A PROPOS DES SCHISTES : PETROLE ET GAZ DE ROCHES-MERES

Thème: Géologie, Sciences, Economie                                                                                                                      Mardi 02 Février 2016

A PROPOS DES SCHISTES : PETROLE ET GAZ DE ROCHES-MERES

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par Jean-Michel BUCHOUD, ingénieur en exploration pétrolière.

INTRODUCTION

En général, l’image du pétrole est mauvaise, particulièrement dans les pays qui n’en produisent pas, et l’image des gaz de schistes y est encore plus mauvaise. Probablement est-ce dû en partie à certaines mauvaises pratiques ponctuelles réalisées aux USA aux débuts de cette nouvelle ère de production, à une certaine confusion crée par le film Gasland auprès du grand public, mais aussi parce qu’aujourd’hui ils font partie des énergies carbonées fossiles dans un mouvement général vers des énergies non carbonées renouvelables.

Les hydrocarbures de roche-mère – gaz ou pétrole de schiste – sont souvent dits « non-conventional », ce qui est malheureusement traduit par « non-conventionnels », parce que leur exploitation n’est pas « conventional » ou « conventionnelle » c’est-à-dire pas classique, pas traditionnelle, pas habituelle ; et pourtant ils sont tout aussi naturels que les hydrocarbures conventionnels, exploités à partir d’un réservoir dans lequel ils ont migré, alors que ces non-conventionnels sont simplement restés à l’état diffus à l’endroit où ils se sont formés.

Les hydrocarbures de roche-mère ne sont pas une nouveauté. Déjà Saint Augustin à la fin du IVème siècle décrivait une Fontaine Ardente en Dauphiné, qui existe toujours à 38450 Le Gua ; dès 1821, dans l’Etat de New York, les rues de Fredonia étaient éclairées par des réverbères à gaz. En France, en 1932 des actions au porteur de la Société Anonyme des Schistes de Franche-Comté sont émises.

 UNE ROCHE-MERE

Une roche-mère est un sédiment fait essentiellement de l’accumulation d’argiles litées riches en matières organiques. Par un lent processus d’enfouissement de plusieurs millions d’années, duquel résulte une augmentation de la température et de la pression, la matière organique se transforme lentement en pétrole et en gaz. Ainsi, entre 2 200m et 3 800m de profondeur la roche-mère générera essentiellement de l’huile, entre 3 000m et 3 800m on aura du gaz humide et enfin du gaz sec jusqu’à 5 000m. L’intervalle dans lequel les hydrocarbures de roche-mère seront extraits se situe donc entre 2 500m et 4 000m.

UN SYSTEME PETROLIER

Les hydrocarbures ainsi formés sont progressivement expulsés de la roche-mère et migrent vers la surface. Au cours de leur remontée vers la surface, ces hydrocarbures peuvent être piégés dans des roches poreuses et perméables appelés roches réservoirs, telles que des grès, surmontées par des roches imperméables dites roches couvertures, telles que des argiles ou du sel, au sein de structures fermées. On parle alors de gisements conventionnels. Les hydrocarbures qui restent enfermés au sein de la roche-mère particulièrement compacte et peu perméable sont les hydrocarbures de roche-mère appelés pétrole ou gaz de schiste dans le langage courant.

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UN SCHISTE

Un schiste est une roche d’aspect feuilleté et qui peut se débiter en plaques fines, d’où le terme de schistosité. Un schiste peut être une roche sédimentaire argileuse, contenant plus ou moins de matières organiques ; ce sera alors un schiste à gaz ou à huile qui donnera du gaz ou du pétrole de schiste. La matière organique lui donne sa couleur noire.

 

 

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Un schiste peut être également une roche métamorphique provenant d’une argile qui sous l’action de très fortes pressions et de très hautes températures présente un feuilletage régulier, telle que l’ardoise ou les schistes ardoisiers.

 

 

 

 

LES TECHNIQUES D’EXTRACTION

L’industrie recourt à deux techniques spécifiques combinées pour extraire les hydrocarbures de leur roche-mère : le forage horizontal et la fracturation hydraulique.

D’une manière générale le forage horizontal permet d’augmenter de manière significative la surface de contact entre la couche à produire et le puits. Le forage horizontal est couramment pratiqué depuis les années 80. Dans le cas des hydrocarbures de roche-mère, les drains horizontaux sont couramment de 2 à 3 km ; une dizaine de puits horizontaux, ou plus, sont forés à partir d’un seul site de surface, ce qui limite les emprises au sol.

L’autre technique mise en œuvre est la fracturation hydraulique. Pratiquée depuis la fin des années 40 pour des gisements conventionnels lorsquil s’agit de réservoirs avec des mauvaises caractéristiques, elle a pour but de créer des microfissures de taille millimétrique dans la couche de laquelle on veut extraire les hydrocarbures. Après des tâtonnements initiaux, la fracturation hydraulique est aujourd’hui bien maitrisée par l’industrie et sous contrôle des autorités compétentes. Chaque année, plus de dix mille fracturations sont effectuées dans le monde par l’industrie pétrolière, mais aussi pour la géothermie ou la production d’eau potable ; plus de deux millions et demi de fracturations ont été effectuées à ce jour.

Les microfissures sont créées par l’injection de fluide sous forte pression. Le fluide pénètre dans la roche par surpression. Dès lors que l’on diminue la pression par arrêt des compresseurs en surface, la roche « dégorge » le fluide injecté et permet aux hydrocarbures de s’échapper de la couche roche-mère par les microfissures. Le fluide et les hydrocarbures sont traités dans les installations en surface.

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Le fluide est un mélange d’eau, de sable, de gélifiant et d’additifs chimiques. Pour un puits, le volume de fluide injecté est de lordre de 10 000m³, constitué à 95% d’eau (non potable), quelque 5% de sable qui agit comme un agent de soutènement en maintenant les microfissures ouvertes et moins de 1% d’additifs variés destinés à améliorer l’efficacité de la fracturation. Sous contrôle strict des autorités compétentes, les additifs sont des biocides, des lubrifiants et des détergents, par ailleurs utilisés par différentes industries ; le gélifiant est de type agar-agar. Dans l’Union européenne, il est obligatoire de fournir une analyse détaillée du fluide injecté. Aux Etats-Unis, un contracteur de fracturation prétend n’utiliser que des additifs autorisés dans l’industrie agroalimentaire.

Beaucoup d’eau utilisée : la consommation d’eau (non potable) reste un problème, même si des efforts sont faits pour la réduire ; aujourd’hui, seulement 50% de l’eau injectée remonte en surface où elle est retraitée comme les eaux industrielles. A titre de comparaison, 10 000m³ correspondent à l’arrosage de d’un terrain de golf pendant 3 à 4 semaines ; Paris consomme 550 000m³ d’eau potable par jour.

L’EMPREINTE AU SOL

La productivité d’un puits est faible, généralement inférieure à 1000 barils par jour, même si dans la durée -20 à 25 ans-, elle peut atteindre plusieurs centaines de milliers de barils ; aussi est-il nécessaire de produire à partir de nombreux puits pour atteindre une production significative. Plus de 15 000 puits ont été forés chaque année depuis 2010 aux Etats-Unis, où la production de pétrole à partir des schistes atteint 4 millions de barils par jour (la consommation française est de 1,8 millions de barils par jour). Si l’on admet qu’un site de production occupe une surface d’un hectare et que l’on a foré 20 puits horizontaux à partir d’un site, ce sont ainsi 750 hectares qui sont occupés chaque année.

LES NUISANCES ASSOCIEES

Nuisances visuelles : elles sont certainement inférieures aux champs d’éoliennes ou aux fermes solaires.

Nuisances sonores : des précautions sont prises pour le forage en zone habitée : habillage d’appareils de forage, mur anti-bruit ; d’autre part, la durée d’exposition aux bruits de forage est courte (aux USA, un puits avec un drain horizontal de 3000m est foré en 10 jours). La rotation des très nombreux camions citerne pendant la phase de fracturation est une vraie nuisance ; il n’y a plus de nuisances pendant la phase de production.

La protection des nappes phréatiques : comme pour tout forage, plusieurs tubages « gigognes » cimentés aux parois du trou ou entre eux assurent l’étanchéité du forage. Par ailleurs, les microfissures se propagent sur quelques dizaines de mètres et restent donc à très grandes distances des nappes phréatiques superficielles.

Les tremblements de terre : à condition de ne pas effectuer de fracturation à proximité d’une faille du sous-sol (cas d’un puits en Grande Bretagne), le risque de mini tremblements de terre est quasi nul ; pour ce faire, il faut impérativement mener les études géologiques et géophysiques du sous-sol avant implantation des puits. Des mini tremblements de terre ont été attribués à tort à la fracturation alors qu’il s’agit de mini tremblements de terre liés à la réinjection mal contrôlée d’eaux industrielles dans les couches profondes du sous-sol (Oklahoma, 2011).

LES TECHNIQUES ALTERNATIVES à la fracturation hydraulique :

La fracturation au propane gélifié semble se développer, avec plus de 1500 fracturations effectuées à ce jour ; cette technique répond bien au défi de la consommation d’eau et nécessite moins d’adjuvants chimiques ; le sable reste utilisé pour maintenir les fissures ouvertes. L’utilisation d’azote liquide pour maintenir le propane dans son état liquéfié (-42°C) est un gros inconvénient ; de plus cette technique reste onéreuse.

D’autres méthodes en sont au stade de la recherche, comme la fracturation électrique, thermique ou à l’hélium liquide (liquéfaction à -269°C à pression ambiante !).  

LOCALISATION DES HYDROCARBURES DE ROCHE-MERE

On trouvera potentiellement ces hydrocarbures dans tous les bassins pétroliers -s’il y a du pétrole ou gaz, c’est qu’il y a une roche-mère- mais également dans les bassins sédimentaires où la roche-mère n’a pas, ou à peine, atteint les conditions de maturité pour générer des hydrocarbures en quantité suffisante. Tous les bassins ne sont pas encore étudiés.

Le tableau ci-dessous reprend les principaux chiffres de ressources publiés par l’Agence Internationale de l’Energie (Gm³ pour milliards de m³, Gb pour milliards de barils) :

Pays

Gaz de schiste (Gm³)

Pétrole de schiste (Gb)

CHINE

31 000

32

ARGENTINE

22 000

27

ALGERIE

20 000

5.7

ETATS UNIS

17 000

78.2

CANADA

16 000

9

……

….

….

FRANCE

3 900

4.7

……

……

…..

Ces chiffres considérables ne sont que des estimations de ressources. A titre indicatif, la consommation en France est de 45Gm³ par an pour le gaz et 1.8millions de barils par jour pour le pétrole.

EPSON0015LE CAS DES ETATS-UNIS

Aux Etats Unis, la production d’hydrocarbures conventionnels était sur le déclin depuis de nombreuses années quand les administrations américaines ont encouragé la mise au point de technologies destinées à produire les hydrocarbures de roche-mère. Dans les années 80, il s’agissait d’expériences menées par des pionniers, ce qui sera, en partie, la cause de la mauvaise image de la production de ces hydrocarbures. Les premiers succès économiques arrivent vers 2000, en même qu’un contrôle très strict par les autorités. L’impact sur la production est très net à partir de 2005. Le déclin est enrayé et la production croît.

 

 

ET HORS AMERIQUE DU NORD

La production a démarré en Chine et en Argentine. L’Arabie Saoudite, l’Australie, l’Afrique du Sud, la Russie, l’Algérie ont des programmes d’exploration ou d’investissement.

En Europe, des pays comme le Royaume Uni, la Pologne, le Danemark, la Biélorussie, la Roumanie regardent de près ces hydrocarbures. L’Allemagne et la Belgique sont plus circonspects. L’exploration est interdite en France et la Bulgarie.

 

LES RESSOURCES ESTIMEES EN FRANCE

EPSON0016Le Bassin Parisien et le bassin du Sud-est présentent un intérêt qu’il serait nécessaire de confirmer par quelques travaux d’exploration. Le Bassin Parisien a un potentiel plutôt « pétrole » (la roche-mère s’y trouve toujours dans la fenêtre à huile) alors que le bassin du Sud-Est a un potentiel gaz, la roche-mère y étant plus enfouie. Les estimations de ressources de l’Agence Internationale de l’Energie sont de 3 900 milliards de m³ de gaz et 4.7 milliards de barils. Même si ces chiffres ne sont que des estimations qui peuvent être revues à la baisse après une première phase d’exploration (on l’a vu pour la Pologne), ils restent considérables en regard de notre consommation de 45Gm³ de gaz par an et 1.8 millions de barils par jour.

LE MODELE US EST-IL TRANSPOSABLE EN FRANCE ?

– En terme de ressources : probablement pas ; la taille des pays et des bassins n’est pas comparable ;

– En termes économiques : probablement pas ; il y a peut-être un ou deux appareils de forage horizontal en France alors qu’il y en a plus de mille aux US avec une industrie de services pétroliers très puissante (lobbys ?). Si une exploitation avait lieu en France, il est certain qu’elle ne serait pas créatrice d’emplois comme cela peut l’être aux US où on parle de 100 000 emplois directs.

– En terme d’acceptabilité par la population : en dehors des sociétés françaises « champions » dans leur domaine, la France n’a pas la culture « pétrole » sur son territoire ; contrairement aux Etats-Unisla législation du sous-sol est favorable aux propriétaires, le sous-sol en France appartient à l’Etat. Les associations « anti » sont nombreuses, particulièrement dans le grand Sud-Est. Aux Etats-Unis, la tradition pétrolière est partagée par la sphère politique. En France, après que des permis d’exploration aient été attribués, quelques atermoiements et volte-face plus tard, les gouvernements successifs ont décidé d’interdire l’exploration ; le sujet n’est pas porteur et ce n’est pas dans l’air du temps. Les bas prix actuels du pétrole et du gaz ne rendent pas la question de la facture énergétique comme une priorité absolue. Mais pourquoi ne pas vouloir savoir ce que nous avons sous les pieds ? Un inventaire n’implique pas automatiquement une exploitation.

QUELQUES MOTS SUR LES PRIX

Après une plusieurs décennies de quasi stabilité du prix du pétrole entre 20 et 30$ par barils, les prix se sont envolés au début des années 2000 pour atteindre près de 140$ en 2013, suivis d’effondrement à 40$ puis d’une remonté vers 110$ début 2015 et d’une nouvelle chute vers 35/40$ ; il est difficile de retenir un scenario pour les temps à venir, le prix des hydrocarbures, pétrole en particulier, étant une arme géopolitique et économique au niveau mondial. Avec des coûts de production/acheminement relativement élevés – de 30 à 50$ par baril, voire plus- les investissements US dans le domaine des hydrocarbures de schiste se ralentissent et donc, à terme, la production. Les prix du gaz, moins fluctuants que ceux du pétrole, restent bas ce qui explique que la production des bassins à gaz de schiste est provisoirement délaissée au profit des bassins à pétrole de schiste.

CONCLUSION

Les hydrocarbures de roche-mère sont des hydrocarbures comme les autres ; seule leur production n’est pas conventionnelle. Les tâtonnements initiaux ont fait place aujourd’hui à une maitrise des procédés de production par fracturation dans un cadre strictement contrô, en agissant sur les contraintes sur l’environnement, sur les risques et les nuisances. La fracturation à l’eau est la plus employée aujourd’hui, mais la fracturation au propane semble se développer.

Les hydrocarbures de roche-mère devraient avoir un rôle important dans la demande mondiale d’hydrocarbures, avec des ressources considérables, mais qui demandent une prise en compte des contraintes sociétales et environnementales.

La production est forte en Amérique du Nord, elle démarre en Argentine et en Chine et les suivants sont sur les rangs.

En France, la place des hydrocarbures de roche-mère ne peut se concevoir que dans une politique globale du mix énergétique carboné/décarboné, fossile/renouvelable ; c’est un enjeu de société majeur, mêlant indépendance énergétique, balance commerciale, réindustrialisation, respect environnemental, et développement durable du territoire. Le bas prix actuel des hydrocarbures ne milite pas en faveur d’une exploitation des hydrocarbures de roche-mère, mais faut-il pour autant bannir même l’idée de savoir ?

Bibliographie et sitothèque :

www.ifpenergiesnouvelles.fr

www.gep-aftp.com

www.chnc.fr

www.stopgazdeschiste.org

www.iea.org

Pierre-René Bauquis: Parlons gaz de schiste en 30 questions  www.ladocumentationfrancaise.fr

 

Découvrez une autre conférence de Jean Michel BUCHOUD

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