FAUT-IL CROIRE AU PERE NOËL ?

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                Mardi 13 Décembre 2011

Faut-il croire au père Noël ?

par Martine Perrot, Sociologue au CNRS, spécialisée dans l’anthropologie du contemporain

Madame Perrot est venue ce jour nous parler d’un sujet rarement développé dans les essais  français, vécu de façon contrastée chaque année à la même période: Noël et ses traditions. Auréolé d’une certaine magie, cette fête est autant attendue que parfois redoutée, peut être aussi  assimilée à une corvée ou à une contrainte familiale incontournable.

Quelles sont les origines de Noël ?

Les premières traces de cette notion remontent à l’antiquité romaine : Noïo Hel (nouveau soleil) et Natalis Dies (le jour de la naissance) désignent le jour du solstice d’hiver, la période la plus sombre de l’année que l’on conjure en interpelant la lumière. Il existait dans la mythologie romaine la fête de Sol invicti, la fête du soleil invaincu, qui renaissait toujours après le solstice de décembre. Les chrétiens ont repris cette date pour l’appliquer à la naissance du christ dès le IVème siècle après JC. Jusqu’alors, la date de la naissance n’était pas vraiment fixée.

La tradition de Noël a donc des origines à la fois païennes et chrétiennes : les flambeaux ce jour-là ont longtemps incarné la lumière du soleil et la bûche de bois dans certaines régions l’élément naturel qui cultive l’incandescence nécessaire à la vie. ( jusqu’à la fin du 19ème siècle, la maîtresse de maison bénissait la bûche avec une branche de buis des rameaux. Exemple d’une toile de Janet Lange qui représente des paysans parcourant les champs avec des flambards). De nos jours, les guirlandes et autres illuminations leur ont succédé, et au début du XXème siècle un pâtissier a même remplacé la bûche par un véritable gâteau qu’aujourd’hui on déguste plutôt glacé.

L’évolution de la fête de famille qui lui est assimilée

Jusqu’au milieu du XIXème siècle, il s’agit d’une fête relativement modeste. Le réveillon n’existe pas, les chrétiens placent une simple crèche dans leur salon.

C’est l’Angleterre victorienne qui va inventer la fête de famille : l’industrialisation brutale appauvrit les pauvres et enrichit les riches, les familles aisées célèbrent le jour de Noël en faisant de la fête de Noël un prétexte pour réunir toutes les générations autour d’un bon repas. ( illustration d’Albert et Victoria à Windsor en 1814 entre leurs parents et un sapin). Aux Etats-Unis, la tradition se répand ainsi qu’en France sous Louis-Philippe. L’enfant devient central, il est le passeur de la nouvelle année, celui par lequel les chants de Noël arrivent.

En 1840, remontent les premières traces de cartes de vœux : celles de Horsley en 1843 en sont  les pionnières. Très vite, se produit une uniformisation des motifs décoratifs, on mêle le profane au religieux au travers du sapin et des souliers (tradition allemande), de la bûche (antiquité), des cadeaux et de la table de réveillon.

Le sapin est un élément fort du décor. On se rassemble autour de lui, quelques décorations le célèbrent et les cadeaux sont distribués à ses pieds. Ce rituel aristocratique et grand bourgeois se répand dans les milieux bourgeois et petits bourgeois au milieu du 19ème siècle.

Le symbole du sapin, initialement attribué aux corporations de métiers (les boulangers l’utilisent dès le 15ème siècle en Allemagne) est au départ suspendu au plafond. Incarnant le renouvellement de la nature, il reste vivant longtemps après avoir été coupé.  Il est décoré de gourmandises qui attiraient sans doute enfants et petites souris d’où l’idée de le suspendre en hauteur. En Suède, on fait la ronde autour du sapin. Décoré de vraies bougies, il y eut un nombre incalculable d’incendies malheureux le soir de Noël. Il fallut attendre 1900 aux Etats-Unis pour que soit inventé le premier sapin composé de guirlandes électriques. Cette coutume sera reprise par les grandes villes au début du XXème siècle. Encouragée par les grands magasins, véritables « magasins cathédrales » avec des motifs de vitrail impressionnants (Bon marché, Galeries Lafayette à Paris, Madison avenue à New York etc.), la mode des décorations urbaines se popularisera après la seconde guerre mondiale.

La charité devient aussi une composante de cette période de fête. Les dames patronnesses organisent en effet des rencontres entre riches et pauvres pour aider les plus démunis. Dans les usines anglaises, il existe la tradition du « christmas club » : les patrons proposent une épargne mensuelle à leurs employés de façon à ce qu’ils puissent s’offrir le jour de Noël soit une belle oie, soit une bonne bouteille.

Il existe un chantre du Noël Victorien, c’est Charles Dickens, cet auteur anglais qui définit à la perfection l’esprit de Noël de cette époque dans son conte « Christmas carol » de 1843. Les aventures de Bob Cratchit et Tim séduisent des milliers de lecteurs et sensibilisent la population aux valeurs morales de cette fête. Dickens pensait en effet que les vertus de la compassion et du partage étaient supérieures aux principes d’une révolution.

La réalité sociale de la pauvreté est peinte en littérature avec des auteurs comme Hugo et Andersen (Cosette, la petite fille aux allumettes, etc.). Les enfants pauvres sont souvent délivrés du malheur par la mort, une façon de leur accorder une « fin heureuse » qui les sort de leur triste condition.

L’invention du père Noël

Santa Claus est un cas d’école du syncrétisme. A l’origine, il s’agit de saint Nicolas qu’on fête le 6 décembre (représentations picturales qui datent du XVème siècle). Ce faiseur de miracles était aussi un distributeur de cadeaux pour les enfants. Souvent assimilé à un personnage plus sombre, Pierre le Noir, homme sauvage et père fouettard qui emporte dans sa hotte des enfants pour les tuer, la figure de saint Nicolas est contrastée. Pendant la Réforme au XVIème siècle, il va disparaître puisqu’on interdit toute représentation religieuse. La contre-réforme fera apparaître à sa place l’enfant Jésus qui distribue des cadeaux.

Il faut attendre 1809 pour que l’auteur américain Washington Irving dresse le portrait du père Noël et pour que ce personnage revête l’apparence qu’on lui connaît.  Il s’agit de l’histoire de New-York racontée par Dietrich Knickerbocker à l’époque de la colonisation hollandaise. Les Hollandais arrivent donc à Manhattan, un marin voit apparaître en rêve un personnage qui lui prédit que si la ville de New York existe, il viendra gâter chaque année les enfants en passant par les cheminées. Le personnage rencontrera un tel succès qu’il sera le transfuge de Santa Claus (issu de « Sinta Klaas, Santa Niklaus, Saint-Nicolas »)

En 1837, l’illustrateur Robert Weir lui dessinera les traits qu’on lui devine aujourd’hui, avec une bonhommie, un embonpoint et une barbe blanche caractéristiques, pour agrémenter un poème de Clément Clarke More « la nuit de Noël ». Ainsi naissent également le traineau et les rennes. Ce père Noël toutefois conserve une allure d’elfe,- il est de petite taille- entretenue par le caricaturiste anglais dans le Harper’s Weekly de 1863. Il vit au pôle Nord, et est vêtu d’une fourrure rouge.

En France à la même époque, on parle du « bonhomme Noël », figure de moine colporteur qui erre sur les chemins enneigés ; c’est lui qui va éliminer les personnages locaux parfois dangereux et méchants qui effraient les enfants. Il devient le seul distributeur de cadeaux des enfants. On le voit apparaître sur des boîtes de camembert en 1905, sur la bière Guinness en 1934, sur les produits Nestlé dans les années 30 et en 1951 sur les bouteilles Coca-Cola par l’illustrateur Haddon Sublom (suédois) qui fait véritablement naître l’image qu’on a du père Noël encore de nos jours. Santa Klaus devient caution morale du coca cola qui laisse certains parents dubitatifs, et les ventes explosent.

Appropriation internationale de l’image de Noël

Dans le monde entier, la fête se reproduit assez facilement. Il s’agit d’un rare cas de fête aussi facile à universaliser. Les marchés de Noël, longtemps cantonnés à l’Alsace se propagent partout en France et en Europe de l’Est et du Nord.

Le phénomène des crèches installées sur les places publiques au lieu des lieux saints est relativement nouveau. Cela s’inscrit  à l’encontre de la tradition catholique en en faisant un lieu d’animation. Car les puristes catholiques s’insurgent souvent contre la déviation du sens de Noël que la société de consommation a générée. Petite anecdote : Il a existé une révolte à l’encontre du père Noël en 1951 menée par l’Evêché de Dijon : estimant que le père noël était à lui tout seul le symbole du commerce, l’ecclésiaste affirmait qu’il détournait les enfants des valeurs initiales de Noël. Il a donc réalisé un autodafé du père Noël sur la place publique, qui a traumatisé une génération entière d’enfants. La presse s’en est mêlée, le scandale s’est diffusé et l’évêque a dû accepter de faire ressusciter le père Noël dès le lendemain! Loin d’être une icône boudée, aujourd’hui le père Noël reste un mythe incontournable. C’est Françoise Dolto qui a eu l’idée d’établir une adresse du Père Noël à Libourne dans les années 60, pour que les enfants qui établissent leur liste aient un retour par écrit de leur idole.  Son frère étant alors ministre des postes, il fut facile d’instituer cette idée pour le plus grand plaisir des enfants.

Quoi qu’il en soit, cette fête a la faculté de faire retrouver aux adultes leur âme d’enfant. Car aucun d’entre nous ne peut oublier l’excitation, le rêve et la fantasmagorie qui accompagnent cette période de fête lorsqu’on est tout jeune, et c’est au travers des réactions de ses propres enfants ou petits-enfants qu’on parvient à retrouver les émotions intactes liées à la magie de Noël. Quant au père Noël, si d’aucuns insinuent qu’il s’agit là du premier gros mensonge qu’on formule à un enfant, accusant certains parents qui s’en servent comme d’un objet de chantage à l’approche de Noël, d’autres prétendent qu’il reste une référence structurante pour accompagner le petit jusqu’à l’âge de raison, et qu’il sera bien à temps d’être confronté à une réalité sociale moins tendre tout le reste de sa vie.

En savoir plus …

Coté livres :

Toutes les traditions profanes ou sacrées du temps de Noël, l’origine de toutes les fêtes, de la saint Martin à l’Épiphanie, les anciennes légendes nordiques, les coutumes héritées de la Rome païenne, les traditions chrétiennes. Tous les symboles, de l’arbre de Noël aux couronnes de bienvenue, et les grandes traditions culinaires françaises et européennes.

Auteur : (Collectif)

  • Editeur : Fleurus (1 octobre 2002)
  • Collection : Beaux Livres
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 221504425X

http://www.amazon.fr/Plus-Beau-livre-No%C3%ABl-traditions/dp/221504425X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1329407321&sr=1-1

Coté Web :       

http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8re_No%C3%ABl

http://www.noel-vert.com/pere-noel.php

http://www.histoire-fr.com/dossier_pere_noel.htm

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