L’OCEAN, avenir de l’homme

Thème : ECONOMIE ET SOCIETE                                                                                                                                           Mardi 14 décembre 2004

L’océan, avenir de l’homme

Par le Professeur Christian Buchet – Vice-doyen de l’Académie catholique de Paris, membre de l’Académie de Marine

Alors qu’un nouveau pétrolier s’est échoué au large de l’Alaska, provoquant une nouvelle pollution quinze ans après l’Exxon Valdez, il est nécessaire de s’interroger sur les causes de la pollution des océans. Ce scandale écologique est provoqué à la fois par le naufrage des bateaux et le dégazage en pleine mer mais surtout, et on le sait moins, par la pollution qui émane de la terre.

Bateaux vétustes et sous-effectifs des équipages

Sept mille à huit mille événements de mer ont lieu chaque année. Si l’on se limite au bâtiments de plus de 300 tonneaux, il y a environ 120 naufrages chaque année, soit deux par semaine. C’est beaucoup et peu à la fois car cela ne représente que 0,3% de la flotte mondiale. Au XVIIIe siècle, les naufrages touchaient 2% de la flotte. Reste que nous sommes loin du risque zéro, d’autant que le trafic mondial a explosé (460% d’augmentation entre 1970 et 2004). Les naufrages sont provoqués par deux facteurs principaux : la vétusté des bâtiments – le risque passe à 0,8% pour les navires de plus de vingt ans – et les erreurs humaines. On sait que les bâtiments les moins suivis transportent les produits les plus polluants. Les produits « poubelles » comme le fuel numéro 2 sont transportés par des navires poubelles car les affréteurs veulent minimiser les coûts de transport.

80% des naufrages proviennent néanmoins d’erreurs humaines. Le sous-effectif est patent dans la plupart des navires, d’où fatigue de l’équipage. En 2006, les conventions internationales doivent permettre d’élargir les normes sociales à davantage de pays. Mais on reste loin du compte. Les pavillons de complaisance explosent (37% de la flotte mondiale naviguait sous pavillon de complaisance en 1985, 58% en 2000) or les navires qui en bénéficient profitent d’un dumping fiscal, social (les membres d’équipage coûtent quatre fois moins cher) et technique. L’économie réalisée en affrétant un navire de complaisance peut atteindre 63%.

Une organisation internationale à réformer

Les naufrages font entre 400 et 600 morts par an, soit vingt-cinq fois plus que le transport aérien. L’organisation et la gestion de OMI (organisation maritime  internationale) sont bien moins efficaces que celle des autorités aériennes. Véritable aberration, le pouvoir par pays est accordé au prorata du tonnage transports, ce qui fait que des pays de complaisance comme le Panama ou les Bahamas ont le plus de poids au sein de cette instance internationale. De plus, les textes de l’OMI constituent un mille-feuille juridique tel qu’ils ne sont pas appliqués. Une vraie réforme de cette instance est indispensable.

Après le naufrage de l’Exxon Valdez, les autorités américaines ont pesé pour que les navires à double coque remplacent progressivement les bâtiments à coque simple. Cette mesure présente l’avantage de renouveler le parc des pétroliers mais, s’ils rassurent l’opinion publique, les navires à double coque sont très difficiles à entretenir. Ce sont de vrais pièges à corrosion.

Il n’y a pas de solution miracle pour mettre un terme aux naufrages mais la mise en œuvre de certaines mesures permettrait d’en limiter le nombre : élargissement du champ de la responsabilité (actuellement l’affréteur n’est pas tenu responsable, ni les Etats des pavillons de complaisance), renforcement des contrôles des sociétés de certification, réforme de l’OMI qui devrait tenir compte de la longueur des côtes exposées (ainsi des pays tels que la France et l’Espagne auraient plus de poids), mise en place de doubles systèmes de commande et de propulsion, amélioration de la culture de la sécurité (normes de travail, médecine du travail…), amélioration de la maintenance… Il y a beaucoup à faire.

Les pollutions accidentelles avoisinent les 150 000 tonnes d’hydrocarbures, ce qui ne représente que 2,5% de la pollution des mers (évaluée à 6 millions de tonnes). Une marée noire se remarque au journal télévisé mais il ne faut pas être focalisé là-dessus car les pollutions ont bien d’autres causes.

Les dégazages

1,8 millions de tonnes d’hydrocarbures, d’huiles diverses, sont rejetés chaque année par les navires. Pour punir les contrevenants, trois tribunaux spécialisés ont été créés en France. Afin d’être dissuasifs, les amendes sont de plus en plus sévères. Reste que le responsable d’un dégazage (ou déballastage) est difficile à repérer et à juger. Pour un capitaine arrêté, combien passent entre les mailles du filet ?

Les capitaines rejettent ainsi leurs hydrocarbures en pleine mer car tous les ports ne sont pas équipés pour que les navires se « lavent le cul » dans de bonnes conditions. Il faudrait y remédier.

La pollution provenant de la terre,  principale cause de pollution des mers

Plus des deux tiers de la pollution maritime vient de la terre : pollution atmosphérique, rivières polluées… les facteurs sont multiples. Les engrais ruissellent au fond des mers et provoquent l’extension des algues – marées rouges ou vertes en Bretagne. Dans le Golfe de Gascogne, on estime à près de 50 millions de tonnes le nombre déchets non biodégradables à neuf ans. Ce sont des déchets directement liés à l’activité humaine en bord de mer. La situation est critique puisque dans vingt ans, 75% de la population mondiale (qui comptera huit milliards d’habitants) vivra à moins de 60 km de la mer (contre 60% aujourd’hui). Cette concentration sur le littoral fragilise les mers. Nombre d’entre elles sont menacées. La mer Baltique est dans un tel état qu’on déconseille aux femmes enceintes de manger du poisson.

Le traitement des eaux usées est très insuffisant. Si des efforts sont faits dans les pays occidentaux, à l’image de ce qui se fait en France, ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde. 80% des eaux chinoises sont rejetées sans traitement.

La mer, une source de développement ignorée

Il faut pourtant prendre soin de nos mers et des océans car nous en avons besoin. Ce sont de jardins extraordinaires qui peuvent nous être salutaires : la mer est porteuse de molécules utiles pour les médicaments et nous ne connaissons que 20% de la faune sous-marine. Des animaux vivent, à 4000 mètres de profondeur, par chimiosynthèse. Cette autre forme de vie pourrait nous en apprendre beaucoup sur l’arrivée de la vie sur Terre. De plus, nous serons, dans un futur proche, confronté à un problème d’équilibre alimentaire. Pour faire un kilo de viande, il faut consommer beaucoup d’eau. Si tous les pays veulent manger comme nous, l’eau douce viendra à manquer. Le fond des mers, riche en protéines, peut répondre à nos espérances.

Pour la France, un nouveau cycle de développement pourrait provenir de la mer. Elle dispose de 11 millions de kilomètres de carré de fonds sous-marins, elle a accès à toutes les mers de l’Union Européenne, elle dispose de capacités d’exploration et d’analyse énormes (grâce notamment à l’Ifremer). La France est le pays le mieux placé en Europe pour bénéficier des atouts de la mer. Notre problème est que nous aimons la mer vue de la terre mais nous n’avons pas de culture maritime. Nos hommes politiques doivent s’investir davantage et mener une vraie politique maritime à l’échelle européenne.

Arrêtons de voir la mer comme une source de danger, il faut la voir comme une source d’avenir.

En savoir plus …

Coté Livres :

La mer, avenir de la terre

Philip Plisson & Christian Buchet

éditions de La Martinière.

http://www3.fnac.com/item/author.do?id=283769

Coté Web :

http://www.canalacademie.com/La-mer-est-l-avenir-de-la-terre-1.html

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