HONORE DAUMIER 1808-1879

Thème : ARTS                                                                                                                                                                               Mardi 10 janvier 2012  

Honoré DAUMIER 1808-1879

Nathalie Pineau-Farge, Docteur en Histoire de l’Art

Madame Pineau-Farge est venue nous parler d’Honoré Daumier, dessinateur prolifique dont les œuvres commentent la vie sociale et politique en France au XIXe siècle.

Qui est Honoré Daumier ?

Cet homme de talent, bien trop souvent méconnu de nos jours, s’est illustré de son vivant aussi bien dans le domaine de la caricature que celui de la peinture en passant par celui de la sculpture. Mais la tendance du XIXe siècle étant au cloisonnement des domaines artistiques, on lui confère principalement de son vivant un talent de caricaturiste politique et de mœurs. Auteur d’environ quatre mille lithographies, il est surtout connu pour ses caricatures d’hommes politiques et ses satires du comportement de ses compatriotes. Une exposition dans laquelle on le consacre en tant que peintre a eu lieu en 1997 au Grand Palais à Paris.

Les créations et les déboires de sa première période professionnelle

Ses caricatures sont un parfait indicateur du mode de vie des Parisiens sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire.

De sa première période, entre 1830 et 1835, ses jeux de mots à la fois visuels, comiques et orientés, portent atteinte au Roi Louis-Philippe : alors qu’il travaille pour Le Charivari, journal lancé par Charles Philippon, un dessin intitulé Gargantua (1831) et représentant le roi en train de dévorer l’or du peuple et de déféquer des passe-droits pour ses sbires, va conduire Daumier en prison (une de ses lithographies quelques années plus tard, en 1834, le représente d’ailleurs à la prison Sainte-Pélagie, en compagnie de voisins de cellule lisant La Tribune, journal républicain), et l’imprimeur ainsi que le marchand d’estampes mêlés à l’affaire au tribunal. La pierre lithographique sera même détruite afin d’éviter toute tentative de copie.

De sensibilité républicaine, cet artiste va donc très vite se faire des ennemis au sein du Régime. Les événements politiques vont le conduire à récidiver, et à diffuser notamment à travers ses caricatures l’image de Louis-Philippe à la physionomie transformée en poire, inventée par Philippon, qui se défend à l’occasion d’un procès qui lui est fait, en soulignant le « caractère hasardeux et innocent des ressemblances ». Le peuple va reprendre le symbole sur les murs de Paris et de toute la France pour railler le régime en place.

Ses courants d’influence

Daumier s’inscrit dans la tradition de la « physiognomonie » (et dans la lignée des Têtes d’expression de Le Brun au XVIIe siècle), principe suivant lequel on établit une relation de cause à effet entre le physique et le caractère d’un individu. En l’occurrence, dans l’assimilation de Louis-Philippe à une poire, le caractère qui en découle n’est évidemment pas reluisant… Daumier, au-delà de la caricature, cherche à extraire la personnalité profonde de ses sujets. Pour cela, il s’inspire des mouvements scientifiques de son époque, comme la phrénologie, qui étudie le rapport entre la forme du crâne et les aptitudes intellectuelles et morales de l’individu, caricatures à l’appui.

Sa dette envers ces courants scientifiques, ainsi que sa prolixité créative, s’expriment particulièrement dans une série de portraits charges des célébrités du « juste milieu » réalisés entre 1831 et 1835 ; ces personnages font l’objet de caricatures lithographiées en buste et en pied, et sont également traités par la sculpture (bustes en terre crue colorée, actuellement présentés au musée d’Orsay à Paris). La plupart d’entre eux sont réunis dans la grande planche intitulée Le Ventre législatif, en 1834.

Mais Daumier rend aussi compte d’événements sans avoir recours à la raillerie : ainsi sa lithographie Rue Transnonain reprend sur un ton grave la tragédie du 15 avril 1834 : alors que des émeutes sévissent dans les rues de Paris, une balle tirée d’un immeuble tue un gendarme, et tous les habitants de cet immeuble sont massacrés, en représailles. Quelques années plus tard, Baudelaire dira à propos de ce dessin de Daumier : « c’est de l’histoire, de la terrible et ignoble réalité ». À travers cette lithographie de très grande qualité, Daumier ancre les abus du gouvernement et du pouvoir en place dans l’imaginaire collectif.

La seconde période de Daumier

Amorcée en 1835, elle correspond à une période où la censure envers la presse d’opposition s’accroît à la suite d’un attentat manqué contre Louis-Philippe. Les dessins politiques étant frappés d’interdiction, Daumier s’oriente vers les dessins de mœurs, avec en toile de fond, les paysages parisiens et de la banlieue, qui nous en apprennent plus sur son temps. Le Charivari, également créé par Philippon, sera le vecteur principal de ses œuvres. Il reprend, à travers la caricature, des « types » popularisés par le théâtre dans les années 1820, et stigmatisant les travers de ses contemporains, tel l’homme d’affaire véreux Robert Macaire, ou encore le bourgeois naïf et pontifiant, Monsieur Prudhomme. Il crée aussi le personnage de Ratapoil, agent de propagande bonapartiste, renouant ainsi de façon détournée avec une certaine forme de caricature politique.

Ses œuvres

C’est à travers les productions de ces années que les références visuelles de Daumier se manifestent le plus à travers ses œuvres ; le caricaturiste en effet, rend hommage aux artistes du passé qu’il admire (Titien, Andrea del Sarto, Georges de la Tour…), en reprenant la composition ou un détail d’une œuvre fameuse. Il s’inscrit aussi, à de multiples reprises, au sein des débats esthétiques ou des nouveautés artistiques de son temps.

Entre 1841-1843, il s’improvise critique de l’art académique et produit une série de dessins sur le thème de l’Histoire Ancienne, malmenant le « beau idéal », et plus généralement, les références antiques dans la peinture d’histoire, ainsi que dans les humanités classiques. En 1857, Baudelaire reviendra sur cette série, trouvant salutaires ces attaques du caricaturiste contre la « fausse antiquité », et appelant à des références plus modernes et mieux adaptées à la vie contemporaine. Daumier propose aussi une réflexion sur son art : Narcisse, laid et rachitique, admire son reflet déformé dans l’eau, lequel devient une allégorie de la caricature.

Dans la série Les bas-bleus en 1844, Daumier tourne cette fois-ci les femmes auteurs en dérision, se moquant du fait qu’elles puissent prétendre vivre par la force de leur esprit (leur est surtout reproché de délaisser les tâches ménagères au profit de leur vie intellectuelle et de leur création littéraire).

Il exploite beaucoup les effets atmosphériques et climatiques (effets de pluie, de vent…) dans des compositions mettant en scène des « bons bourgeois », qui observent le ciel étoilé (ce qui permet à Daumier de jouer sur des clairs-obscurs inspirés, notamment, de la technique nouvelle de la photographie), ou qui se reposent dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye (le caricaturiste exploite alors la décomposition de la lumière en petites « tâches », préfigurant l’Impressionnisme).

En 1848, avec la proclamation de la Seconde République, la censure politique est un temps abolie. Daumier, se tourne de plus en plus vers la peinture, et encouragé par ses amis Delacroix et Corot notamment, il participe au concours pour la figure de la République. Son esquisse ne gagne pas, mais permet à l’artiste de faire connaître son talent de peintre (selon Baudelaire, il est « l’un des hommes les plus importants, non seulement de la caricature, mais de l’art moderne »).

La censure politique est rétablie avec l’avènement du Second Empire en 1852 (il faut attendre le début des années 1860 pour qu’un léger assouplissement se manifeste), et de nombreux journaux d’opposition disparaissent. Daumier reprend alors la caricature de mœurs, qui lui permet indirectement de critiquer le régime en place : c’est le cas par exemple avec la série intitulée Crinolomanie – la crinoline dissimulant tout (c’est un accessoire « hypocrite »), il y a un parallèle évident à établir entre la mode du temps et la politique du gouvernement. À l’effondrement du Second Empire en septembre 1870, le caricaturiste proposera des dessins à la tonalité grave, exploitant les textes des Châtiments de Victor Hugo et l’image de l’aigle impériale, mais faisant aussi référence à Goya, et à l’imagerie macabre médiévale.

Un homme bien de son temps et peut-être même avant-gardiste

Il est notable que Daumier, à son tour, grâce aux audaces de ses compositions, inspire parfois ses contemporains. On retrouve ainsi, par exemple, ses cadrages originaux repris dans certaines œuvres de Degas (dans L’orchestre de l’Opéra, 1862, le peintre – qui collectionnait les lithographies du caricaturiste – donne à voir en contre-plongée la scène où se joue le spectacle, comme dans le dessin de Daumier L’orchestre pendant qu’on joue une tragédie, paru en 1852 dans Le Charivari), ou de Manet (Un bar aux Folies Bergère, 1881, reprend une composition « coupée » au premier plan par le bar, comme la lithographie La muse de la brasserie parue dans Le Charivari en 1864).

Il fait aussi écho au réalisme de Courbet, se moquant des bourgeois qui s’offusquent au Salon et se détournent des tableaux du peintre, type Les Baigneuses (1853). Nadar, soulignant le lien entre les deux artistes, s’amuse, dans Nadar jury au Salon de 1857, en écrivant : « il [Courbet] peint des faux Daumier plus grands que nature ». Daumier, en retour, ne manque pas de caricaturer son ami photographe, son goût pour l’aventure (à travers ses survols de Paris en ballon), et son esprit publicitaire (le nom de Nadar apparaissait en lettres immenses sur la façade de son immeuble-atelier boulevard des Capucines). Si, comme on l’a vu, Daumier s’intéresse à cette nouvelle technique dont il exploite les effets dans certaines œuvres, il s’inquiète aussi de l’avenir des lithographies, et adhère à la Société des Aquafortistes.

Depuis les années 1850, il donne une place de plus en plus importante à la peinture, produisant des œuvres dans lesquelles il exploite un registre rêveur et poétique, étranger à l’essentiel de sa production lithographique. Le thème de Don Quichotte, notamment, lui inspire plusieurs toiles, et l’artiste en fait une sorte de double de lui-même, de plus en plus émacié et fantomatique au fil des ans, lorsque les difficultés personnelles de toutes sortes s’accumulent (succès décroissant, problèmes de santé, problèmes financiers…). Daumier, progressivement atteint de cécité, est aidé dans les dernières années de sa vie par son ami Corot, qui lui achète une petite maison à Valmondois, où l’artiste s’éteint en 1879, après avoir été consacré, l’année précédente, « Michel-Ange de la caricature », à l’occasion d’une exposition rétrospective.

En savoir plus …

Coté livres :

  • Catalogue de l’exposition Daumier 1808-1879, Paris, 1999

Coté Web :       

Site internet de la BnF, avec la reproduction de très nombreuses lithographies :

http://expositions.bnf.fr/daumier/index.htm