L’ÉPOPÉE DES TERRE-NEUVAS : L’HISTOIRE DE LA PÊCHE FRANÇAISE SUR LE GRAND BANC

Thèmes: Economie, Géographie, Histoire                                                                                                                  Conférence du 11 janvier2021

L’ÉPOPÉE DES TERRE-NEUVAS : L’HISTOIRE DE LA PÊCHE FRANÇAISE SUR LE GRAND BANC

Par Monsieur Olivier MIGNON, guide-conférencier et auteur.

INTRODUCTION

Durant cinq siècles, des pêcheurs français sont partis vers les côtes canadiennes pour pêcher le cabillaud. Les conditions étaient très difficiles et ces pêcheurs étaient alors surnommés les forçats de la mer. Cette pêche représentait une activité importante pour les populations du littoral français notamment pour les Basques, les Bretons et les Normands. Cette pêche a notamment entraîné la colonisation et le développement de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

I – Histoire de l’établissement des Français à Saint-Pierre et à Miquelon.

L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon se trouve à environ 4300 kilomètres de Paris. C’est la dernière colonie française sur le continent nord-américain. A 25 kilomètres de Terre-Neuve, cet archipel se compose de trois îles principales, Saint-Pierre, Miquelon et Langlade. La première doit son nom à saint Pierre, un des apôtres qui était pêcheur et qui est à ce titre, le patron des pêcheurs. La deuxième tient son nom de Saint Michel, (Mikel en basque) patron des pêcheurs basques, parmi les premiers européens à venir pêcher dans ces eaux. Enfin, Langlade, qui est la forme moderne de Terra England, nous rappelle que cet archipel a été un temps une terre anglaise. La superficie est de 242 km² et la population actuelle est d’environ 6000 habitants. L’île la plus peuplée (86 % de la population y réside) abrite la capitale est Saint-Pierre. Miquelon et Langlade sont reliées entre elles par un long isthme sableux mais Langlade, inhabitée, est une zone d’élevage et de culture, et sert d’aire de détente pendant l’été.

Les autochtones de cet archipel sont les Béothuks dont la dernière représentante meurt en 1829. La disparition de ce peuple est due aux maladies apportées par les Européens lors de la colonisation.

Le navigateur portugais Joao Alvares Fagundes est le premier à arriver officiellement sur ces îles en octobre 1520 mais on attribue parfois cette découverte à Jean Cabot en 1497. Fagundes arrive le jour de la sainte Ursule et l’île prend ainsi le nom de l’île aux Onze Mille Vierges, en référence à la légende de sainte Ursule.

Conséquence de la raréfaction de la baleine dans le Golfe de Gascogne, les Basques devaient aller pêcher de plus en plus loin c’est pourquoi on les retrouve à ces latitudes et ils utilisent cet archipel comme base lors de campagnes de pêche. Ils seront rejoints par les Bretons et les Normands. Les premières installations permanentes datent de 1604. On retrouve la présence de ces trois provinces sur le drapeau de l’archipel : le drapeau basque, en haut, le drapeau breton au milieu et les léopards des Normands en bas, ainsi que le bateau de Jacques Cartier, qui fit escale à Saint-Pierre en juin 1536 lors de son second voyage.

Au XVIIe siècle, l’île de Terre-Neuve est partagée entre les Français et les Anglais. La population française est estimée à 20 000 personnes durant la haute saison de pêche de mars à octobre.  L’hiver, il reste très peu d’habitants. Afin de marquer la possession française de l’archipel, Louis XIV encourage le peuplement de ces terres, et en 1687 on compte 70 habitants permanents contre quatre auparavant.

Suite au Traité d’Utrecht de 1713 entre l’Angleterre et la France, les Français perdent la partie sud de Terre-Neuve, mais les pêcheurs français garderont toutefois le droit de continuer à pêcher et à travailler le poisson sur une partie des côtes appelée le French Shore, le rivage français. L’archipel prend un nom anglais : St Peter.

Conséquence de la guerre de Sept ans (1756-1763) la France de Louis XV perd le Québec mais le Duc de Choiseul qui négocie le traité de paix obtient la restitution de l’archipel à la France. En 1776 on compte deux mille Français à Saint-Pierre et à Miquelon.

Les Français, qui soutiennent les insurgés américains, perdent à nouveau l’archipel, qui lui est à nouveau rendu lors du Traité de Versailles en 1783. Après la défaite napoléonienne de 1815, Saint-Pierre et Miquelon deviennent définitivement françaises.

Au XIXe siècle, l’activité de la pêche est en plein essor et permet le développement de nombreux métiers en lien avec cette activité. On trouve quelques 453 bâtiments et 192 goélettes.  La pêche a besoin de main d’œuvre qui vient de France essentiellement du littoral atlantique.

En 1904, les autorités canadiennes mettent fin à l’autorisation du travail du poisson sur le french shore Terre-Neuve. Les pêcheurs français manquent de place car il faut de grands espaces pour faire sécher le cabillaud. Il faut se reconvertir. La prohibition qui frappe les Etats-Unis et le Canada au à partir de 1919 permet à l’archipel de devenir le lieu de livraison légal de tout l’alcool revendu plus tard illégalement en Amérique du Nord. Chaque année ce sont jusqu’à 300 000 caisses d’alcool qui transitent par l’archipel. On y débarque 5 millions de bouteille par an. Toute la pègre vient se fournir dans l’archipel et on trouve encore une vitrine consacrée à Al Capone dans un hôtel de Saint-Pierre. Les caisses vides et abandonnées servent de combustible et à la construction de maisons dont la villa Cutty Sark, entièrement réalisée à partir de caisses de whisky éponymes. Les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon vivent très bien jusqu’en 1934, date de la fin de la prohibition.

Après l’armistice du 22 juin 1940 et l’occupation de France, l’administration de Saint-Pierre-et-Miquelon est sous le contrôle du régime de Vichy. Sur l’ordre du général de Gaulle à Londres et à l’insu et contre l’avis des autorités canadiennes et américaines, un débarquement dans l’archipel est organisé. Saint-Pierre-et- Miquelon est l’une des premières terres françaises ralliées à la France libre.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’archipel devient territoire d’outre-mer en 1946 puis département d’outre-mer en 1976 avant de d’acquérir le statut de collectivité territoriale en 1985.

Traditionnellement, Saint-Pierre-et-Miquelon représentait un intérêt économique important en raison des droits de pêche attachés à la zone économique exclusive de 200 milles marins. Des contentieux opposent le Canada et la France et en 1992 une zone économique exclusive de 12 nautiques à l’est, 24 à l’ouest et un corridor de 200 nautiques de long par 10 de large, orienté nord-sud est attribuée à la France. Cette même année, le Canada interdit la pêche du cabillaud afin de renouveler les stocks. Les Saint-Pierrais et Miquelonnais se rabattent sur les lompes et leurs œufs, le crabe des neiges, le concombre de mer et même sur la production de foie gras sur Langlade où on trouve aussi des élevages de moutons.

Les maisons sont en bois et peintes de couleurs vives, d’une architecture typiquement nord-américaine. On trouve aussi une cathédrale, à laquelle le général de Gaulle avait offert un vitrail dans les années 1960, et un le musée de l’Arche inauguré par Jacques Chirac en 1999 qui regroupe des archives et de nombreux objets en lien avec la pêche. On y trouve aussi un tableau de Joseph Lemoine (1830-1886) qui représentait St-Pierre-et-Miquelon à l’exposition universelle.

II – L’épopée des Terre-Neuvas.

Pendant cinq siècles, la pêche à la morue (nom donné au cabillaud lorsqu’il est séché ou salé) a tenu un rôle important dans notre économie. Chaque année, des équipages partaient de France à la fin du mois de février ou au début du mois de mars pour ne revenir qu’en septembre pour améliorer le quotidien des familles les plus pauvres. Les conditions sont extrêmement difficiles, et nombreux sont les pêcheurs qui ne reviennent pas. On trouve d’ailleurs de nombreuses stèles dans les cimetières des côtes normandes, bretonnes ou basques pour se rappeler les disparus.

Cet essor des campagnes de pêche vers les côtes canadiennes s’explique par le fait qu’à la fin du Moyen-Age la France connaît un essor démographique important et la demande de nourriture augmente, l’Eglise imposant 153 jours maigre par an (sans viandes), on recherche de plus en plus de poissons. On fait venir des harengs de la Baltique mais cela s’avère vite insuffisant. On notera qu’au début du XVe siècle les pêcheurs basques pêchent déjà le cabillaud au large des côtes islandaises.

En 1497, l’explorateur Jean Cabot reconnaît l’insularité de Terre-Neuve et il témoigne que les eaux sont « extrêmement poissonneuses ». C’est dans cette zone de l’Atlantique Nord que le Gulf Stream et le courant froid du Labrador se mêlent favorisant la présence d’une multitude de petits poissons qui sont la nourriture des cabillauds. Ces derniers croissent rapidement et certains atteignent deux mètres et pèsent jusqu’à cent kilos. Les plus gros cabillauds étaient surnommés les Cahouanes.

Le cabillaud semble une ressource inépuisable.

Les goélettes à trois mâts sont les reines de ces campagnes de pêche. Les armateurs doivent d’abord trouver un capitaine puis ensemble ils se rendent au marché aux hommes pour trouver des saleurs, des marins et des mousses qui formeront l’équipage. Un marin gagnait environ 75 francs par mois alors qu’un terre-neuvas pouvait gagner jusqu’à 300 francs. A cette époque, le kilo de pain coutait 0,40 francs. Les conditions de vie sont très difficiles pour tous et bien souvent les mousses étaient maltraités mais le salaire étant très attractif, les jeunes garçons des familles pauvres embarquaient régulièrement. Les goélettes transportaient entre 20 ou 30 hommes avec 7 à 9 tonnes de vivres et de matériel. Les conditions climatiques étaient très rudes (-7° à + 10 ° pendant la campagne de pêche – température de l’eau : -2° à + 6 °) et les marins devaient porter des tenues particulières : caleçons longs, sabots-bottes et vareuses.

Les campagnes de pêche rapportent de plus en plus de cabillaud, ainsi en 1875 dix millions de tonnes de morue sont débarquées à Bordeaux, ce chiffre passera à 40 millions en 1900.

Après la première guerre mondiale, la pêche évolue vers la pêche au chalut avec le remplacement des voiliers par des chalutiers à moteur. Ces derniers disparaîtront eux aussi suite à l’interdiction de pêche appliquée depuis 1992.

La fin de la grande pêche arrivera dans les années 1950, le dernier voilier terre-neuvier, le « René Guillon » de Saint Malo, s’arrêtant en 1951. Dans les années 1960 apparaissent les bateaux-usines avec une mécanisation de la préparation du poisson en cale.

III – Les techniques de pêche 

La pêche au cabillaud sur les côtes canadiennes est lancée au XVIe siècle et connaît son apogée au XIXe siècle. Deux techniques de pêche se sont développées au fil des siècles.

La première était la pêche sédentaire ou pêche à la morue sèche. Elle se pratiquait le long des côtes de Terre-Neuve et de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, à l’abri des vents et des courants. Les navires partaient d’Europe avec une centaine d’hommes et mouillaient dans un havre de la côte de Terre-Neuve. Les marins construisaient à terre des installations sommaires pour stocker et préparer le poisson mais également y vivre. Ils partaient ensuite à la pêche à la chaloupe et au filet. Les poissons ramenés à terre sont nettoyés et mis à sécher par les graviers sur la grève. Une fois secs, les poissons sont expédiés à Marseille, principal port d’arrivage. Cette pêche est moins éprouvante pour les hommes, qui vivent à terre entre les journées de pêche.

Autre technique, la pêche errante ou pêche à la morue verte. Elle se pratiquait au large sur les bancs de cabillauds ; les hommes vivaient en permanence en mer au contraire des pêcheurs pratiquant la pêche à la morue sèche. Les navires partaient pour une saison de pêche de 6 à 7 mois avec des équipages de 20 à 30 hommes. Cette technique a évolué au fil des siècles. Au début, les pêcheurs tiraient des lignes depuis le pont du navire ; au XVIIIe siècle ils tendaient des lignes à hameçons à partir de chaloupes, remplacées vers 1872 par des doris, bateaux à fond plat plus manœuvrables et plus facilement empilables sur le pont du terre-neuvier. Une fois le bateau arrivé sur les bancs, les doris étaient mis à la mer avec deux hommes qui allaient élonger leurs deux lignes de 1862 m de long le soir pour les remonter le lendemain matin. Il faut remonter à la force des bras le poisson dans les doris, qui trop chargés peuvent prendre l’eau. Les pêcheurs étant payés à la pièce et non au poids, les pêcheurs coupaient la langue de chaque cabillaud et pouvaient donc chiffrer précisément leurs prises à la fin de la campagne. C’est pourquoi parfois les plus grosses pièces, qui n’apportait qu’une seule langue, et qui auraient occupé trop de place sur l’étroit doris étaient rejetées à la mer.

Le dernier bateau chargé de doris est parti de Saint-Malo en 1951.

Les morues salées étaient débarquées essentiellement à Bordeaux, lavées et mises à sécher à Bègles où de nos jours encore se tient en juin la fête de la morue.

IV – Le travail du poisson.

Sur les bateaux qui partaient de France s’entassaient une trentaine d’hommes et plusieurs tonnes de matériel dont quelques tonneaux de viande de cheval qui au fil des semaines pourrit, provoquant des émanations nauséabondes. Cette viande sert à attraper des bulots qui à leur tour servent à équiper les lignes lors de la pêche dite de la morue verte. Il fallait 40 000 bulots par jour et cinq heures de travail quotidien pour équiper ces mêmes lignes. Il arrivait que lors d’épais brouillards par exemple, les lignes soient perdues et par conséquent le travail aussi.

Le travail de retrait des lignes et la remontée des cabillauds sur les doris était très pénible et prenait environ quatre heures par temps calme. Ce temps pouvait passer à plus de dix heures lors de gros temps. A cela il faut ajouter les risques de chavirage et les doris qui se perdent ne retrouvant pas le bateau-mère. On tirait des coups de canon du terre-neuvier pour guider les doris mais les disparitions sont assez fréquentes. Au cours de la saison 1897, 65 dorissiers ont disparu ; 87 en 1902 !

Quand les doris sont de retour les deux pêcheurs à bord de chaque doris jettent les cabillauds sur le pont du bateau-mère. Immédiatement les poissons sont décapités et vidés, seul le foie est gardé pour en faire de l’huile. Ensuite le poisson est salé dans les cales du bateau. Le rôle des saleurs est essentiel car c’est cette opération qui permet la conservation du cabillaud et la vente au meilleur prix.

Différents rôles étaient attribués au sein de l’équipage, les rôles de capitaine et maître saleur étant occupés par des hommes expérimentés car leur travail est essentiel.

A bord, les conditions de vie sont effroyables, les hommes ne se lavent pas et ne quittent pas leurs vêtements. Les odeurs sont nauséabondes, odeurs corporelles, de fuel, de viande pourrie, de poisson etc. La nourriture est assez pauvre et peu variée. L’équipage ne mange pas de cabillaud puisque ce poisson est destiné à la vente. En revanche, ils peuvent consommer de « faux poissons », flétan ou aigrefin, avec des pommes de terre, le tout cuit dans l’eau. Le temps de travail est de 18 heures par jour et pour tenir, les hommes boivent beaucoup d’alcool. Dès le lever à quatre heures du matin on boit un boujaron (6 cl) d’eau-de-vie. L’alcoolisme frappe les marins et le transport de tonneaux d’alcool engendre de nombreux incendies. Autre danger pour ces hommes, l’éperonnage des bateaux par les grands paquebots.  Au vu des risques pris par ces marins et le nombre de veuves dans les ports de départ, à partir de 1896, des associations se créent pour sauver et soigner les pêcheurs et aider les veuves. Ainsi, en 1930 se crée la Société des Œuvres de Mer qui arma sept navires-hôpitaux à l’initiative de l’aumônier Père Yvon.

CONCLUSION

Durant plusieurs siècles la population française a pu profiter de la morue pêchée sur les côtes d’Amérique du Nord grâce à la témérité et au courage des marins des terre-neuviers. En contrepartie, un grand nombre de femmes restaient seules de longs mois. Ces femmes de marin avaient pris l’habitude de s’habiller de noir en permanence, en deuil d’un père, d’un frère, d’un mari ou d’un fils. Les conditions de vie à bord étaient en effet extrêmement dures et les conditions de travail à la limite du supportable.

Si la Grande Pêche a longtemps nourri les hommes elle a aussi nourri les arts. Des peintres comme Marin-Marie ou des auteurs-compositeurs comme Théodore Botrel ont immortalisé les goélettes dans la tourmente ou les doris sur les bancs de Terre-Neuve.

Bibliographie :

 

Un commentaire

  • Jean-Michel BUCHOUD

    Feb 10, 2022

    Reply

    - Où l'on voit que déjà les pêcheurs devaient s'adapter et changer de métier quand le poisson devenait rare ou la pêche interdite. - Où l'on voit que la question des quotas de pêche n'est pas nouvelle. - Et ce premier Sommet Mondial des Océans que se tient en février 2022 à Brest sera peut-être l'occasion de réfléchir au niveau mondial, et non plus entre pays riverains d'une zone de pêche, sur la question de la surpêche et de la surexploitation des océans.

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