LES RUSSES BLANCS EN FRANCE – Leur histoire, leurs institutions

Thème : HISTOIRE ET GEOGRAPHIE                                                                                                                                               Mardi 31 mai 2005

Les Russes blancs en France, leur histoire, leurs institutions

Par Youri Troubnikoff – Président des associations russes en France

Les premières années

Les Russes blancs ne sont pas des émigrés mais des réfugiés. Alors que les émigrés quittent leur pays pour des raisons économiques, pour avoir une vie meilleure, les réfugiés fuient leur pays d’origine sous la contrainte pour survivre. A l’époque de la Société des Nations (SDN), les Russes blancs ont été reconnus comme des apatrides et ont pu recevoir l’équivalent d’un passeport par le Nansen.

Entre nous, nous n’évoquions jamais le terme « Russes blancs », nous préférions « Russes par-delà les frontières ». Une femme remarquable que j’ai bien connue m’a dit sur son lit de mort qu’elle avait perdu ses parents, son mari, ses frères et sœurs mais que le pire était « d’avoir perdu (s)on pays ». Cette femme était ma mère.

Les Russes sont arrivés par trois vagues en France : tout de suite après la Révolution, dans les années 20 ; après la Seconde Guerre Mondiale ;  dans les années 70, essentiellement des dissidents, des intellectuels, des écrivains… Les premiers Russes s’installent en France dès 1918 pour fuir les massacres. Ce sont surtout des aristocrates qui parlent français, qui sont déjà venus en France en villégiature, et dont l’installation se fait de façon quasi naturelle, sauf qu’ils sont totalement démunis.

En 1921, l’Armée blanche, défaite par l’avancée de l’Armée rouge, quitte la Russie par le sud, par la Crimée, et essaime à travers les Carpates. Cette population russe qui arrive par la suite en France est beaucoup plus populaire que les premiers réfugiés.

La France sort de la Première Guerre Mondiale et manque de bras dans les champs et les usines. Les organisations russes mettent en place de véritables bureaux de placement dans les entreprises pour que les réfugiés trouvent rapidement du travail dans les entreprises qui embauchent.

Au total, on estime qu’un peu moins de un million de Russes ont fui leur pays après la Révolution bolchevique et qu’un quart d’entre eux se sont installés en France dans les années 1925-26. Un « Paris russe » se fait jour. Ils sont très nombreux à s’installer dans le 15e arrondissement, à proximité des usines Citroën, ou dans le 17e autour de la rue Daru où se trouve la plus grande église orthodoxe de Paris. Les Russes blancs habitent également à Boulogne-Billancourt (usines Renault), Meudon, Asnières mais aussi sur la côte d’Azur, dans le sud-ouest et, plus globalement, dans toutes les villes industrielles ayant de grandes usines (Belfort, Le Creusot…)

La communauté russe est très soudée. Les associations aident les parents à trouver un travail et un logement, mais pas seulement. Des foyers, des écoles, des orphelinats, des internats, des hôpitaux russes (50 en Europe) sont fondés.

La Seconde Guerre Mondiale, une guerre traumatisante

La montée du nazisme en Allemagne n’inquiète pas les Russes blancs. Comme beaucoup de Français d’ailleurs, ils ne se sentent pas concernés. Mais quand la guerre éclate, les Russes blancs sont confrontés à un dilemme : faut-il combattre ou pas ? Si oui, de quel côté ? N’étant pas Français, ils ne sont pas mobilisés. Certains partent à Londres et rejoignent les forces de la France Libre, douze russes ont d’ailleurs été consacrés « Compagnons de la Libération ». Et il y a ceux qui restent à l’écart et qui regardent la guerre se dérouler.

En 1941, l’Allemagne rompt le pacte germano-soviétique et déclare la guerre à la Russie. Au sein de la communauté russe en France, certains voient là l’occasion de se débarrasser des bolcheviques et s’engagent aux côtés des nazis. A l’opposé, de nombreux Russes entrent en Résistance et intègrent les Forces Françaises Libres. Le célèbre Chant des partisans est l’œuvre d’une Russe, Anna Marli, qui a apporté ce morceau à Kessel et Druon. Ils ont conservé la mélodie mais réécrit les paroles.

En Russie, Staline a ravivé le sens patriotique au sein de la population. Ce patriotisme aura énormément d’influence dans les milieux russes à partir des années 1942-43. A la fin de la guerre, Staline décrète l’amnistie pour tous ceux qui ont quitté la mère patrie. Environ 2 000 Russes de Paris demandent un passeport à l’ambassade et environ 200 partiront. Le mur de fer se refermera derrière eux. Je vous conseille, à ce sujet, le très beau film Est-Ouest. Pour toute la communauté russe, il est certain que l’URSS s’installe pour longtemps, pour toujours. Dès lors, ils sont nombreux à demander la nationalité française.

Les institutions russes en France

Les Russes se retrouvent entre eux, vivent entre eux, en cercle fermé, comme un monde à part. Cette vie de groupe est très riche, intellectuellement et spirituellement.

La vie religieuse s’articule autour de l’église de la rue Daru, construite au XIXe siècle par souscription en Russie et inaugurée par le tsar.

La Révolution a provoqué une ferveur religieuse chez des réfugiés. Des paroisses se créent un peu partout, comme rue de Lourmel (15e) qui est un peu l’anti-Daru. A Sainte-Geneviève-des-Bois (où se trouve une maison de retraite qui est une véritable institution), le cimetière est quasi exclusivement dédié aux Russes. C’est un cimetière magnifique que je vous invite à visiter.

La vie politique. En exil, les Russes « vivaient sur leurs valises » car ils pensaient que leur situation était provisoire. Ils font de la politique « comme là-bas », où s’affrontent les mêmes sensibilités politiques. Mais leurs organisations sont infiltrées par la Gepeou (l’ancêtre du KGB) qui n’hésite pas enlever des dirigeants en plein Paris. Les monarchistes sont divisés en plusieurs factions, les partisans du Grand-Duc Nicolas et les partisans du Grand-duc Cyril.  Les « Jeunes Russes » sont des nationalistes à l’antisoviétisme moins virulent que le NTS dont la station de radio est financée par les Américains. Les Eurasiens pensent que l’avenir de la Russie ne doit pas se faire sur le modèle occidental et cherchent la synthèse entre l’Europe et l’Asie

Les mouvements de Jeunesse sont constitués pour former les cadres de la future Russie. Plus concrètement, ces organismes se chargent d’occuper les jeunes (il n’y avait alors pas de congés payés) et proposent des activités religieuses, sportives, du scoutisme…

Les associations caritatives ont aidé les Russes à s’établir. Pratiquement tous les gens de ma génération ont reçu une aide d’une des associations, que ce soit la Croix-Rouge russe, la maison russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, la fondation Tolstoï, le Zemgor…

La vie culturelle était particulièrement riche. Les réfugiés comptaient parmi eux des professeurs, des artistes, des peintres, (Chagall, Nicolas De Staël), des musiciens (Rachmaninov, Stravinsky…), des écrivains, des juristes… Un véritable concentré de talents. Ce foisonnement culturel donnait lieu à des journées de la culture russe et des réunions étaient organisées chaque semaine.

La communauté russe aujourd’hui

Les Russes sont moins nombreux qu’autrefois. La plupart des unions sont aujourd’hui des mariages mixtes. Les jeunes générations ne sont plus vraiment des Russes, même s’ils peuvent en connaître l’histoire et la culture. Mes petits-enfants sont Français.

La communauté subsiste néanmoins grâce à ses nombreuses associations qui demeurent actives. Il se passe toujours quelque chose.

La chute de l’URSS a été un choc. Que sommes-nous, des Russes ou des Français ? Faut-il retourner là-bas ? A partir de 1991, je suis parti moi-même m’installer un an pour mon travail. En fait j’y suis resté six ans avec mon épouse, d’abord en Sibérie puis à Moscou. Je connais mieux la Russie, j’ai beaucoup voyagé et j’aime beaucoup ce pays mais je suis rentré en France. C’est ici que je finirai mes jours. Aujourd’hui, comme la presque totalité de la communauté russe, nous sommes Français, avec une culture et des racines russes. C’est là un exemple rare d’intégration d’une communauté dans un pays étranger.

En savoir plus …

Coté Livres :

Aliocha

Henry Troyat

http://fr.wikipedia.org/wiki/Aliocha

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Russes_blancs

http://www.oecd.org/document/43/0,3343,fr_2649_37415_2078827_1_1_1_37415,00.html

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