SHEHERAZADE – Une figure des Mille et une nuits

Thème : ARTS                                                                                                                                                                                     Mardi 30 Mai 2006

Shéhérazade, une figure des Mille et une nuits

Par Soyème Bekhouche – Historienne de l’art

Shéhérazade est une figure mythique, un personnage clef des Mille et une nuits, cette œuvre extrêmement importante de la littérature arabe qu’il convient de remettre dans le contexte de la civilisation arabo-musulmane du 8e au 13e siècle.

Cette civilisation, intimement liée à l’islam se développe dans la péninsule arabique, une région au passé prestigieux. Les nouveaux conquérants que sont les califes bénéficient de la chute des anciennes civilisations comme les Byzantins. Ainsi, quatre ans après la mort des Mahomet, le Moyen-Orient anciennement byzantin devient musulman. Un siècle plus tard, l’islam s’étend de l’Afrique du nord jusqu’à l’Indus et de l’Andalousie jusqu’en Extrême-Orient. Cette civilisation intègre des populations ethniques très variées, y compris des juifs et des chrétiens. Ce territoire très vaste s’organise et se développe grâce à une stabilité politique et à un essor économique. La première dynastie de l’islam transfère la capitale à Bagdad, frappe la première monnaie de l’islam et proclame l’arabe comme langue officielle tout en encourageant les arts. C’est dans ce contexte que les Mille et une nuits prennent place.

Il s’agit certainement du texte arabe le plus connu en Occident. L’image de Shéhérazade y est véhiculée par de nombreux supports. Les enfants sont initiés très tôt aux héros que sont Aladdin, Sinbad ou Ali Baba. Pourtant, il faut garder à l’esprit que cette œuvre extrêmement dynamique a évolué dans le temps.

L’origine de ces contes

Les contes des Mille et nuits sont à considérer comme le témoin de la diversité de cette civilisation. Ces histoires sont d’ailleurs très différentes les unes des autres. Le Moyen-Orient est le théâtre dominant mais certains contes se déroulent néanmoins en Chine ou en Inde.

Il est difficile de connaître précisément l’origine de ces textes car les manuscrits ne nous sont parvenus que partiellement. En 987, un premier manuscrit évoque un texte plus ancien qui conte l’histoire de Shéhérazade qui doit raconter une histoire au roi pour échapper à la mort. Ce thème peut indiquer une origine perse, « Shah » signifie « roi » en iranien. Mais d’autres éléments font penser à une origine indienne, notamment certains contes indiens du 3e siècle.

L’hypothèse la plus admise est celle-ci : ces contes sont nés en Inde puis sont passés, par voie orale, en Perse où le premier recueil fut rédigé. Ce recueil fut traduit en arabe au 8e-9e siècle. Grâce à ces traductions, les contes indo persans se sont développés dans la culture arabe tout en étant transformés. Cette évolution s’est traduite par une « arabisation » de certains noms (des références à des villes arabes comme Bagdad ou Le Caire et à des personnages de l’époque qu’ils soient califes ou savants), l’évocation d’événements historiques (les croisades) et l’ajout de nouveaux contes. Ceci explique qu’on ait retrouvé différents manuscrits comportant des contes différents selon les ouvrages (Sinbad ne figurait pas dans les premières versions). Toutefois, le cadre reste toujours identique.

Après avoir été trompé par sa femme, un roi décide d’épouser chaque soir une vierge et de la tuer au matin. Pour arrêter ce carnage, Shéhérazade demande à épouser ce roi. Pour rester en vie au petit matin, elle ne termine pas le conte commencé pendant la nuit. La curiosité du roi ayant été éveillée, il la laisse en vie jusqu’à la nuit pour connaître la suite. Au bout de Mille et une nuits, il décide enfin de la gracier.

Ce principe narratif implique que ce sont des contes à tiroir, car Shéhérazade doit faire durer l’histoire. Parfois les passages s’éternisent et peuvent lasser le lecteur. Reste que le panel des styles littéraires est très large : on y trouve des contes de ruses (en majorité), des histoires merveilleuses (des génies et des métamorphoses), des épopées, des histoires d’amours, des fables, des éloges… Les contes sont écrits en prose mais certains passages le sont en vers.

L’Europe découvre ces contes vers 1700. La première traduction européenne est faite par Antoine Galland en 1704 à partir d’un manuscrit arabe du 15e siècle et d’un ouvrage turc. Très vite, les Mille et une nuits obtiennent un succès considérable en Europe. C’est la première fois que la civilisation arabo-musulmane est décrite de l’intérieur et ces contes contrastaient avec les écrits très cartésiens de l’époque. Au 18e siècle, ce texte est l’œuvre la plus lue après la Bible. Il est à l’origine de l’engouement pour l’Orient et l’orientalisme que l’on retrouve dans le domaine artistique : peintures, musiques, puis, plus tard, cinéma et dessins animés. L’adaptation de ces contes pour les jeunes lecteurs fait que les aspects les plus violents et les plus érotiques ainsi que les insultes ont été, jusqu’à récemment, expurgés des versions européennes.

Les personnages types et les thèmes principaux

Ces contes ont été écrits par des hommes et cela se ressent par la considération de la femme : perfide, elle est celle qui commet l’adultère. Cette vision est néanmoins contrebalancée par la description de l’intelligence des femmes, souvent présentées comme des savantes qui impressionnent les califes par leur érudition. Shéhérazade elle-même sauve sa vie et celle de toutes les autres filles du royaume grâce à son intelligence. L’image de Shéhérazade belle et cultivée est propre au monde arabo-musulman. En Europe, c’est une autre image – dénaturée – de Shéhérazade qui s’est développée. Stéréotype de la femme orientale, elle a été décervelée au profit de ses danses du ventre. Les artistes européens n’ont retenu que cette féminité, ne voyant en elle que l’héroïne sensuelle.

Dans les contes, un homme est généralement le pivot de l’histoire. Il est souvent juste, vaillant, respectueux des règles de l’islam, qui est trahi ou qui décide de partir à l’aventure. Le thème de la tromperie et de la trahison occupe une place importante. Mais, au terme de l’aventure, le héros peut accorder sa clémence et son pardon.

Ingres, Delacroix, Matisse, Renoir… ont tous été, à un moment de leur carrière inspirés par ces contes des Mille et une nuits qui furent à l’origine de l’orientalisme. Au 19e siècle, l’Orient était devenue la source d’inspiration la plus importante pour les peintres. Certains y sont allés (Fromentin) mais beaucoup n’y ont jamais mis les pieds, leur imagerie provenant essentiellement des œuvres littéraires. Certains thèmes revenaient régulièrement : le harem, la chasse, les paysages de déserts, de marchés, de souks. Mais, plus essentiellement, l’imagerie orientale modifia profondément la façon d’aborder les couleurs et la lumière, plus chatoyante.

En savoir plus …

Coté Livres :

Les énigmes de Shéhérazade

Auteur : Smullyan Raymond

Editeur : Flammarion

ISBN-10: 2080355643

http://www.amazon.fr/enigmes-sheherazade-Smullyan-Raymond/dp/2080355643

Shéhérazade. Les Mille Et Une Nuits

Auteur : Florence Langevin

Editeur : Presses de la Cité

ISBN-13: 9782725618814

http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/langevin-florence/sheherazade-les-mille-et-une-nuits,528218.aspx

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Mille_et_Une_Nuits

http://pages.infinit.net/vdemers/nuits.html

A écouter

http://www.canalacademie.com/Les-mille-et-une-nuits.html

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