LES CLOCHERS DE FRANCE

Thème : Art, Histoire                                                                                                                Mardi 6 mars 2018

LES CLOCHERS DE FRANCE

Conférence et exposition, par Claude DARRAS, vice-président du CDI.

C’est à Grégoire de Tours (538-594), prélat et historien, célèbre pour son Histoire des Francs, que nous devons des informations précises sur les premiers clochers construits en Gaule, des tours contenant une cloche qui annonçait les offices. Les cloches de cette époque étaient en fer mais dès le X° siècle on prit l’habitude d’utiliser l’airain, fait de 78% de cuivre et de 22% d’étain. Il ne reste presque plus de clochers carolingiens car ils étaient faits en bois et furent détruits par des incendies et par les Normands.  L’an mil passé, sous les Capétiens, la France jouit d’une paix relative et sur tout le territoire on bâtit des églises en pierres, chaque village a son clocher. Les édifices importants en avaient deux ou plus. L’architecture de ces dizaines de milliers de clochers, évoluant au cours des siècles, enrichit notre connaissance archéologique des styles romans, gothiques, flamboyants, renaissance, baroques, etc …

  L’église de Garches est un exemple de construction classique que l’on retrouve très souvent : la base du clocher est carrée, on y trouve le porche, précédé de quelques marches. Au-dessus est placée l’horloge et plus haut sont pratiquées des ouvertures en arcade où l’on peut apercevoir les cloches. Il se termine par un flèche surmontée d’un coq servant de girouette. Ce coq est une très ancienne tradition. On dit qu’il symbolise l’identité gauloise puis nationale. En fait on retrouve le coq dans toute l’Europe. Ne voit-on pas, dans la tapisserie de Bayeux, un soldat faisant tomber le coq du clocher de Abbaye de Westminster.

  Pour construire les clochers, la pierre calcaire est de loin la plus utilisée. Le sous-sol parisien fut largement exploité. C’est l’origine des Catacombes. En Alsace et en Bretagne on dispose d’un beau grès rose. Dans le Val de Loire, le tufeau est utilisé pour les châteaux et les églises. En Auvergne, c’est le granite de Volvic, appelé « trachyandésite »,  qui donne une roche grise solide. Du granite aussi en Aveyron, mais il est rouge comme à Marcillac. Ailleurs, où la pierre manque, dans le Nord, les Dombes ou le pays toulousain, on construit en briques.

  Dès le X° siècle, dans les villes où réside un évêque, celui-ci demeure le personnage essentiel pour décider la construction d’une cathédrale. Il choisit un architecte avec qui il met au point le plan de l’édifice et assure le financement de la construction.  Cet architecte a souvent plusieurs chantiers en cours. De même les ouvriers spécialisés qu’il recrute sont itinérants. Ils sont à l’origine du compagnonnage. La population locale participait très activement aux travaux, surtout pour le transport des matériaux. En échange l’évêque leur promettait des récompenses spirituelles.

  Nous avons   cité notre église de Garches comme monument typique pour une grand partie de la France.  Dans le sud, de nombreuses églises anciennes n’ont pas de vrais clochers, mais un simple pan de mur percé d’arcades où les cloches sont placées. Ce sont les « clochers-murs », dits aussi « clochers-à-peigne ». Ceux plus tardifs ont une petite toiture. Dans cette région, surtout dans le Roussillon, où l’on craignait les attaques des Sarrasins, les clochers servaient de guet et les églises étaient fortifiées. Elles pouvaient servir de refuge contre les invasions barbares et leur intérieur était aménagé pour abriter la population. On y trouvait par exemple un puit dans la crypte. Ces églises, aux allures de château-fort, sont nombreuses. Citons celles des Saintes-Maries-de-la-Mer, d’Agde, de Saint Victor à Marseille et aussi la cathédrale de Saint-Brieux qui subit de violentes attaques.

   Une curiosité qui laisse les architectes perplexes, ce sont les clochers dont la flèche est tordue. On en compte une trentaine. Ils portent le nom de « clochers-tors » et leur existence ne s’explique pas vraiment. Les légendes abondent à leur sujet : ce serait le diable qui les aurait tordus pour se venger de leur construction en un lieu qu’il s’était réservé. On a pensé à une erreur du plan de fabrication. Or prenez l’exemple de celui de Saint-Côme-d’Olt qui est tout vrillé. Son architecte, Antoine Salvant, a construit le magnifique et grandiose clocher de la cathédrale de Rodez. Il ne pouvait se tromper à ce point ! On ne sait donc pas la motivation d’une telle anomalie…si ce n’est d’attirer, quelques siècles plus tard, la curiosité des touristes…    

     En Provence, les clochers sont carrés et trapus, avec une élégante construction en fer forgé qui porte une cloche généralement de petite dimension. On dit que ces clochers résistent mieux au vent. En Savoie et dans les Vosges, au XVII° siècle , sont apparus des clochers à bulle témoins de l’art baroque. Les premières cathédrales furent de style roman puis, au XII° siècle, on adopta les croisées d’ogives caractéristiques du style gothique. Celle de Saint-Denis (1140) est la première construite en Europe de ce style, encore que le bas du clocher soit roman. On peut se demander pourquoi avoir choisi ce terme de gothique. Les Goths étaient un peuple germanique fixé au bord de la Vistule, deux siècles avant Jésus-Christ, ils n’ont pas inventé le style ogival. Ces cathédrales sont bien d’origine française puisque on en compte 23 construites au XII° siècle sur notre territoire. Ce n’est qu’à partir du XIII° que ce type d’architecture s’est imposé en Occident.

  Les clochers des églises sont un élément incontournable de nos paysages. En plaine, ils nous permettent de situer au loin les villages dont on ne voit pas les maisons. Très souvent les cathédrales étant construites sur une hauteur de la ville, elles dominent les environs ce qui les fait voir « plus de dix lieues à la ronde » comme on le disait jadis. Comme Chartres, Bourges, Rodez,…  

   Evidemment, pour nous autres Franciliens, la plus belle cathédrale est Notre-Dame de Paris. L’évêque, Maurice de Sully, fit commencer les travaux en 1163, sous Louis VII le Jeune. La façade et la nef ne furent achevées qu’en 1250. On avait prévu des flèches sur les tours mais on les a considérées inutiles et ne seront jamais construites. Pour la même raison les cathédrales de Reims, n’ont pas eu de flèches. Notre-Dame de Paris est considérée comme un ensemble de puissance et d’équilibre souvent imitée mais jamais égalée. Pendant la Révolution elle fut en partie saccagée et, en 1841, Viollet-le-Duc est chargé de la restaurer. Entreprise considérable, la flèche, haute de 90 mètres, n’a été achevée qu’en 1858.

      Un autre édifice religieux parisien est remarquable : la Basilique du Sacré-Cœur sur la colline de Montmartre. La première pierre fut posée par le Président Mac-Mahon le 16 juin 1875. Construction très difficile car le sol était creusé de carrières.  Son style fut loin de faire l’unanimité et, encore aujourd’hui, certains la trouvent laide. Elle est pourtant visitée par des millions de touristes. La pierre utilisée pour sa construction est extraite d’une carrière de Château-Landon et elle a la particularité de rester toujours blanche, insensible à la pollution. Cette blancheur est un aspect particulier du paysage parisien. Notre-Dame de Fourvière, à Lyon, fut construite à la même époque.

  Une des cathédrales les plus vénérées de France est celle de Chartres. Sur un site consacré à la Vierge Marie depuis le premier siècle de notre ère, plusieurs édifices furent construits, dès 876. Des incendies les détruisirent et l’actuelle a été bâtie à partir de 1020. Les deux flèches ont été faites à 400 ans d’intervalle, ce qui explique qu’elles soient si différentes, l’une romane au sud, l’autre gothique au nord. Cette asymétrie est à l’origine d’une question saugrenue que   l’on pose depuis longtemps : si l’on devait détruire l’une des tours, laquelle garderions-nous ? Pour Viollet-le-Duc le clocher Sud est « le roi des clochers » et beaucoup sont de son avis.

  De nombreux clochers connurent des aventures peu ordinaires que nous n’avons pas le temps de raconter. Nous en citerons qu’une, car aucune n’a subi une plus grand  infortune que la grande église de L’Epine dans la Marne. Ce n’est pourtant qu’un petit village mais il possède une merveille construite au XV° siècle, dont les deux flèches ajourées sont les plus belles de France. L’une d’elle connut une péripétie qui, aujourd’hui, ferait hurler la France entière ! A la fin du XVIII° siècle le Directoire décide d’établir une ligne de son nouveau télégraphe aérien entre Paris et Strasbourg. Claude Chappe choisit le plateau de l’Epine pour servir de relais et fit détruire la moitié du clocher Nord pour y placer son instrument de signalisation! Il fonctionna jusqu’en 1868 et c’est Napoléon III, scandalisé par cette histoire, qui fit reconstruire une flèche presque semblable à l’autre.

Conclusion

  Nos nombreux clochers en France, de modestes chapelles isolées dans un coin de campagne ou de grandioses cathédrales dans des villes importantes, en plus de leur mission liturgique, constituent un patrimoine historique et architectural que nous devons préserver pour les générations futures.  

Un commentaire

  • Jean-Michel BUCHOUD

    Apr 02, 2018

    Reply

    Merci à Claude Darras pour cette belle conférence bien illustrée et commentée avec humour. Beaucoup d'anecdotes qui enrichissent le propos. Bravo pour l'exposition des tableaux qui complètent harmonieusement le sujet.

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