COMPTES ET MECOMPTES DE L’ETAT

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                Mardi 9 Décembre 2008

Comptes et mécomptes de l’Etat

Mme Claire Bazy-Malaurie – Rapporteur général de la Cour des Comptes

A la Cour des Comptes, le rapporteur général est la personne qui, auprès du président, prépare les décisions du comité du rapport public et des programmes, où s’élabore le programme de travail de la cour et où l’on décide de publier tel ou tel rapport. L’organisation de la Cour des comptes est fortement « verticalisée » puisque chacune des sept chambres a un domaine qui correspond à un ministère, ou plutôt à un secteur. En tant que rapporteur général, j’ai la seule fonction horizontale de la Cour et, bien que n’étant pas chargée d’une chambre, j’ai l’autorité fonctionnelle sur un certain nombre de services qui dépendent du secrétariat général.

Nous préparons actuellement la publication du rapport public annuel de la Cour de comptes, qui est celui dont les médias parlent le plus. Malheureusement, sur les cinquante ou soixante insertions que nous faisons, les médias, qui n’ont que l’embarras du choix, n’en retiennent que trois ou quatre et ce ne sont pas forcément celles que nous aurions choisies.

Un héritage de l’empereur Napoléon

La Cour de comptes a été fondée le 5 novembre 1807 par l’empereur Napoléon, qui lui a donné son statut de juridiction et qui fait que nous sommes des magistrats, que nous devons  prêter serment. Mais le principe de contrôle des comptes existait en fait depuis plus longtemps. La charge de maître des comptes avait été créée sous Philippe le Bel.

En 1807, la France sort de dix-sept ans de pagaille administrative et financière. L’empereur souhaite une véritable organisation assurant de manière pérenne que les finances de l’Empire sont gérées correctement. On crée une hiérarchie extrêmement stricte au sein de l’Etat qui est celle des comptables publics. Pour qu’ils soient respectueux des ordres et des deniers publics, on leur place une responsabilité pécuniaire et personnelle, qui existe toujours aujourd’hui. Ce sont les seules personnes qui paient de leur propre poche les défauts qui existent dans la caisse publique. Si la Cour constate, à l’occasion d’un contrôle, qu’une dépense a été indûment payée par un comptable public, elle le met en débet et il doit payer. Si l’on peut dire que la caisse publique est une caisse sûre, en recettes comme en dépenses, c’est probablement beaucoup grâce à cette responsabilité du comptable.

Dès 1807, il est fait obligation chaque année à la Cour des comptes de transmettre à l’empereur le résultat de ses vérifications. A l’époque, c’est au seul comptable que l’on s’adresse, il n’y a pas d’examen de la gestion et les ordonnateurs (ministres, préfets…)  ne sont pas soumis à la juridiction de la Cour des comptes. Nous avons évolué, nous nous intéressons beaucoup plus aux ordonnateurs, à la gestion dans son sens large, mais nous n’avons toujours aucun pouvoir d’action, d’injonction ou de sanction vis-à-vis des ordonnateurs.

Les grandes étapes de la Cour des Comptes

L’évolution de la Cour des comptes a été marquée par plusieurs étapes. En 1822, le Parlement commence à vouloir savoir ce qui se passe dans les comptes de l’Etat. Au cours du XIXe siècle, les règles de comptabilité publique et les pouvoirs parlementaires en matière budgétaire sont progressivement formalisées. Parallèlement, on voit se dessiner un phénomène qui n’a fait que s’amplifier jusqu’à aujourd’hui : en France, le Parlement se préoccupe de faire la loi mais n’exerce pas de réel contrôle sur la façon dont les lignes budgétaires qu’il a ouvertes sont gérées par les ordonnateurs ou par les destinataires de l’argent public. Ce n’est pas le cas partout. Alors que la commission de Finances s’occupe principalement du vote du budget, en Grande-Bretagne il existe un comité des comptes publics dont la seule vocation est de veiller à la manière dont l’argent a été dépensé. Cet organisme travaille de façon étroite avec l’équivalent britannique de la Cour des comptes, ce qui n’est pas le cas chez nous.

La deuxième grande étape, c’est 1936, lorsqu’il a été décidé que le rapport annuel serait public et publié au Journal officiel. Puis, en 1991, la Cour a décidé de plus se cantonner au seul rapport annuel et de publier des rapports publics thématiques, qui sont la synthèse d’une série de contrôles qui permettent de traiter un sujet dans son ensemble. Chaque rapport thématique est consacré à une question, et le premier à avoir été publié portait sur la gestion de la dette et de la trésorerie des collectivités territoriales. Nous sortons aussi un rapport annuel sur les comptes de la Sécurité sociale, publions également un rapport sur l’exécution budgétaire et un rapport sur l’état des comptes publics.

En 2001, le Parlement a imposé au gouvernement de revoir complètement les règles entourant le budget de l’Etat (la LOLF, loi organique relative à la loi de finances) et a revendiqué une certaine autorité sur la Cour des comptes. En déclarant cette disposition inconstitutionnelle, le Conseil Constitutionnel a théorisé le positionnement de la Cour : c’est une juridiction administrative qui doit être indépendante de l’exécutif et du législatif. Aujourd’hui, notre mission est clairement inscrite dans l’article 47.2 de la constitution. La loi constitutionnelle de 2008 stipule que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle du gouvernement, dans le contrôle de l’exécution de la loi de finances et du financement de la Sécurité sociale, dans l’évaluation des politiques publiques et que, par ses rapports publics, elle contribue à l’information de citoyens. La Cour est libre de s’adresser aux citoyens quand elle le veut, et ce n’est pas innocent. En outre, bien qu’elle ne certifie pas l’ensemble des comptes publics, elle se place tout de même au centre de tous les dispositifs de certification des comptes publics qui se mettent en place (universités, hôpitaux publics…).

Les relations de la Cour avec le public

Le rapport public a une fonction de bâton de gendarme pour l’administration car toutes ses turpitudes se trouvent révélées au grand jour, et ce n’est jamais très agréable. C’est un gage de sagesse pour l’administration. Dans le rapport public, nous parlons assez peu des comptes, nous mettons au jour quelques errements mais, surtout, nous travaillons sur l’avenir par le biais de recommandations. Nous basculons parfois du côté de l’audit. Même si les journalistes adorent mettre en avant nos critiques, nous cherchons avant tout à faire prendre conscience des enjeux et profiter de notre valeur ajoutée pour donner des informations permettant de formuler des politiques ou des propositions d’améliorations.

L’année dernière, nous avons sorti des informations sur le statut des conservateurs des hypothèques, un statut totalement dérogatoire des règles publiques. Le rapport n’a probablement pas été le seul déclencheur de l’annonce du ministre du Budget concernant la réforme de ce statut mais, tout de même, il n’y est certainement pas étranger. Ce type d’exemple est loin d’être isolé.

L’année dernière, nous avons également publié un rapport thématique qui a fait grand bruit sur le système ferroviaire SNCF/RFF à l’issue de contrôles au sein de ces deux entreprises publiques. La Cour a conclu que la répartition entre ces deux entités décidée en 1995 a mené à une déresponsabilisation entre le gestionnaire des infrastructures (RFF) et l’exploitant du réseau (SNCF). Notre objet était à la fois de pointer les défauts du système et de proposer un éventail de  solutions. Autre exemple : en 2005, nous avons publié un rapport sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Pour cela, il a fallu travailler sur l’Etat, le ministère, les départements, les collectivités, les établissements, la Sécurité sociale, la caisse nationale de sécurité autonomie, les associations et les familles. Nous étions les seuls à pouvoir voir tous ces acteurs. Nous avons essayé de dire ce qui n’allait pas et cherché à tracer des perspectives, notamment en matière de coûts (1,5 pt de PIB), et  proposer des solutions supplémentaires à horizon de 15 ans.

La Cour exerce essentiellement un magistère d’influence mais cela ne nous empêche pas de chercher à connaître quelle a été la portée de nos précédentes recommandations. Il est d’ailleurs assez délicat de faire des recommandations car il n’est pas question de se substituer aux décideurs. Lorsque nous en faisons, elles sont surtout d’ordre opérationnel – changer un dispositif, modifier une procédure… – ou bien nous nous efforçons de présenter un éventail de solutions. Depuis trois ans, nous consacrons un tome entier du rapport public au suivi de cas, deux ou trois ans après la publication du premier rapport. Quand nos recommandations n’ont pas été suivies d’effet, ce qui est assez rare, il faut reconnaître que nous pouvons en porter une part de responsabilité, soit parce que nos recommandations n’ont pas été bien faites ou simplement qu’elles sont « à côté de la plaque ». A la Cour, il y a maintenant tout un travail pour mieux rédiger nos recommandations, mieux les hiérarchiser et mieux les suivre. Dans les trois cents rapports réalisés chaque année (mais pas forcément rendus publics), on peut trouver près de dix mille recommandations, ce qui rend le suivi tout de même assez compliqué.

Ce qui nous caractérise par rapport aux autres institutions supérieures de contrôle, c’est notre côté juridictionnel. Il n’y a pas un rapport qui ne soit délibéré en chambre (12 personnes) ou dans des formations plus restreintes. La collégialité est la caractéristique de notre maison. Quand le rapporteur présente son rapport en commission de délibéré, il est obligé d’avoir avec lui le dossier de son instruction pour montrer les éléments qui lui ont permis d’aboutir à ce rapport. En cela, nous procédons de la même façon en 2008 que nos prédécesseurs en 1807.

En savoir plus …

Coté Livres :

Comptes et mécomptes de l’Etat – 1807-2007, le bicentenaire de la cour des comptes

Auteur : Philippe Séguin  , Claire Bazy-Malaurie , Fabrice Bakhouche , Marine Camiade

Editeur : Albin Michel

ISBN : 978-2-226-18070-4

http://www.decitre.fr/livres/Comptes-et-mecomptes-de-l-Etat.aspx/9782226180704

Coté Web :

http://www.ccomptes.fr/fr/JF/Accueil.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_des_comptes_(France)

http://europa.eu/institutions/inst/auditors/index_fr.htm

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