LES BALLETS RUSSES

Thème : ARTS                                                                                                                                                                               Mardi 16 Janvier 2007

Les ballets russes

Par Pierre Alain Mallet – Conférencier national

La troupe des ballets russes a été fondée par Serge Diaghilev  en 1909 et n’a pas survécu à la mort de son créateur, en 1929. Sur la trentaine de ballets créés durant cette période, une grande majorité ne présente plus guère d’intérêt aujourd’hui. La compagnie des ballets russes n’en demeure pas moins mythique. Si cette troupe est à ce point fantasmée aujourd’hui, c’est parce que, à bien des égards, elle a fait avancer l’art moderne, tant au niveau de la chorégraphie et de la musique que des décors et des costumes. De grands talents du début du XXe siècle participèrent à cette entreprise, comme les peintres Picasso, Matisse, Derain, Marie Laurencin, les compositeurs russes Prokofiev, Stravinsky, Moussorgski, les compositeurs français Ravel, Debussy, Satie mais aussi la styliste Coco Chanel. Malheureusement, les ballets n’ont jamais été filmés et, si quelques photos existent, ce ne sont que des re-créations en studio ou non des prises de vues de spectacles.

Diaghilev, un producteur audacieux

Sergei Pavlovich Diaghilev naît en 1872 dans une province russe reculée. Ses études de droit – qu’il néglige – le mènent à Saint-Pétersbourg. Pendant sa vie de bohème, il se rend compte qu’il est « affligé d’absence totale de talent » mais qu’il est doué pour le mécénat. Il décide de passer sa vie à révéler le talent des autres. Ayant fondé un journal, Le Monde de l’art, il tisse un réseau d’amitié dans l’art contemporain. En 1899, il est le premier à organiser l’exposition des impressionnistes français en Russie. Nommé  adjoint aux théâtres impériaux, il s’en fait rapidement renvoyer suite à des soupçons de détournement.

Charmeur, bonimenteur, il se considère lui-même comme un « charlatan ». Etant rejeté du milieu du théâtre, il se tourne vers celui de la musique et fait jouer les compositeurs français (Debussy, Ravel) en Russie. En 1907, il se rend à Paris pour organiser une série de concerts de musique russe et devient une figure du Tout-Paris. L’année suivante, il monte Boris Godounov de Moussorgski avec le grand chanteur Chaliapine, qui rencontre un beau succès. Diaghilev profite de la mode russe qui secoue la capitale pour monter sa troupe de ballets avec des danseurs venus de Russie. Les premières créations, par le chorégraphe Michel Fokine, marquent les esprits. Bien que reprenant des thématiques et des imageries russes, elles sont calibrées pour plaire au public français, qui attend de « l’âme russe » une certaine cruauté, à la limite de la sauvagerie. Mais il faut surtout étonner les spectateurs. Ainsi, pour Shéhérazade, les costumes signés Léon Bakst tranchent avec les couleurs traditionnelles (les tutus blancs). Ici, les couleurs sont vives. Elles évoquent la peinture contemporaine et l’art des fauves. Une telle utilisation de la couleur était jusqu’alors inconnue dans le monde du ballet. Pour Diaghilev, l’expressivité doit en effet primer sur l’aspect « sportif » du ballet. Les costumes montrent la peau des danseurs et la danse devient plus sensuelle, à l’érotisme soigneusement calculé.

En 1911, Petrouchka marque un pas en avant considérable dans l’avant-gardisme. Si la musique de Stravinsky en surprend plus d’un, la chorégraphie n’est pas en reste. Les personnages étant des marionnettes de fête foraine (dans des décors de Benois), la chorégraphie de Fokine transforme les danseurs en pantins démantibulés faisant des arabesques un peu ridicules. Tout en s’éloignant de la rigueur traditionnelle, il s’agit là d’une technique très pensée. Grâce à ce succès, les ballets russes prennent véritablement leur ampleur. La compagnie, qui multiplie les tournées, se produit dans le reste de l’Europe, et même aux Etats-Unis.

Nijinski au pinacle

Diaghilev a un défaut majeur : il se brouille avec tout le monde, que ce soit avec ses (nombreux) créanciers ou les artistes de sa troupe. Ainsi, Michel Fokine claque la porte en 1911. Il n’a pas supporté la montée en puissance de Vaslav Nijinski, alors jeune danseur de la troupe et qui deviendra le plus grand danseur de son temps. Son incroyable détente donne l’impression qu’il défie les lois de la pesanteur. Dans Le Spectre de la rose, Nijinski quitte la scène sur un bond tel que le public peut penser qu’il s’est envolé vers la coulisse. Nijinski devient LA grande star de Diaghilev (avec qui il entretient une relation homosexuelle). Excellent danseur mais sans formation de chorégraphe, il se lance néanmoins dans la chorégraphie, et réinvente tout. L’après-midi d’un faune est sa première création, sur une musique de Debussy d’après un poème de Mallarmé. L’inspiration lui vient un jour qu’il visite une collection de vases grecs au Louvre, avec leurs bustes de face et le reste du corps de côté. Il va tenter de recréer cet effet. Sa chorégraphie montre pour la première fois un danseur se tordre, se contorsionner, sans ce liant auquel on est habitué en danse classique. Sa chorégraphie, d’une extrême sensualité et animalité, fait scandale.

Dès lors, chaque nouveau ballet de la compagnie est attendu comme un événement. Pour Le Sacre du Printemps (1913), la chorégraphie de Nijinski surprend autant que la musique de Stravinsky : les danseurs ont les pieds en dedans, les coudes écartés et le dos voûté. On est loin de la position traditionnelle du danseur classique ! C’est à nouveau un scandale dans la salle. « Mais où ont été élevés ces barbares » est l’une des exclamations les plus polies entendues ce jour-là. Grâce à un système de notation qu’il inventa pour lui-même, on a pu garder une trace des chorégraphies de Nijinski. Le plus grand danseur de son temps est néanmoins renvoyé de la compagnie en 1914 suite à une brouille avec Diaghilev, qui n’a pas supporté que Nijinski se marie. Quelques années plus tard, Nijinski sombre dans la folie et végète dans un état catatonique jusqu’à sa mort en 1950. Ses quelques années chez Diaghilev constituent un pinacle jamais atteint par la suite par la compagnie.

De la Première guerre mondiale à la fin des ballets russes

Malgré la guerre, Diaghilev continue à travailler mais ne peut plus puiser dans le vivier des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg. L’une des créations majeures de cette période est Parade, une chorégraphie de Massine sur une musique d’Erik Satie d’après un argument de Jean Cocteau, avec des décors et des costumes créés par Pablo Picasso (qui fera aussi les décors et costumes de Tricorne, un ballet sur une musique de Manuel de Falla). Il s’agissait là de la première incursion des cubistes dans le ballet. Bien que soutenu par des intellectuels comme Apollinaire, le spectacle est mal reçu par le public.

Au sortir de la guerre, Diaghilev essaie de retrouver une ambiance russe avec Les Contes Russes de Léonide Massine avec des décors et costumes de Larionov et Nathalie Gontcharova. Mais ces contes n’intéressent pas le public, qui s’est éloigné de ce type de spectacle. Les ballets russes ne surprennent plus.

Les années 1920 sont toutefois jalonnées de quelques éclats. Pour Le Bouffon, Diaghilev fait appel à Prokofiev. Larionov, qui a conçu un décor « à la Matisse », signe également la chorégraphie. Grâce à Diaghilev, les arts se sont tellement mélangés que des peintres n’hésitent plus à se lancer dans la chorégraphie. Ce brassage des genres est  l’une de ses grandes réussites.

A Londres, Diaghilev adapte Le Mariage de la Belle au Bois Dormant, sur une musique de Tchaïkovski mais l’échec financier est monumental, à tel point qu’il plombe les dernières années de la compagnie. Le Renard,  une création de Nijinska (la sœur de Nijinski, qui fera de nombreuses autres chorégraphies par la suite) sur une musique de Stravinsky, n’est qu’un timide succès d’estime.

L’ultime succès « scandaleux » de la compagnie viendra du Pas d’Acier, en 1927. Composé par Prokofiev et chorégraphié par Massine, ce ballet multiplie les références à l’Union Soviétique. Il est perçu comme une « œuvre bolchevique » par les Français. Considéré à l’inverse comme un « bourgeois décadent » pour les autorités soviétiques, Diaghilev vit les dernières années de sa vie en porte-à-faux. Il meurt à Venise – où il aimait se ressourcer – en 1929. La compagnie ne lui survit pas. Serge Lifar, danseur et chorégraphe, intègre l’Opéra de Paris et George Balanchine – qui signa les dernières chorégraphies des ballets russes – part au New York City Ballet.

Le foisonnement de talents suscité par la compagnie des ballets russes est le legs laissé par Serguei Diaghilev. Cet homme sans talent a su mettre en relation celui des autres. Diaghilev, qui croyait que l’art permettait de tisser un lien entre les Nations,  a initié des rencontres artistiques extraordinaires.

En savoir plus …

Coté Livres :

La danse, des ballets russes à l’avant-garde

Jean-Pierre Pastori

Editions Gallimard

ISBN-10: 2070304221

http://www.amazon.fr/danse-ballets-russes-%C3%A0-lavant-garde/dp/2070304221

Histoire secrète des ballets russes

Vladimir Fedorovski

Editeur: Ets. Du Rocher

ISBN-10: 2268041425

http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1247687

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ballets_russes

http://musique.ac-dijon.fr/bac2000/stravins/ballets.htm

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