MATISSE – Du corps à la ligne

Thème : ART – PEINTURE                                                                                                                                                                Mardi 16 avril 2013

MATISSE – Du corps à la ligne

Par Olivier FONT, Conférencier au centre Pompidou

Fils d’un marchand de grains, Henri Matisse est né à Cateau-Cambrésis en 1869. Il  entreprend tout d’abord des études de droit et exerce la fonction de clerc dans un cabinet notarial de Saint-Quentin dans l’Aisne.
À l’occasion d’une convalescence, il commence modestement à dessiner. Cette première expérience le conduit, en 1891, à s’installer à Paris pour apprendre la peinture. Ses professeurs sont le peintre académique Bouguereau, puis Gustave Moreau, plus proche des mouvements d’avant-garde contemporains. Il découvre ensuite l’impressionnisme avec Turner, Cézanne, Gauguin, Van Gogh…

En 1904, après sa rencontre avec Signac, théoricien de la méthode divisionniste inaugurée par Seurat, il peint Luxe, calme et volupté. Mais cette toile ne le satisfait pas :

« Mes couleurs dominantes, sensées être soutenues et mises en valeur par les contrastes, étaient en fait dévorées par les contrastes, que je faisais aussi importants que les dominantes. Ceci m’amena à peindre par aplats : ce fut le fauvisme.»

En 1905, Matisse expose au Salon d’Automne un portrait de sa femme, La Femme au chapeau, qui fait scandale. Cependant, bien que décrié, le peintre sort de l’anonymat et s’impose comme chef de file d’une nouvelle école avant-gardiste.

À partir de cet événement, il ne cesse d’exposer et de vendre ses toiles. En 1909, notamment, le riche collectionneur russe Chtchoukine lui commande deux compositions, La Danse et La Musique. L’aisance matérielle que lui confère son succès lui permet d’effectuer divers voyages, comme ses deux visites au Maroc entre 1912 et 1913, qui enrichissent son œuvre.
A 45 ans Matisse n’est pas mobilisé pendant la guerre, il reste à Collioure, puis s’installe à Nice, où, jusqu’à la fin des années 20, il travaille presque exclusivement sur le thème du corps féminin.

         En 1930, la recherche d’une autre lumière et d’un autre espace le conduit à entreprendre un long voyage pour Tahiti. De cette île, il ramène des photographies, des croquis, mais surtout des souvenirs. Ce n’est que bien plus tard qu’il parvient à intégrer l’expérience tahitienne à sa pratique picturale, à travers les gouaches découpées. À partir de 1941 et après une lourde opération chirurgicale, ce nouveau procédé donne naissance à ses ultimes chefs-d’œuvre dont Jazz en 1947, La Tristesse du roi, 1952, ou les projets pour la Chapelle de Vence entre 1948 et 1951. Il meurt à Nice en 1954.

Lœuvre de Matisse:

En 1951, alors qu’il vient d’achever le dernier grand chantier de sa vie, la chapelle du Rosaire à Vence, Matisse résume en quelques mots près de cinquante ans de travail: « Cette chapelle est pour moi l’aboutissement de toute une vie de travail et la floraison d’un effort énorme, sincère et difficile.»
La longévité de son activité n’a pour équivalent que celle de Picasso, son contemporain, mais à la différence de ce dernier, Matisse a constitué une œuvre qui n’obéit qu’à une seule idée, la recherche d’un équilibre des couleurs et des formes, qu’il parvient à la fin de sa vie à imprimer à la matière, mais comme il y insiste lui-même, non sans effort.

On apprend en effet de Matisse que, du premier tableau qui le fait remarquer en 1904, Luxe, calme et volupté, à la chapelle de Vence, la simplicité, la fraîcheur, l’éclat évident et immédiatement perceptible qui caractérisent son œuvre n’ont pas vu le jour sans une longue méditation.
Pour réconcilier la couleur et le dessin grâce aux gouaches découpées, il lui a fallu recourir alternativement à la sculpture et aux aplats de couleur, c’est-à-dire abstraire la ligne de la couleur et inversement, afin de circonscrire leur puissance respective.
Pour que «art et décoration» ne soient «qu’une seule et même chose», il a interrogé l’architecture et perçu comment la peinture peut la transfigurer.
Enfin, pour que la peinture devienne cet «art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaires aussi bien que pour l’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques» comme il le disait dès 1908, Matisse a suivi son intuition originelle. Il a ainsi traversé les grands courants coloristes d’un demi-siècle d’histoire de l’art, le divisionnisme, le fauvisme, l’abstraction, sans s’y perdre.
Il lui a fallu aussi beaucoup voyager, en Bretagne, dans le midi, s’ouvrir à l’Orient en se rendant au Maroc, voir l’Amérique et l’Océanie.

Au terme de cette odyssée dans la couleur et au fil de l’arabesque, Matisse est devenu pour les artistes de la génération suivante, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, «l’oasis Matisse» comme le disait André Masson. Les peintres de l’abstraction américaine des années cinquante et soixante, de Rothko à Kelly, de Sam Francis à Motherwell, comme Hantaï et Viallat en France dans les années soixante, ont puisé dans la fraîcheur de son œuvre leur source d’inspiration.

 

Porte-fenêtre à Collioure1914
Huile
surtoile
116
x89
©
SuccessionH.Matisse

Avec cette toile peinte à Collioure à l’automne 1914, Matisse propose une image d’un dépouillement radical, confinant à l’abstraction. C’est dans ce sens que l’œuvre a été interprétée lorsqu’elle fut présentée pour la première fois, bien après la mort de l’artiste, lors d’une exposition itinérante aux Etats-Unis en 1966. Toutefois, comme certains éléments l’indiquent, cette peinture reste liée à la représentation, avec toute la sensualité et l’émotion qui s’attachent, chez Matisse, au thème de la fenêtre.

Certains détails sont explicitement figuratifs, comme les stries du volet gauche qui évoquent des fentes. De même, l’oblique du mur, au bas de la toile, réintroduit la tridimensionnalité pour représenter le sol de la chambre. Enfin, des arbres et la grille d’un balcon sont encore visibles, malgré le badigeon noir appliqué lors d’une dernière séance de travail.

À propos d’un tableau de 1916 le noir domine, Matisse déclare commencer «d’utiliser le noir comme une couleur de lumière et non comme une couleur d’obscurité». Il semble qu’il s’achemine déjà vers cette découverte du noir comme évocation d’une lumière aveuglante, pénétrant ici l’espace de la fenêtre ouverte.
À
la différence des nombreuses autres fenêtres peintes à Collioure depuis 1905, celle-ci ne vise pas l’articulation d’un espace intérieur et d’un paysage. Entre un intérieur éteint et un extérieur encore plus sombre, seuls les bords, les volets ou les limites de l’ouverture sont éclairés. Se confondant avec le rectangle du tableau, cette fenêtre est abordée pour elle-même, comme sujet emblématique de la peinture.

Nu bleu II, 1952
Papiers gouachés découpés et collés sur papier blanc marouflé sur toile
116,2 x 88,9
© Succession H. Matisse

Comme les quatre autres pièces d’une série réalisée en 1952, Nu Bleu II reprend une pose, bras croisé derrière la nuque, jambe repliée devant le buste, souvent traitée par Matisse tant en peinture (Nu assis, Olga, 1910), qu’en sculpture (Nu couché, 1907, Vénus à la coquille, 1930-51).

De cette œuvre bidimensionnelle émane une impression de ronde-bosse.
Héritant
de Cézanne, Matisse considère le bleu comme la couleur du volumeet de la distance. Les vides qui marquent les articulations du corps, tout en unifiant par la ligne les parties fragmentées, procurent à l’ensemble un effet de relief. Enfin, la simplification des formes rappelle la stylisation du corps dans la sculptureafricaine, que Matisse collectionne dès le début de sa carrière.
Le
corps semble prendre forme au cœur d’un espace sans limite, ce qui lui confère un caractère monumental.
La
série des Nus Bleus témoigne de l’aboutissement d’une réflexion et d’une recherche sur la figure dans l’espace qui ont occupé Matisse tout au long de sa vie.

«Regarder toute la vie avec des yeux d’enfants»

Matisse