UNE HISTOIRE DES ROUTES DE FRANCE. MÉMOIRES DE CANTONNIERS

Thèmes: Histoire, Géographie, Economie                                                                             Conférence du mardi 28 janvier 2020

UNE HISTOIRE DES ROUTES DE FRANCE. MÉMOIRES DE CANTONNIERS

Par Monsieur Michel LABROUSSE, conférencier du musée des Ponts et Chaussées.

INTRODUCTION

Les routes peuvent être nationales, départementales ou vicinales, romaines ou modernes, célèbres comme la nationale 7 ou anonymes mais elles ont toutes pour fonction de relier les hommes. Lorsque l’on parle de route, on entend l’itinéraire mais aussi l’infrastructure c’est-à-dire la route en elle-même et donc les évolutions techniques. On peut distinguer cinq grandes étapes : le chemin, la route carrossable, la route goudronnée, l’autoroute et la route intelligente.

I – Le chemin et les routes romaines.

Au départ, le chemin se marque uniquement par le passage régulier des hommes. A l’époque romaine les routes se développent à travers tout l’Empire. De grandes voies reliaient le Nord au Sud comme la via Germania qui reliait Cologne aux bords de la Méditerranée, et l’Est à l’Ouest comme la via Diagonalis qui allait de Gaule jusqu’à Constantinople. Le maillage est dense sur tout le territoire et aucune région n’est isolée. Avant les Romains, les peuples celtes de Gaule avaient construit des routes mais le maillage n’est pas comparable à celui des Romains.

Les routes romaines étaient très droites car il n’y avait pas de contraintes de propriété. Par la suite, la fondation de villages et la notion de propriété feront que les tracés ne seront plus aussi rectilignes.

D’un point de vue technique, la voie romaine reposait sur une fondation de blocs et de pierres plates recouverte d’une épaisse couche de cailloux et de sable. Le revêtement était formé de dalles liées au ciment, sans joint. L’écartement des roues et des rainures était standardisé à 1,43 mètres en plaine, écartement repris au XIXe siècle pour les rails de chemin de fer. On utilisait déjà un appareil de contrôle des niveaux. Par ailleurs, les Romains posaient des bornes tous les 1500 mètres environ -les bornes milliaires- permettant de mesurer les distances et de se repérer. Les routes sont liées par de rares ponts, très bien élaborés et solides, et qui pour certains sont toujours en service comme celui de Vaison-la-Romaine.

II – Du Moyen-Age à la Révolution.

Il existe très peu de documents sur les routes du haut Moyen-Age. Comme le pouvoir n’était pas centralisé les routes romaines n’ont pas été entretenues et se sont donc extrêmement détériorées. A partir de l’an 1000, le commerce se développe et les échanges se multiplient ; on cherche donc à améliorer les infrastructures. Ainsi on reconstruit des ponts, comme le pont du Diable de St Guilhem-le-Désert, qui sont aussi solides que les ponts romains. Beaucoup de ponts médiévaux portent le nom de « pont du diable ». Cela est dû à une légende qui prétendait que le diable démolissait tout ce que les hommes construisaient, c’est pourquoi, ils devaient passer un pacte avec lui. Ils donneront au diable la première personne qui passe sur le pont fini. On se débrouille pour faire passer un chat et duper ainsi le diable.

Un des plus célèbres ponts construit au Moyen-Age est le pont d’Avignon qui date de 1177. Il comprenait 27 arches et il est resté très longtemps le seul pont de franchissement du Rhône entre Lyon et la Méditerranée. La construction des ponts est relativement récente et jusqu’en 1850, 80% des ponts de France dataient du Moyen-Age.

Les premiers traités sur l’utilisation des routes apparaissent autour du XIIIe siècle. Ces traités recommandent une largeur de 5 mètres et la pose de bornes ; on y trouve aussi un embryon de code de la route. Ainsi par exemple, on stipulait que dans un passage étroit, le véhicule le moins chargé devait laisser le passage au plus chargé. Cependant, le maillage du Moyen-Age est bien moins dense qu’à l’époque romaine et certaines régions se retrouvent enclavées comme la Bretagne.

Avec Philippe Auguste, en 1196 on progresse dans l’amélioration des routes et notamment à Paris où il ordonne le pavement de la capitale. Cette mesure est bénéfique pour la salubrité car avant la pose des pavés les rues de Paris n’étaient que boue. On utilise la hie, ou demoiselle, pour la pose des pavés.

En 1388, sous le règne de Charles VI, on trouve la première ordonnance sur l’entretien des routes, financé par les péages. En 1480, en créant la Poste d’Etat, Louis XI entraîne de fait l’obligation d’entretenir les routes et d’améliorer les infrastructures. En 1508, sous Louis XII, on préfigure l’organisation du service des ponts et chaussées. En effet, on commence à gérer la ressource c’est-à-dire l’argent généré par les péages. On veille à ce que ces revenus soient investis dans les routes. Les péages taxent les roues de charrettes, les bêtes de somme, les voitures de transport et même la poussière soulevée ! L’équivalent actuel serait la taxe carbone car on ne soulève pas de la poussière mais on émet des particules polluantes.

Tout au long du Moyen-Age et même bien plus tard (jusqu’au XVIIIe siècle) l’entretien des routes se fait grâce à la corvée, travail dû au seigneur par les serfs.

Henri II est considéré comme ayant impulsé la renaissance de la route. En 1552, il signe des lettres patentes qui obligent notamment à planter des arbres le long des routes. Les pépinières royales fournissent des plants afin de stimuler cette mesure. Henri II prescrit également le pavage entre Paris et Orléans, route permettant d’atteindre la Loire et donc les domaines royaux. Cette route prendra le nom de la Reine des routes et ce sera toujours entre Paris et Orléans que sera testé en 1960 l’aérotrain de l’ingénieur Bertin. La Reine des routes marque le début des routes modernes avec des chaussées recouvertes de pavés et non en terre. Au XVIe siècle, plus précisément en 1536, est publié « La guide des chemins de France » par Charles Estienne qui comprend 27 chapitres décrivant brièvement les différentes provinces, suivis de listes de toponymes et des distances complétées par quelques renseignements.

Henri IV et le Duc de Sully sont à une époque clé pour l’administration des ponts et chaussées. Henri IV avait une bonne vision de l’urbanisme et fera construire le Pont-Neuf qui est le premier pont à traverser totalement la Seine et à ne pas être couvert. Il crée aussi un système de location de chevaux, une sorte de « chevaux lib' ». Cela permet de dynamiser les livraisons. Par ailleurs, les carrosses deviennent plus confortables avec l’apparition des vitres et des ressorts, sortes d’amortisseurs. Les infrastructures parisiennes s’améliorent mais Henri IV a aussi une vision nationale du réseau routier qui jusqu’alors était géré par chaque seigneur et donc une gestion très régionale. Le roi crée une administration des infrastructures en 1599 ; Sully est nommé à la tête de cette administration, dotée d’un budget propre. Sully devient Grand Voyer de France. Des innovations voient le jour comme par exemple la servitude d’alignement ce qui implique la mise en place de l’expropriation et a pour conséquence l’élargissement des chaussées. Désormais, l’intérêt public prévaut sur l’intérêt privé. Avec Sully, on poursuit la politique de plantation d’arbres sur le bord des routes tout en ajoutant la condition de visibilité ce qui implique l’essartage aux abords des routes. Sully toujours soucieux d’améliorer les finances royales supprime de nombreux péages qui renchérissaient le coût des marchandises favorisant ainsi le commerce au niveau national. Sully commande également le début des travaux de construction du canal de Briare ; on notera que la circulation des marchandises se faisait essentiellement par voies maritimes, faisant de ces dernières un élément clé dans la qualité des infrastructures.

En 1669 Colbert établit pour la première fois une distinction entre les crédits d’entretien et ceux de création. En dépit de tous ces efforts les routes restent inconfortables et sont bien souvent impraticables à cause des pluies notamment qui provoquent de vastes flaques de boue où l’on s’enlise. Dans le domaine administratif, en 1693 on réaffirme par un édit royal la fonction de grand voyer.

Au début du XVIIIe siècle est créée l’administration des ponts et chaussées avec un ingénieur à la tête de chaque branche. En 1720 un arrêt stipule que l’équivalent de nos routes nationales doivent mesurer vingt mètres de large, ce qui est considérable. On reviendra assez vite à des mesures plus raisonnables. Tous les efforts ne sont pas suffisants et en 1738 la corvée est rétablie afin de remettre les routes en état.

En 1744 on demande à Daniel Charles Trudaine, administrateur des Ponts et chaussées, d’établir des cartes précises du réseau routier. Cet ouvrage, réalisé entre 1745 et 1780 est connu comme l’Atlas Trudaine. Il cartographie finement les routes et leurs abords (pentes, ouvrages, franchissements des cours d’eau etc.) donnant ainsi une valeur informative considérable sur les paysages proches des routes. Cet atlas réunit 3 000 grandes planches manuscrites et aquarellées. ( www2.culture.gouv.fr ). C’est également au XVIIIe siècle qu’apparaissent les premiers traités de construction des chemins. On y trouve des dessins sur les moyens utilisés pour la construction des routes, ce qui permet de voir l’évolution des outils et des techniques.

En 1747, Jean-Rodolphe Perronnet, est nommé à la direction du Bureau des dessinateurs du Roi que vient de créer Trudaine pour lever les plans et les cartes du royaume. Perronnet normalisera les dessins et les plans des routes. En 1775, ce Bureau prendra le nom d’Ecole des Ponts et chaussées. Cette école a été confirmée par la Révolution et elle deviendra gratuite.

III – La route moderne et le temps des cantonniers.

A partir du dernier tiers du XVIIIe siècle, on se préoccupe non seulement de l’état des routes mais aussi de leur tracé. On cherche notamment à adoucir les pentes dans les zones montagneuses contrairement aux temps romains. On réalise de nombreux lacets afin de réduire la pénibilité des pentes pour les hommes et les bêtes de somme qui les empruntent.

En 1776 Pierre Trésaguet, ingénieur des ponts et chaussées, est « l’inventeur » des cantonniers suite à l’abolition définitive de la corvée par Turgot. Trésaguet considère que les routes doivent être entretenues régulièrement et par des professionnels, ce qui est nouveau. Il met en place des baux d’entretien des routes qui sont découpées en cantons. Le travail de cantonnier était un travail de forçat qui consistait essentiellement à casser des cailloux et déblayer les routes de tous détritus et autres encombrants pour une durée hebdomadaire de 78 heures et un salaire dérisoire. De plus, le cantonnier devait se procurer à ses frais les outils nécessaires à sa tâche : brouette, pelle, pioche, râteau, masse de fer etc. Un décret de 1811 institutionnalise définitivement l’emploi de cantonnier.

Sous Napoléon 1er les routes continuent de s’améliorer mais surtout à des fins militaires, c’est donc sur les routes vers l’Italie que les plus grands efforts sont portés. On creuse les premiers tunnels et on établit les premiers abris alpins suite aux difficultés rencontrées par les armées napoléoniennes lors de la traversée des Alpes. C’est également sous Napoléon 1er qu’est mis en place une numérotation des routes impériales.

Les matériels pour entretenir les routes restent précaires jusqu’à l’arrivée du chemin de fer et le transfert de technologies.

En 1830 l’Écossais John Mc Adam perfectionne la technique classique de l’empierrement de Trésaguet. Il reprend une technique déjà connue des Romains en 450 avant J-C et qui consiste à poser une épaisse couche de cailloutis dont les fragments ont été soigneusement calibrés. Cette couche est ensuite tassée directement par le trafic ou par des rouleaux compresseurs afin de former un revêtement relativement étanche. Ce système est moins coûteux que la technique de Trésaguet mais exige un entretien constant. Par la suite l’étanchéité a été améliorée par imprégnation de bitume ou de goudron. Ainsi, en 1902 on procède aux premiers essais de goudronnage des routes. Par ailleurs, les techniques de travail de l’acier s’étant considérablement améliorées on construit des ponts suspendus.

En 1908 a lieu à Paris le premier congrès international de la route, montrant ainsi la place chaque fois plus importante qu’elle prend dans la société et dans l’économie. La signalisation apparaît peu à peu. De nombreuses initiatives voient le jour grâce notamment à l’action de certaines associations, des touring-clubs ainsi que les fabricants de pneumatiques comme Michelin ou Dunlop. Les premiers signaux de routes à symboles modernes sont créés en France en 1902 par l’association générale automobile. En haut des panneaux figurait le créateur du signal et en bas celui du partenaire financier. La circulaire ministérielle de 1919 jette les bases d’une signalisation routière officielle et le premier code de la route voit le jour en 1922.

IV – L’ère de l’autoroute et les évolutions actuelles.    

Comme son nom l’indique, l’autoroute est une route réservée aux automobiles et en exclu donc les piétons ou les cyclistes. La première autoroute de France est celle de l’Ouest inaugurée en 1936. Beaucoup de Parisiens l’empruntaient pour pique-niquer à ses abords en laissant leur voiture garée sur les bas-côtés de la chaussée. Après la seconde guerre mondiale et l’essor fulgurant de l’automobile, le réseau routier se développe et les autoroutes se multiplient. La place de l’automobile est centrale dans la société. Sous la présidence de Georges Pompidou, lui-même grand amateur de vitesse et d’automobile, le réseau autoroutier croît considérablement et Valéry Giscard d’Estaing fait ouvrir les voies sur berges à Paris afin de fluidifier le trafic. La voiture est reine.

Au XXIe siècle, la vision est différente et les nouvelles technologies ouvrent de nouveaux horizons.  On développe la signalisation à plat, les voitures sont équipées de capteurs évitant les sorties de routes ou possèdent des systèmes d’assistance au freinage. On souhaite équiper les routes afin que les usagers puissent rester connectés et pouvoir réguler plus facilement la circulation. On essaye de limiter les émissions de particules nocives pour l’environnement en incitant à l’achat de véhicules électriques ou en récupérant l’énergie émise par les automobiles. Mais, même si l’on arrive à constituer un parc automobile totalement propre il ne faut oublier que le réseau routier coupe les territoires occupés par la faune et la flore, perturbant ainsi la biodiversité et la qualité de l’environnement.

CONCLUSION

Tout au long de l’histoire les routes ont joué un rôle essentiel dans les échanges entre les hommes. Elles ont contribué aux échanges culturels et économiques et aux conquêtes de territoires ainsi qu’à la formation d’empires. Les routes ont bénéficié des avancées technologiques en particulier aux XIXe et XXe siècles. Au XXIe siècle, on repense totalement la route et les moyens de déplacement ; un nouvel élément est pris en compte : l’environnement.

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