PEUT-ON SE PASSER DE LA RADIO ?

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                       Mardi 8 Avril 2008

Peut-on se passer de la radio ?

Par Pierre Bouteiller – Ancien patron de France Inter et France Musiques

Peut-on se passer de radio ? A cette question, on peut faire deux types de réponse. Objectivement, oui, on peut se passer de radio, on peut même se passer d’amour, de vie… Subjectivement, non. La radio est, pour moi, une véritable passion. Dès ma plus tendre enfance, je passais mon temps à l’écouter et à la regarder. Car, en ce temps de la TSF, la radio était un gros meuble autour duquel toute la famille se réunissait pour écouter nos émissions préférées. La radio, on finissait par la regarder.

Je pense que la radio a tout inventé. Le meilleur et le pire de ce que l’on voit à la télévision aujourd’hui est né dans les années 1930/40/50 à la radio. « Ploum ploum tralala », l’émission itinérante qui passait dans les quartiers et les campagnes pour faire chanter des airs populaires aux Français, est l’ancêtre de la Star Academy. Toutes les émissions politiques sont des dérivés de « Tribune de Paris ». Quant au « Pêle-Mêle Cadoricin » qui mélangeait différentes formes de spectacle vivant, il est l’ancêtre des émissions de variétés. A l’époque, les gens de radio étaient de véritables stars, comme les vedettes TV aujourd’hui.

J’ai fait mon éducation musicale par la radio et je suis venu à la radio par la musique. Un jour, j’ai découvert une nouvelle fréquence en grandes ondes entre Paris Inter et la BBC : Europe n°1. Cette nouvelle station proposait tous les samedis soirs, de 22h à minuit, l’émission « Pour ceux qui aiment le jazz » de Frank Ténot et Daniel Filipacchi. Nous organisions des « radios party » entre amis ; nous nous réunissions autour de la radio et écoutions pour la première fois des airs de Duke Ellington, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald ou encore Sarah Vaughan. Autour de ces deux heures de jazz, j’ai découvert vingt-deux autres heures d’émissions formidables, qui ont révolutionné le genre.

La révolution Europe n°1

Grâce à l’émission « La Coupe des reporters », à laquelle j’ai participé et terminé finaliste (avec Philippe Labro), j’ai été engagé à Europe n°1. C’est là que j’ai appris mon métier, « sur le tas » comme on dit. Rien ne remplace l’expérience in situ. J’ai tout fait, présenté les infos, des reportages sur le terrain, la météo, le tiercé, travaillé le soir, le midi, le matin.

Europe n°1 a obligé les autres radios à se moderniser. Paris Inter était la radio d’Etat et Radio Luxembourg une opération très « provinciale » appartenait à la famille Duraton. Tout cela ronronnait, et l’arrivée d’Europe n°1 a bousculé les choses. Son fondateur, Louis Merlin, avait découvert la radio moderne aux Etats-Unis. Il importa quelques recettes très efficaces, comme l’introduction des disc-jockeys, véritables meneurs de jeu qui faisaient le lien entre les programmes.

« Europe » a eu de la chance. Son arrivée dans le paysage radiophonique  français a concordé avec une conjonction de faits/fées. Une révolution technologique, tout d’abord. L’ère de la portabilité est née à cette époque, avec l’arrivée du Nagra, un enregistreur portatif (de 14 kg tout de même) qui sera utilisé par des générations de reporters, et celle des premiers transistors qui permettaient d’écouter la radio partout. La période est aussi particulièrement riche, politiquement parlant. Nous sommes à la fin de la IVe République, aux débuts de la Ve, en pleine décolonisation, et « Europe » sait profiter de ces bouleversements. A partir de 1956/57 et durant toutes les années 60, « Europe » est à la radio ce que Canal + sera à la télévision des années 80 : un ton nouveau, un sens du terrain, une information réactive. La qualité de sa rédaction, dirigée par Maurice Siegel, a fait la gloire d’Europe n°1. Une idée communément admise veut qu’on écoute « Europe » pour ses informations et RTL pour ses programmes. Ce n’est pas si simple. Les deux piliers d’Europe n°1 ont toujours été les informations (les événements du 13 mai 1958, le « halte au feu » à Alger…) et ses programmes, que ce soient Musicorama, Salut les Copains, les canulars de Francis Blanche, etc.

La liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas

Parallèlement, la radio de service public a commencé sa mue grâce à un génie de la radio Roland Dhordain, à qui je souhaite rendre ici hommage. Il a su faire d’une vieille station d’Etat (Paris Inter) une excellence radio publique (France Inter), dynamique et offrant des services novateurs à ses auditeurs. Après mon licenciement d’Europe n°1 en 1969, c’est lui qui est venu me chercher  en me disant ceci : « Votre émission m’emmerdait à Europe, je voudrais que la fassiez à Inter. » Il m’a laissé champ libre et constamment protégé des pressions politiques. Contrairement à une autre idée communément admise, on a beaucoup plus de liberté dans une entreprise publique comptant beaucoup d’employés que dans une société privée, surtout si le principal client de l’actionnaire de cette radio est l’Etat, ce qui est le cas à « Europe ».

Contrairement à une célèbre marque de piles, la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Il faut savoir résister aux pressions, d’où qu’elles viennent. Le pire dans les médias, c’est l’autocensure. A Europe n°1, le « zèle » de certains programmateurs faisait que Le Déserteur de Boris Vian n’était jamais diffusé. Pourtant, il n’y avait pas de note interdisant de passer cette chanson à l’antenne. Quand on cherchait à faire pression sur moi, je faisais alors l’idiot et demandais une indication écrite pour que je puisse me souvenir de la consigne. Bien évidemment, jamais aucune note n’était rédigée.

Au cours de ma carrière, j’ai été beaucoup placardisé. Le clivage n’est pas tant droite/gauche que pro/pas pro. Les politiques ont souvent placé à la tête des médias publics des personnalités qui ne connaissent rien à notre métier. Ainsi, Jean-Noël Jeanneney, qui est un grand historien, ne connaissait rien à la radio. Nous nous sommes opposés, et il m’a mis au placard. J’ai subi des tracasseries (plus de badge pour rentrer dans le bâtiment) et des brimades (des émissions d’un quart d’heure). C’est une guerre d’usure ; il faut savoir prendre son mal en patience. Les présidents passent, les hommes de radio restent. L’idéal est tout de même de prendre des professionnels pour diriger les stations, même si cela risque de dégarnir l’antenne, car ils connaissent le métier et ne sont pas fascinés par tous les à côtés, les invitations à Cannes, les dîners avec les vedettes etc. Quand Jean-Marie Cavada, alors président de Radio France, m’a nommé à la direction de France Musiques en 1999, il m’a laissé une liberté totale. En bon pro et bon président, il savait déléguer.

J’ai eu beaucoup de bonheur à France Musiques. C’est moi qui ai fait rajouter le « s » à « musique ». « France Musiques » se doit d’être la radio de toutes les grandes musiques (y compris les chansons d’Aznavour ou de Barbara), et pas seulement celle du XVIIIe. J’ai rajouté un concert par jour, ce qui a fâché certains spécialistes souvent abscons qui perdaient-là du temps de parole. J’ai fait installer un compresseur pour améliorer la qualité du son, malgré les protestations de certains. Il existe encore minorité de professionnels qui pensent que la radio publique, ça se mérite. « Si ces cons (les auditeurs) ne peuvent pas suivre, tant pis pour eux », entend-on encore parfois. On ne peut pourtant pas faire qu’une radio de l’offre, au sabir abscons.

A mi-chemin entre radio de l’offre et une radio de la demande

A quoi cela sert-il d’avoir la radio la plus géniale du monde (pense-t-on) si personne ne l’écoute ? Les audiences de Médiamétrie sont, en cela, utiles pour les professionnels de la radio. Tout au long de ma carrière, je me suis tenu à mi-chemin entre une radio de l’offre, qui risque de n’intéresser que ceux qui la font, et une radio de la demande, qui brosse l’auditeur dans le sens du poil. La mode est actuellement à l’interactivité, aux interventions des auditeurs à l’antenne. J’estime que c’est trop souvent une forme de démission et de paresse des producteurs, car le public n’a pas toujours raison et peut se tromper.

Je présente maintenant une quotidienne, tous les matins à 9 heures sur TSF, la radio parisienne dédiée au jazz. J’ai quitté une grande maison de 4 000 salariés pour une station où nous sommes quatorze. Alors que Radio France a probablement la plus belle discothèque d’Europe, TSF ne possède que quelques milliers de disques. Cela ne nous empêche pas de faire de la bonne radio. Je leur fais profiter de ma collection de vieux 33 tours et, si nous voulons diffuser un morceau que nous ne possédons pas, nous le téléchargeons (légalement). Mes jeunes collègues ont cette culture du téléchargement que je n’ai pas, et n’ont plus le même rapport au disque.

Depuis la libération de la bande FM sous Mitterrand, nous sommes passés du trop peu au trop plein de stations (plus de 1 500  en France, sans compter celles qui diffusent exclusivement sur internet). Les grandes radios généralistes ont, certes, perdu des auditeurs et des parts de marché mais elles restent dominantes et le resteront à l’avenir. En cinquante ans, elles ont connu plusieurs révolutions technologiques. Elles en connaîtront d’autres. On peut remarquer que l’écoute sur internet se développe, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. TSF n’a qu’une seule fréquence, en région parisienne (89.9 FM), mais nous recevons tous les jours des messages d’auditeurs de province et d’ailleurs, qui nous écoutent grâce au net.

En savoir plus …

Coté livres :

Radioactif : Souvenirs

Auteur : Pierre Bouteiller

Editeur : Robert Laffont

ISBN-10: 222110398X
http://www.amazon.fr/Radioactif-Souvenirs-Pierre-Bouteiller/dp/222110398X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1220986422&sr=8-1

Coté Web :

http://www.evene.fr/celebre/biographie/pierre-bouteiller-13599.php

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=14645

Une vidéo autobiographique…

http://www.premiersplans.org/imagesparimage/index.php?id=5

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