Thèmes: Art, Musique, Théâtre Conférence du mardi 10 décembre 2024
Par Monsieur Cyril PLANTE, pianiste et compositeur, Président du Cercle National Richard Wagner de Paris.
INTRODUCTION
Vincenzo Bellini est un des principaux compositeurs du mouvement romantique du début du XIXe siècle et la figure de proue de l’ère du bel canto. On peut noter qu’il est né en novembre 1802, soit quelques mois avant Victor Hugo, la grande figure du romantisme. Norma, l’œuvre la plus célèbre de Bellini est une œuvre marquante dans l’histoire de l’opéra dans son ensemble. Des compositeurs comme Verdi ou Wagner seront influencés par l’œuvre de Bellini.
I Brève biographie de Bellini.
Vincenzo Bellini est né à Catane le 3 novembre 1801 dans une famille modeste de musiciens. A 14 ans le jeune garçon est envoyé chez son grand-père qui avait étudié au conservatoire de Naples et qui était maître de chapelle de la cathédrale de Catane. Rapidement, on décèle des qualités remarquables chez le jeune Vincenzo. Le jeune adolescent compose de petites œuvres pour les milieux aristocratiques et le duc di San Martino appuie une demande de bourse pour le jeune homme. La ville finance les études du jeune Vincenzo qui intègre, comme son grand-père le conservatoire San Sebastiano de Naples (actuellement San Pietro a Majella) en 1819.
Même s’il y règne l’esprit conservateur des classiques, le conservatoire abrite aussi un courant moderne. Bellini est formé par Giovanni Furno, Giacomo Tritto et Niccolò Antonio Zingarelli. A cette époque il rencontre Gaetano Donizetti, autre grand compositeur italien et avec qui il sera en compétition toute sa vie.
A ses débuts au conservatoire il se lie d’amitié avec Francesco Florimo et ils interprètent ensemble les œuvres de Joseph Haydn et Wolfgang Mozart, ce qui est considéré comme un sacrilège en Italie – en Italie, on ne joue que de la musique italienne – mais qui révèle le côté peu conformiste des deux étudiants.
Le 13 février 1816, le théâtre San Carlo de Naples est détruit par un incendie. La nouvelle salle est inaugurée le 12 janvier 1817, à peine 300 jours plus tard. L’opéra Bianca e Fernando de Bellini est créé au San Carlo en 1826. Mais Bellini est ambitieux et veut réussir à la Scala de Milan, théâtre plus réputé et qui surtout ouvrait tous les jours contrairement au San Carlo qui n’ouvrait que trois jours par semaine. On peut rappeler qu’au XIXe siècle, l’opéra était un lieu social tout autant que culturel et les hommes d’affaires y discutaient commerce.
Le librettiste attitré de Bellini est Felice Romani qui curieusement était très critique envers les romantiques. Ils vont créer un premier opéra Il Pirata pour la Scala. Ce sera un grand succès et certains chanteurs de ce premier opéra resteront fidèles à Bellini. Il Pirata se joue à Vienne et Bellini commence à se faire un nom à travers toute l’Europe.
Bellini fait aussi l’ouverture du théâtre de Gênes, ce qui le met à nouveau en concurrence avec son éternel rival Donizetti. Il présente pour l’occasion une version remaniée de sa première œuvre Bianca e Fernando.
En ce qui concerne sa vie personnelle, c’est à Gênes que le compositeur rencontre Giuditta Turina, une belle jeune femme de 18 ans mais qui est mariée. Leur relation sera tumultueuse, Bellini étant souvent absent et Giuditta refusant de divorcer de son riche mari.
Durant cette période il compose quelques œuvres dont Zaira et La Straniera mais aucune n’est un succès. En 1829 il se rend à Venise où il compose I Capuleti e I Montecchi, inspiré de l’histoire de Roméo et Juliette, et qui connaîtra un succès fou mais uniquement durant la période du carnaval.
Il retourne à Milan et retrouve sa cantatrice attitrée Giuditta Pasta qui a déjà interprété toutes les œuvres de Bellini. Il compose alors son premier chef-d’œuvre La Sonnambula. Cet opéra est joué au Teatro Carcano de Milan et non à la Scala, dirigé par Donizetti. Le succès est tel que le Carcano éclipse la Scala. L’œuvre est jouée ensuite dans les principales capitales européennes : Vienne, Paris et Londres. Le bel canto à l’italienne lancé par Rossini atteint son apogée grâce à Bellini. La Sonnambula est un peu le prélude à Norma : l’accompagnement est minime et on met en valeur la ligne de chant. L’aria Ah ! Non credea mirarti restera une référence du style de Bellini et un des airs les plus sublimes de l’histoire de l’opéra.
Bellini compose Norma en 1931, qui sera son plus grand chef-d’œuvre. En 1833 il compose Beatrice de Tenda pour La Fenice de Venise avec un livret de Romani qu’il avait dû faire ramener de force par la police pour qu’il finalise le livret car la lenteur du librettiste empêchait Bellini d’honorer ses contrats. L’œuvre première est en deux actes mais Bellini la transformera en opéra en cinq actes avec des décors fabuleux pour en faire un opéra à la française. Le succès n’est pas au rendez-vous et Bellini rompt avec Romani. Cette même année 1933 Bellini s’installe à Paris et grâce à Rossini obtient un contrat pour créer un opéra pour le Théâtre des Italiens (actuel Théâtre comique Salle Favart) I Puritani avec un nouveau librettiste le Comte Pepoli. Le succès de cette œuvre est tel que Bellini reçoit la Légion d’Honneur.
Quelques semaines plus tard, le 23 septembre 1835 le compositeur décède soudainement à Puteaux où il réside. Sa mort reste mystérieuse et donna lieu à bien des spéculations. Officiellement il décède des suites du choléra mais le propriétaire qui le logeait ne prévient personne de son décès, le jardinier ne laisse entrer aucune connaissance du compositeur et le médecin qui le suivait disparaît subitement augmentant ainsi les interrogations liées à sa mort. Une autopsie réalisée bien plus tard révèlera que Bellini est mort d’une infection intestinale et non du choléra ce qui laisse penser qu’il peut s’agir d’un empoisonnement.
Bellini reposera dans un premier temps au Père Lachaise puis son corps sera ramené à Catane quarante ans plus tard où il repose dans la cathédrale Sainte-Agathe.
II Norma
Norma est un opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani d’après la tragédie du Français Alexandre Soumet Norma ou l’infanticide écrite seulement huit mois auparavant. L’opéra se crée le 26 décembre 1831 à la Scala de Milan avec Giuditta Pasta dans le rôle de Norma et Giulia Grisi dans celui de Adalgisa.
En ces premières décennies du XIXe siècle, les Gaulois et les prêtresses sont un thème à la mode (pensons aux Martyrs de Chateaubriand, la Vestale de Spontini), c’est pourquoi Bellini et son librettiste choisissent d’adapter la tragédie de Soumet bien qu’ils effacent les passages les plus violents et le côté surnaturel de l’œuvre de Soumet. L’opéra insiste sur la relation entre Norma et son père, ce qui accroit la tension entre la sphère privée et la sphère politique. Enfin la pièce de théâtre se termine sur la folie de l’héroïne qui aurait pu être mis en scène par l’opéra qui adore les scènes de folie, or le librettiste préfère une Norma qui prend une décision rationnelle, sans perdre sa dignité, au lieu d’une démence passionnée.
Le livret de Romani situe l’action en Gaule, lors du soulèvement du peuple gaulois mené par Oroveso, chef des druides et père de Norma. L’action est centrée sur le triangle amoureux formé par Pollione (proconsul romain de Gaule), Norma (grande prêtresse et secrète compagne de Pollione) et la jeune prêtresse Adalgisa. Norma qui a rompu ses vœux de chasteté druidique et a eu deux enfants de Pollione, découvre que celui-ci est maintenant amoureux de Adalgisa. Elle tente de le convaincre de renoncer à Adalgisa mais il refuse. Norma avoue alors publiquement sa faute : elle est condamnée à la mort par le feu. Pollione est condamné lui aussi pour avoir poursuivi Adalgisa dans le temple et monte au bûcher avec Norma.
Bellini veut se renouveler et créer un rôle dramatique pour mettre en valeur les talents d’actrice de Giuditta Pasta. Mais celle-ci refuse le rôle le jugeant trop difficile. En effet, le rôle exige non seulement une grande technique lyrique mais aussi des qualités de tragédienne. Finalement Giuditta Pasta interprète quand même le rôle de Norma. La première représentation est un échec car l’œuvre est trop moderne et ne correspond pas aux codes de l’époque, notamment un grand final avec chœur à la fin du 1er acte. Cet acte se termine sur un trio de personnages, sans grands effets. Autre élément de modernité, ce ne sont plus des numéros entrecoupés de récitatifs mais des scènes qui s’enchainent, permettant une évolution dramatique continue.
Par ailleurs, le livret est critiqué pour son incohérence, il paraît en effet impossible que Norma ait deux enfants sans que personne ne s’en soit aperçu. Cependant Norma devient un immense succès et l’engouement ne fera que croître au fil des décennies. Le rôle est repris par les plus célèbres sopranos dont Maria Callas, Lilli Lehmann, Rosa Ponselle ou encore Montserrat Caballé. Le personnage de Norma requiert une grande technique mais aussi de grandes qualités de tragédienne. Cet aspect atteindra son paroxysme avec Maria Callas. Elle recrée véritablement le rôle ; elle porte à son sommet la pureté et la poignante vérité du bel canto romantique. Norma est sans doute le personnage qu’elle a su le mieux incarner. Aujourd’hui, Cecilia Bartoli reprend ce « rôle des rôles », bien sûr dans la version mezzo qui est celle que chantait Maria Malibran. Pourtant l’essentiel n’est pas dans la tessiture mais bien dans le poignant portrait de femme qu’on attend de chaque nouvelle Norma.
L’aria Casta diva (le terme diva date de cette époque) résume à elle seule la difficulté de Norma pour l’interprète : longueur du souffle, précision des vocalises, etc. La mélodie est très souple sans tomber dans l’ornementation excessive comme chez Rossini.
CONCLUSION
Malgré sa courte carrière et le nombre restreint de ses œuvres, Bellini reste deux siècles plus tard une référence du romantisme.
Les opéras de Bellini sont régulièrement à l’affiche de nos jours et Norma reste un chef d’œuvre de l’art lyrique. La Casta Diva sera repris maintes fois au cinéma ou même pour des publicités.
Bibliographie
Vincenzo Bellini, par Pierre Brunel, Fayard, Paris, 1981.
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