LA VIE ET LES METIERS DES OUVRIERS DU MOYEN-AGE

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                 Mardi 15 Novembre 2011

La vie et les métiers des ouvriers du Moyen-âge 

Par Madame JOBEZ , Membre de la société française d’archéologie

 Madame JOBEZ maîtrise la glyptographie, l’étude des signes et inscriptions sur les pierres. Elle nous parle ici des divers métiers des ouvriers du Moyen-âge.

Tout d’abord, qu’est-ce que le Moyen-âge ?

Il s’agit d’une très longue période qui s’étend sur dix siècles : elle se situe entre la chute de l’empire romain et la renaissance. Cette période, très floue du fait du peu d’ouvrages que l’on possède à son sujet tant les invasions de l’époque ont fait des ravages, est autant animée d’un formidable élan bâtisseur que d’un déferlement de barbares. Il nous reste en effet que très peu de vestiges de l’époque des Mérovingiens et des Carolingiens.

Toute l’Europe est profondément chrétienne, malgré les intrusions massives et sporadiques des maures.

On commence à s’intéresser au Moyen-âge après la Révolution française, lorsque l’on commence à briser l’antiquité européenne. Prosper Mérimée, entre autres, via ses œuvres, en est l’un des chantres en alertant l’opinion publique à ce sujet.

Sur cette immense période, on peut constater une nette évolution de la civilisation à partir du 11ème siècle : cela s’explique par un réchauffement climatique ajouté à de meilleures conditions de vie. En France, la Seine et l’Oise sont parfaitement navigables, ce qui permet à de nombreuses marchandises de circuler. Sur les routes, on voit arriver l’invention du timon, barre de bois à laquelle on attelle 2 chevaux ou 2 bœufs au lieu d’un seul, favorisant par là-même les déplacements.

Eglises, cathédrales, abbayes, châteaux-forts, ponts, sont tour à tour bâtis, dans un même élan de construire toujours plus vite et toujours plus grand ; l’on extrait des milliers de tonnes de pierres entre 1050 et 1350. Hélas, la guerre de 100 ans et les épidémies de peste sonneront le glas des constructions d’édifices.

Qui sont les commanditaires ?

A l’origine des commandes, nous avons entre autres les rois, les possesseurs de fief, les évêques ou encore les chanoines. Typiquement, Henri II d’Angleterre était réputé pour faire construire quantité d’édifices et venir contrôler l’avancée des travaux sur chaque chantier en discutant avec les ouvriers.

Quels sont les bâtisseurs ?

Tout d’abord, on recrute l’architecte. Initialement, le métier d’architecte n’étant pas spécialement reconnu, on désigne  plutôt un tailleur de pierre de haute connaissance technique, entouré de ses maçons. Son emblème est l’équerre et le compas. Comme c’est sur lui que repose l’édifice, c’est avant tout aux connaissances théoriques et aux capacités conceptuelles qu’il se réfère et non au métier exercé. Il se doit en effet de maîtriser une connaissance parfaite de la taille de pierre et de la charpenterie. Sa compétence professionnelle va le placer bien au-dessus du rang de simple ouvrier, tant par ses connaissances que ses relations.

Autour de lui, se distinguent aussi bien celui qui grave les inscriptions sur pierre que les compagnons,  hommes à tout faire qui savent tout des métiers de la construction. Dans les monastères, nous parlons de « frères convers » : d’un rang inférieur à celui des moines, ils vivent dans les monastères sans avoir prononcé leurs vœux et sont voués à l’exploitation des domaines ruraux. Il y a aussi les « oblats », ceux qui n’ont pas encore prononcé leurs vœux.

On sait hélas peu de choses sur la façon de travailler de l’architecte, si ce n’est qu’il  esquissait parfois  ses dessins sur des colonnes de pierre, ne disposant alors pas de papier à l’époque. Nous pouvons aujourd’hui en retrouver des traces sur quelques édifices dans toute l’Europe.

La vie de ces bâtisseurs

Les ouvriers sont reconnaissables à leur capuche en cuir ou en laine qui porte de grands pans de chaque coté. A cette époque, on est ouvrier de père en fils, de statut indépendant . A Paris, ils cohabitent tous.  Ils travaillent du lever au coucher du soleil, d’où l’importance des cadrans solaires. En hiver, les constructions s’arrêtent du fait de l’impact des conditions météorologiques sur la pierre.

Dès le 13ème siècle, des corporations se forment, quoique les seigneurs redoutent les réactions d’ouvriers groupés. Jusqu’alors, il est très difficile de distinguer le rôle exact de chacun. En Angleterre comme en Allemagne, les dénominations sont attribuées un peu au hasard et les rôles sont confus. Un tailleur de pierre par exemple est mieux rétribué qu’un ouvrier qui pose les pierres. Etienne Boileau parle des « morteliers » en les définissant ainsi : « ouvriers qui réduisent en poussière la matière ferme pour en faire du ciment ».

C’est en Allemagne à la fin du Moyen-âge qu’interviendra l’unification du statut des ouvriers.

En Angleterre, les maçons souvent originaires de la Gaule ne se distingues pas entre eux malgré une nomenclature définie :

  • Les hard hewers sont les tailleurs de pierre dure

  • Les freestone masson, les tailleurs de pierre fine

C’est ainsi que progressivement, le mot « free masson » devient « franc-maçon », sans rapport aucun cependant avec le corps de métier en question, si ce n’est au travers des symboles de la franc-maçonnerie largement repris aux ouvriers du Moyen-âge tel le triangle avec  l’œil de Dieu. (comme sur l’église du 13ème siècle près de Cracovie).

Les quelques métiers distinguables

Le maçon  souvent représenté avec des pierres véhiculées sur des brancards ou avec  un outil spécial porté sur l’épaule.

Le forgeron  possède un rôle très important : il fabrique tous les outils et les répare.

L’étameur : fabrique les bonnets en cuir pour les ouvriers.

Le tapissier : orne magnifiquement les lieux de culte : les intérieurs des églises au Moyen-âge étaient tendus de tapisserie, ainsi que les sols des sanctuaires.

Les orfèvres : sont importants pour le matériel liturgique et les pierres précieuses pour les épouses des commanditaires.

Les fresquistes sont indispensables pour l’agrément et la transmission de messages.

les sculpteurs de stalles, ces rangées de sièges  liés les uns aux autres et alignés le long des murs du chœur des cathédrales, représentent des scènes très variées.

Et d’autres encore sûrement, dont les représentations manquent aujourd’hui et dont on ne peut que très peu parler.

L’impact de ces métiers sur le monde chrétien

Le monde chrétien se voit très attiré par le travail de ces ouvriers jugés souvent dignes interprètes de messages bibliques. Les églises et cathédrales regorgent de fresques explicites et souvent à double-lecture, comparables à des bandes dessinées ; elles sont essentielles à la compréhension de la Bible.

Exemple : à l’époque romane, les nombreux saints, les sirènes bifides, les monstres qui incarnent le diable. On peut toutefois y déceler parfois de nombreuses facéties, des personnages caricaturaux.

Les réemplois

Les tailleurs de pierre reprenaient souvent les figurations romaines et gauloises sur leurs créations, telles les stèles funéraires ou les chapiteaux (cf abbaye de Conques). Ils se servaient aussi parfois de pierres paléochrétiennes et de pierres antiques pour agrémenter des décorations ; lorsque les croisés allaient à Jérusalem pour libérer les lieux saints, les architectes y construisaient des remparts et des châteaux-forts, exportant leur savoir-faire européen, mais revenaient aussi avec une influence étrangère en échange dont il nous reste quelques traces.

Madame Jobez a montré et commenté bon nombre de photos des vestiges de ces protagonistes de l’art d’une époque, nous laissant pantois d’admiration devant la dextérité et le talent de ces hommes d’un autre siècle.

A lire: 

A voir 

A Guédelon dans les forêts de la Puisaye en Bourgogne, la construction d’un château-fort du 13ème siècle bâti avec les moyens du 13ème siècle dont l’achèvement est prévu pour 2025. Ce sont des professeurs d’université spécialistes du Moyen-Âge qui se sont lancés dans ce défi. Un pur régal qui intéresse petits et grands.

http://www.guedelon.fr/

http://fr.wikipedia.org/wiki/Gu%C3%A9delon

Mme Jobez est également présidente du cercle culturel « Plaisir de connaître » qui organise des visites guidées de musées, d’expositions et de sorties pluri culturelles .

www.Plaisirdeconnaitre.fr

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