008, une loi sur les OGM. La CJUE a rendu son arrêt le 9 décembre 2008 et a condamné la France à verser une amende 10 millions d’euros, mais sans fixer d’astreinte comme le proposait la Commission européenne.

La pollution des eaux de rivière par les nitrates : une directive du 16 juin 1975 définit la qualité des eaux destinées à la production d’eau alimentaire des Etats membres. Elle fixe un plafond de 50 mg/l. de nitrates au-delà duquel, sauf dérogations notifiées à Bruxelles, les collectivités ne peuvent prélever dans les rivières des eaux brutes (ou naturelles) destinées à la consommation humaine. Dans les faits, la France dépasse largement (du fait de la déjection des porcs). En 1993, la Commission européenne adressé au gouvernement français une première mise en demeure. Le 8 mars 2001, un avis motivé est adressé à la France. Le 16 juillet 1999, la France ne réagissant toujours à ces demandes répétées, la Commission européenne  défère cette affaire à la CJCE. Le 8 mars 2001, la Cour de Justice des Communautés Européennes condamne la France pour non respect de la directive de 1975. Malgré cette condamnation, face à l’inaction de la France, celle-ci est menacée d’une seconde condamnation comportant une amende et ou une astreinte, dès lors que e 27 juin 2007, la Commission procède à la saisine de la CJCE. La France publie, le 30 août 2007, le Journal Officiel le décret n° 2007-1281 du 29 août 2007 « relatif à certaines zones de protection des aires d’alimentation des captages ». Le 12 septembre 2007, la Commission européenne annonce qu’elle suspend sa décision de poursuivre la France devant la CJCE, car la France a mis en œuvre un plan d’action intensif. Finalement, le 24 juin 2010, l’Exécutif européen abandonne son recours.

4-      L’affaire des poissons sous taille : affaire qui dure 21 ans !

La pêche au merluchon a été est pratiquée en France avec une taille de filets de pêche ne correspondant pas aux normes européennes. Ces faits ont été constatés dés 1984 dans plusieurs ports bretons. Aussi, 21 ans après, cette affaire se termine, le 12 juillet 2005, par un arrêt de la CJCE qui pour la première fois condamne un Etat à verser à la fois une amende de 20 millions d’€ et une astreinte de 57,8 millions d’€. La somme fut répartie entre les 5 ministères. Tous les ministres de Gauche comme de Droite ont préféré protéger les métiers de la pêche au mépris de la loi européenne. Thierry Breton, alors ministre des finances a déclaré : « la France paiera ». En d’autres termes, c’est le contribuable qui a payé au budget européen !!

5-      La procédure de garde à vue non conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. Depuis les années 50, tout détenu doit être défendu par un avocat. Un avocat lui est donc commis d’office. L’entretien est de 30 minutes entre l’avocat et le gardé à vue, mais il n’assiste pas aux interrogatoires. En Espagne, l’avocat est présent tout le temps. Deux arrêts rappellent ce principe (arrêt Salduz contre la Turquie en 2008 et l’arrêt Dayanan contre la Turquie en 2009). Ces deux arrêts ne traitent pas de la situation de la France, mais au vu de ces deux arrêts, la France a engagé une réforme qui a permis une modification de la loi à ce sujet qui garantit mieux qu’auparavant l’exercice des droits de la défense. Malgré cette modification, la polémique a été entretenue car, d’une part, les policiers s’estiment entravés par cette nouvelle exigence durant leur enquête, tandis que les avocats considèrent que les droits de  la défense  ne sont pas encore suffisamment garantis.

6-      L’expulsion des Roms

La France a procédé à partir de l’été 2010 a l’expulsions de Roms au motif qu’ils occupaient illégalement des terrains en les renvoyant en Roumanie et en Bulgarie munis d’un pécule de 300 euros par adulte et de 100 euros par enfant. Il est reproché à la France d’avoir « ciblé » une population ce qui est interdit par les textes européens. Aussi, la France est-elle montrée du doigt par Mme Viviane Reding Commissaire européenne qui l’a menacée d’introduire un recours en manquement à ce sujet.

Le Parlement européen a demandé l’arrêt immédiat de l’expulsion des Roms vers ces deux pays. Le 27 août 2010, le tribunal administratif de Lille at annulé 4 arrêtés de reconduite à la frontière pris par la préfecture du nord à l’égard des Roms qui avaient été évacués 33 jours avant d’un terrain situé à Villeneuve d’Ascq. C’est le principe de la proportionnalité de la sanction par rapport à l’acte commis que le juge applique: Certes les Roms sont dans l’illégalité, mais celle-ci ne justifie pas une expulsion pour autant. Sur cette affaire, ce n’est finalement pas la CJUE qui sanctionne la France, mais le tribunal français chargé d’appliquer la loi européenne qui est le juge de droit, de facto.

Quelles sont les explications à ces négligences ?

  • Déjà, les Français maîtrisent mal les questions européennes. Ils souhaitent mieux connaître et comprendre le fonctionnement de l’Union européenne.
  • Ensuite, il y a une explication historique : le pouvoir monarchique correspond à une période de l’histoire de France ou la centralisation administrative et politique était à son sommet. Au contraire, d’une part, le pouvoir institutionnel de l’UE est décentralisé entre plusieurs institutions et organes aucun d’entre eux en pouvant imposer leur point de vue aux autres. avec le pouvoir européen fondé sur un système décentralisé. Par ailleurs, depuis 1973, la langue anglaise s’est imposée comme la langue de travail dans les institutions de l’UE, à l’exception de la Cour de Justice. De plus, les concepts développés sont ceux du libéralisme économique des années 90 mis en œuvre par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
  • Les relations entre l’Europe et les Français, c’est « je t’aime moi non plus », car, souvent, l’information fournie est orientée et parcellaire de sorte que nombre de nos compatriotes cèdent à la caricature quand ils parlent de la construction européenne. Selon l’Eurobaromètre, du printemps 2011, organisme de sondages de la Commission européenne, 52% des Européens estiment qu’ils ont bénéficié de leur appartenance à l’UE. Ce sentiment est minoritaire dans 4 pays: le Royaume-Uni (35% contre 54%), la Hongrie (40% contre 49%), la Grèce (47%) contre 50%), et l’Autriche (44% contre 46%).  France : 47% contre 46%. La défiance est majoritaire dans 10 pays de l’Union, pour six à l’automne 2010 (la France (50% contre 39%).
  • En définitive, la France pense que c’est une bonne chose d’être intégrée à l’UE, mais n’est pas certaine que ses intérêts soient bien défendus. Elle a parfois le sentiment de ne pas bien comprendre le fonctionnement dominant.

Les réformes à envisager pour faire évoluer les choses :

  • La réforme scolaire

A la base, il faut mieux enseigner les questions européennes auprès de la jeunesse française. Et pour cela, prévoir une matière sur l’Europe au Baccalauréat. Dès la seconde, enseigner les institutions, puis en 1ère les principales politiques, en terminale le lobbying européen, et des notions sur le management interculturel ce qui serait une manière de mieux comprendre les cultures des autres pays. Libre à l’étudiant de se spécialiser en suivant des études  sur l’UE dans l’enseignement supérieur ou non.

  • La réforme des médias

Il faudrait développer d’avantage de programmes sur les questions européennes, et avoir le courage politique de créer une émission grand public sur l’Europe, à une heure de grande écoute.  Pour l’heure, on se contente d’émissions très tôt le matin ou très tard le soir que ce soit à la radio ou la télévision. Le gros handicap réside dans le fait que très peu de Français soient suffisamment formés pour suivre ces émissions « ghetto ».

  • Un contrôle démocratique

Lors de grands rendez-vous politique comme l’élection des membres français du Parlement européen, en juin 2014, il conviendra de politiser le débat, afin qu’en votant pour un candidat de Gauche ou de Droite, le Président de la Commission européenne soit directement issu de ce vote majoritaire. Si les Français sont mieux formés aux questions européennes, ils pourront décrypter les messages des hommes politiques et mieux exercer leur devoir de citoyen en étant capable de juge en connaissance de cause les propos des dirigeants français et européens.

La France dira alors oui politiquement, socialement et économiquement à l’Europe dans l’esprit suivant : « Pensons d’abord Europe au lieu de faire prévaloir un raisonnement franco-français ! »

 

En savoir plus …

Coté livres :

et-si-la-france-disait-oui-a-leurope

 

Ces dernières années se dessine une France qui refuse d’appliquer les principes posés par la Cour européenne des Droits de l’Homme ou par l’UE – l’affaire des Roms, l’été 2010, en est l’une des dernières illustrations. Pourtant, la France pourrait faire de ses citoyens des Eurocitoyens capables de maîtriser les arcanes de l’UE, de bénéficier des opportunités offertes par le marché intérieur européen et en mesure de juger de l’action européenne de leur gouvernement. Des réformes sont urgentes pour que la France dise enfin oui à l’Europe.

 

 

 

Auteur : Philippe Deloire

Editeur : L’Harmattan

Langue : Français

ISBN: 978-2-296-54570-0 • avril 2011 • 158 pages

EAN Ebook format Pdf : 9782296460027

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=33920

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