PICASSO ET LES MAITRES

Thème : ARTS                                                                                                                                                  Conférence du mardi 19 Mai 2009

Picasso et les maîtres

Par Stéphanie Bernardin – Conférencière

Picasso était un cannibale. Ce maître de l’iconoclasme a cannibalisé les œuvres des grands maîtres mais aussi, sur un plan personnel, les femmes et ses proches. L’exposition présentée au Grand Palais, au Louvre et au Musée d’Orsay a bien mis en évidence la capacité qu’il avait à tout digérer, et récupérer la qualité intrinsèque de ses illustres prédécesseurs. Il a su aussi absorber les changements profonds de notre époque : cet homme élevé dans l’Espagne du XIXe siècle – il a presque vingt ans en 1900 – meurt en 1973 à l’heure des avions supersoniques.

Dès sa jeunesse, grâce à la photographie, il connaît de nombreuses œuvres sans les avoir jamais vues et se constitue son propre « musée » personnel (on y voit des Rubens, Botticelli…). Il naît à Malaga en 1881 d’un père professeur de dessin, un bon technicien de l’art, dont le caractère se rapproche de celui de Léopold Mozart en ceci qu’il a cherché à donner à son fils tout ce dont il avait besoin. C’est ainsi que Picasso entre d’abord à quatorze ans à l’académie des Beaux-arts de Barcelone avant d’intégrer celle de Barcelone. En cette fin de XIXe siècle en Espagne, des professeurs expliquent encore que Le Greco est « ce qu’il ne faut pas faire », qu’il peint mal parce qu’il voit mal, en somme, qu’il a un problème de strabisme. En France, depuis les impressionnistes, dont l’acte fondateur a été Le Déjeuner sur l’Herbe d’Edouard Manet, on réfléchit sur l’art moderne et les grands peintres (Manet, Monet, Cézanne, Gauguin, Van Gogh…) pensent à la place de la couleur.

Picasso, lui, n’est pourtant pas un homme de couleurs. C’est un homme de dessin. En fait, il se rapproche bien plus qu’on ne l’imagine d’Ingres, grand maître du classicisme à la française dont le style est marqué par des traits épurés mais qui se permet toutefois des distorsions surprenantes. Plus proche encore de Picasso, en terme de personnalité surtout : Rembrandt. Le grand maître flamand, qui avait la même arrogance du jeune talent, est mort pauvre et seul. Certes Picasso n’est pas mort pauvre, mais il a fini sa vie de plus en plus esseulé après avoir toujours divisé de son vivant. Il y avait chez Rembrandt un côté organique ; la peinture, c’est d’abord de la matière appliquée sur une toile, une caractéristique que l’on retrouvera beaucoup chez Picasso à la fin de sa vie.

Autre référence importante : Gauguin, qui meurt aux Marquises en 1903. Ce chantre du primitivisme pensait qu’il fallait retrouver la terre primitive pour faire parler l’âme brute. Picasso va suivre cette théorie pendant sa période rose (qui succède à sa période bleue, période romantique). Son primitivisme personnel le conduit à retourner en Espagne. A partir de 1905, il s’inspirera aussi de la démarche de Cézanne, qui représente la nature avec des formes géométriques. Pas de barbouillage, un trait simplifié, des couleurs sobres, on est là dans l’antithèse du fauve.

Il y a chez Picasso une certaine schizophrénie entre une tendance Poussin – une peinture à l’intellectualité revendiquée, très structurée – et une tendance Greco, plus spontanée. Chez ce dernier, il reprend une certaine picturalité. Le Greco n’a pas cherché la tridimensionnalité dans la peinture (on a toujours appris à peindre en copiant les sculptures et à jouer des ombres pour faire croire au volume), ses personnages et ses objets sont plats mais sont illuminés par une certaine lumière particulière. Picasso maîtrise mal cette couleur sacrée. Très longtemps pendant sa carrière, il met de côté la couleur. D’ailleurs, dès le XVIIe siècle, les peintres espagnols ont supprimé la couleur, aussi bien Murillo, Ribera, Vélasquez  (à ses débuts), Zurbaran…Quand ce dernier peint Saint-François d’Assise, la lumière vient littéralement sculpter la robe de bure. Picasso s’inspirera de la verticalité de cette œuvre magnifique pour son Homme à la guitare mais, chez lui, la lumière viendra au contraire écraser tous les volumes.

Quand Vélasquez rencontre Titien, il change de style et ajoute de la couleur, comme on peut le voir dans son portrait d’un nain, qui est le fou du roi. En 1969, Picasso s’en inspire. Il peint alors deux à trois tableaux par jour et beaucoup de ses ultimes œuvres sont des tableaux grotesques. Autant le nain de Vélasquez est sûr de lui, avec un regard déterminé, autant celui de Picasso (qui n’est autre que lui-même) est triste et mélancolique. Dans ses dernières années, Picasso dévoile une impuissance presque enfantine, il ne dessine plus mais barbouille sur la toile, il étale la couleur et l’aime pour la première fois de sa vie.

Au cours de sa carrière, Picasso a souvent peint des variations de tableaux anciens. Quand, en 1917, il recrée en version pointilliste, un style qu’il n’avait jamais fait et qu’il ne refera plus jamais, un tableau (acheté aux Puces) de Le Nain du XVIIe montrant des paysans, c’est une façon de rendre hommage à la France au moment du drame du Chemin des Dames. Cette variation d’une scène créée par un peintre traditionnel français dans un style inventé par un autre Français (Seurat) était une façon de montrer son attachement à la France.

Beaucoup plus tard, il osera s’attaquer au plus grand à ses yeux, Vélasquez, et fera trois variations des Ménines, cette œuvre à la composition incroyable, aux multiples lectures possibles, un véritable tableau dans le tableau. Et chaque variation de Picasso mettra l’accent sur une interprétation particulière.

Quand il reprend Les Femmes d’Alger de Delacroix, une œuvre à la sensualité latente, Picasso s’amuse à représenter ces femmes lascives les jambes en l’air. Mais il ne cherche jamais à parler au spectateur. Chez lui, pas de jeux de regards, même quand il reprend la Nana de Manet pour en faire une cocotte assez grotesque.

On aurait pu penser Picasso proche de Courbet par son goût de la provocation. En fait, il ne l’aimait pas vraiment, il n’avait pas la même culture de terroir. S’il reprend ses Demoiselles de bord de Seine, c’est en fait à la demande du PCF dont il s’est senti proche après la Seconde Guerre Mondiale (Picasso avait choisi de rester en France et avait bravé l’occupant nazi en refusant de peindre pour lui). Le Parti communiste lui avait demandé de peindre quelque chose autour de Courbet, qui était vu comme un peintre « social ». Pour le PC, ces demoiselles alanguies montraient la décadence de la bourgeoisie. Mais là où Courbet évoque le regard d’un homme porté sur la femme à qui il vient de faire l’amour (la deuxième étant vraisemblablement revenue de sa cueillette de fleurs), Picasso montre la femme allongée sur un homme en train de l’embrasser. Sous une forme hyper fragmentée, il annule toute la subtilité de Courbet.

En 1911, quand Olympia entre au Louvre, cela fait scandale. L’œuvre représente une courtisane allongée nue sur un lit avec la main sur le sexe. Picasso et ses comparses entrent un jour bruyamment dans le musée, mais ce n’est pas pour venir voir la toile de Manet – « des douleurs pour plus tard », dira-t-il car Manet un coloriste exceptionnel – mais pour étudier l’Odalisque d’Ingres. Cette œuvre, par ses subtiles déformations, est bien plus érotique que la précédente car elle instille un doute sur ce qu’est cette odalisque. Dans ses nus, Picasso va tout montrer des organes de ses modèles, exposées dans des positions grotesques et immorales, ce qui annihile toute pulsion érotique car il n’y a plus de voyeurisme.

Dans les années 1947-1955, Picasso est reconnu par ses pairs. « Picasso m’énerve, il a tout fait » disait Pollock, ajoutant : « Nous sommes des enfants à côté de lui. » Mais Picasso était un anthropomorphe qui toujours gardé le vocable de la réalité, qui n’est jamais tombé dans l’abstrait parce qu’il n’en avait la mentalité. Il était foncièrement un homme d’image.

En savoir plus …

Coté livres :

Picasso , Portraits d’Arlésiennes 1912-1958
Auteur : Dominique Serena-Allier, Tomas Llorens, Pablo Picasso, Yolande Clergue
Éditeur : Actes Sud (5 juillet 2005)

ISBN-10: 2742755845

http://www.amazon.fr/Pablo-Picasso-Portraits-dArl%C3%A9siennes-1912-1958/dp/2742755845

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pablo_Picasso

http://www.picasso.fr/fr/picasso_page_index.php

http://www.musee-picasso.fr/

http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-PICASSO/ENS-picasso.html

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